Le pauvre qui offre au riche. Ainsi pourrait-on interpréter le don exceptionnel de 3 millions d’euros soient 2 milliards de francs CFA de l’ancien chef d’état ivoirien, Laurent Gbagbo, fait à son homologue français de l’époque, Jacques Chirac.

Le président de la République d’un pays qui donne une folle somme d’argent à son homologue d’une puissance mondiale. Déjà, l’acte et le fait, de par leur nature grotesque et caricaturale, interpellent. Mais le contraste devient plus saisissant et désoriente même quand il s’agit d’un chef d’état d’un pays pauvre qui commet presque la faute de faire une offrande à un gouvernant d’une nation dont la puissance est mondialement reconnue.

De quoi s’agit-il exactement ? Dans son livre intitulé » Ils savent que je sais tout », Robert Bourgi, le Franco-libanais et professeur de droits à la retraite, décrit voire dévoile l’aspect voilé pour ne pas dire obscure de la françafrique. Il fait ce qu’il conviendrait d’appeler le dépoussiérage du traitement qu’ont subi et continuent de subir les valets « désignés » pour le compte de pays européens à la tête des pays africains.

D’Houphouët-Boigny à Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) aux père (Omar) et fils (Ali) Bongo (Gabon) en passant Eyadema (Togo), Pascal Lissouba, Sassou Nguesso (Congo), Mohamed Ould Abdel Aziz (Mauritanie), Abdoulaye Wade, Maky Sall (Sénégal), tous ont été et sont contrôlés par la France. Mais tant que ça restait une sorte de face cachée de l’iceberg politique, ça passait sous silence. Mais l’homme lige de la françafrique a décidé de rompre le silence. Dans un grand entretien accordé à la chaîne de télé française, « France 24 », l’un des anciens pions majeurs de la françafrique a lâché pas mal de « bombes » sur les coulisses des pratiques nauséeuses des relations entre dirigeants français et africains.

 » Je disposais de relais au départ et à l’arrivée de chaque mission. Dès que je devais me rendre en France avec du liquide, j’avertissais le directeur de cabinet d’Houphouët-Boigny, le gouverneur Guy Nairay. Il m’accompagnait toujours à l’aéroport jusqu’à l’avion. L’argent était dans des sacs de voyage et porté par un émissaire ivoirien. Bien évidemment, personne ne le fouillait. Quand le gouverneur Guy Nairay arrivait à l’aéroport, tout le monde se mettait au garde à vous. À Paris, l’émissaire remettait les sacs d’argent à la sortie d’avion à Jean Claude Laumont, le chauffeur personnel de Jacques Chirac. Je descendais comme tous les autres passagers. Par prudence, je n’ai jamais touché à cet argent », écrit Bourgi a un passage de son livre.

Comme si cela ne suffisait à ternir l’image de l’Afrique et certains de ses dirigeants, l’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo, affirmait récemment, au grand jour, à l’ancien journaliste à RFI, Alain Foka, qu’il a donné 3 millions d’euros soient 2 milliards de francs CFA à Jacques Chirac à l’époque.

 » J’ai donné cette somme parce qu’ils m’ont demandé ! C’était quand même Chirac ! Ce n’est pas que j’avais peur ou intimidé. C’est d’abord un étonnement de voir le chef d’état français me demander de l’argent. J’étais stupéfait, étonné, ahuri. Il n’était pas le seul chef d’état à me demander de l’argent, c’est étonnant. Et Bourgi transportait l’argent liquide. Quand Chirac reçoit l’argent, il m’appelle et me dit :  » Laurent, je ne suis pas un ingrat. Je saurais m’en souvenir. Après, dans mon dos, avec l’appui du Burkina Faso, une rébellion attaque mon pays ». Pour la manifestation d’une ingratitude, difficile de faire mieux. »

N’était-ce pas pour Laurent Gbagbo une façon de « payer » la paix pour son pays qu’il gérait sous perfusion à l’époque ? Si c’était le cas, il aura œuvré pour le contraire avec ce que la Côte d’Ivoire a vécu après. En fait, les différents chefs d’état français se tournent résolument vers leurs homologues africains pour leur forcer la main à sortir de faramineuses sommes d’argent de cette manière pour deux raisons essentielles. D’abord parce que les Français savent que ces présidents leur sont soumis, redevables depuis leurs différentes pseudo indépendances. Donc ils ne peuvent rien leur refuser sous peine de les punir au plan sécuritaire, financier ou industriel.

Ensuite, les Français font faire en Afrique ce qu’ils ne peuvent pas se permettre de faire et n’ont pas le droit de faire chez eux, à savoir soutirer des caisses de leur état de folles sommes sans trace aucune et sans justifications. Ils savent qu’en Afrique, les présidents sont des « roitelets » que personne n’a le pouvoir ni le droit de contrôler. Même pas la justice. À partir de là, ils font en Afrique les sales besognes qu’ils ne se permettent pas chez eux. Parce qu’en France, la rigueur morale, institutionnelle, juridique, sociétale voire politique sont de mise. Et scrupuleusement respectées par tous. Ce qui n’est pas le cas en Afrique où les gouvernants règnent en maîtres absolus et dominent leurs peuples sans vergogne aucune.

Le drame, c’est que la fin de cette pratique moyenâgeuse n’est pas pour demain la veille.

 

Maria De Dieu

Credit photo : Nadi Jessica