L’opération « Craie morte », initiée par le mouvement On a Trop Supporté (OTS) interpelle le gouvernement sur la situation précaire dans laquelle les enseignants évoluent au Cameroun.

Depuis le 21 février 2022, les enseignants des lycées et collèges au Cameroun ont lancé un mouvement de grève baptisé opération « Craie Morte ». Le but de la grève, c’est de protester contre les injustices que les enseignants subissent au Cameroun depuis plusieurs décennies déjà. Le mouvement, qui a commencé comme une simple rumeur, semble grossir au fil des jours, même si dans certaines villes le respect du mot d’ordre est plutôt timide.

Revendications

À l’origine du mécontentement des enseignants, le mauvais traitement qui leur est infligé par le gouvernement quant à leur prise en charge. En effet, le chemin que parcourt un enseignant camerounais entre la sortie de l’école et l’obtention de son premier salaire est une véritable course d’obstacles, chaque étape franchie dévoilant de nouveaux défis qui finissent parfois par entamer la motivation même des plus téméraires.

Dans le chapelet de revendications adressé au premier ministre par les enseignants, on retrouve des points qui n’ont rien de nouveau : il s’agit principalement de la prise en solde de nombreux enseignants en cours d’intégration (ECI) dont certains sont sur le terrain depuis plus de 5 ans, et ce sans salaire.

 

D’un autre côté, il se pose le problème de certains ECI dont la prise en charge n’est que partielle. En effet, le gouvernement camerounais prend en charge aux 2/3 de leur salaire de base, les fonctionnaires nouvellement affectés, le temps que les dossiers soient traités et que la prise en charge soit complète. Le souci, c’est que nombreux parmi eux font plus de 2 ans avant d’accéder aux fameux 2/3 qui pourtant étaient censés être disponibles après quelques mois seulement. Un système inefficace que les enseignants veulent voir disparaître définitivement.

Citons également, au nombre des revendications, la problématique des avancements. Les fonctionnaires au Cameroun gravissent des échelons tous les deux ans, et ces avancements induisent une augmentation de leurs salaires et de certaines primes. Le souci, c’est que depuis plusieurs années, les effets financiers desdits avancements sont invisibles, augmentant ainsi la frustration des fonctionnaires.

Corruption

L’élément commun à toutes les revendications formulées par les enseignants a un nom : la corruption. Les lenteurs dans le traitement des dossiers des enseignants ont ouvert la voie à plusieurs réseaux de corruption qui se sont confortablement installés dans plusieurs ministères. Ainsi, c’est pratiquement devenu la règle que pour voir son dossier avancer, les enseignants sont « encouragés » à céder un pourcentage – qui peut aller jusqu’à 20% – du montant à percevoir. Autant pour les rappels, que pour les indemnités de logement ou pour les avancements, la règle c’est désormais de payer.

Les réseaux de corruption ont tellement pris de l’ampleur que, parfois il est facile de réaliser l’impact qu’ils ont sur la bonne marche des enseignements, notamment dans la gestion des ressources humaines. Il est facile de trouver des établissements où certains départements sont en sous-effectif tandis que dans d’autres il y a tellement d’enseignants que certains sont affectés à des tâches administratives. Ce n’est pas uniquement du fait de la corruption évidemment, mais elle y a un impact non négligeable.

 

 

La conséquence, c’est que les personnes qui ont réellement besoin d’être mutée, que ce soit pour des raisons de regroupement familial ou de maladie, se retrouvent coincées. Si elles ne peuvent pas payer, si elles n’ont pas « le bon réseau », il leur sera impossible d’obtenir une affectation.

Négociations

Dès l’annonce de la grève du 21 février, le gouvernement a promptement réagi en convoquant les leaders du mouvement « On a Trop Supporté » (OTS) à l’origine du mot d’ordre. Une réunion d’urgence a été organisée par le Secrétaire Général du Premier Ministère (SGPM) en présence de certains ministres et des porte-parole d’OTS (entre autres).

Selon les comptes rendus des échanges, d’autres séances de travail ont été programmées pour le mardi 22 et mercredi 23 en vue d’examiner les revendications des enseignants et de trouver de commun accord une solution, l’intention du gouvernement étant de désamorcer à tout prix le mouvement d’humeur. Peine perdue, puisque malgré les communiqués attribués des porte-paroles d’OTS qui se désolidarisaient désormais de la grève, le mot d’ordre a été maintenu, et lesdits porte-parole désavoués.

OTS se définit comme un mouvement acéphale, qui n’obéit aux injonctions de personne et qui est déterminé à se battre jusqu’au bout pour ses droits. Étant formellement opposé à toute réunion qui serait organisée par le gouvernement, OTS n’a pas pris part aux différentes séances de travail organisées par le SGPM. Pour la masse, le but de ces réunions c’est d’essouffler le mouvement pour qu’on se retrouve au même point.

Menaces et soutiens

Dans les lycées, le mot d’ordre de grève est respecté différemment. Selon les instructions d’OTS les enseignants devaient se rendre dans leurs lycées et collèges respectifs, mais s’abstenir d’enseigner ; ils devaient toutefois s’efforcer de maintenir la discipline dans l’enceinte des établissements et d’expliquer si nécessaire le bien-fondé du mouvement aux élèves.

Sur le terrain, alors que certains vont dans les salles mais ne font pas cours, d’autres au contraire restent tranquillement assis hors des classes et forment de petits groupes de discussion. Certains par contre préfèrent rester chez eux ou vaquer à d’autres occupations.

Dans de nombreux établissements, les chefs d’établissements essaient de ramener les enseignants dans les classes. Si certains usent de diplomatie, il y en a au contraire qui y vont de la manière forte : intimidation, menaces de sanction, etc. De nombreux proviseurs auraient fait parvenir à leur hiérarchie les noms des enseignants grévistes pour que ces derniers soient sanctionnés.

De l’autre côté, au fil du temps de nombreuses personnes apportent ouvertement leur soutien aux enseignants, parmi lesquels des élèves – selon des vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux. Sur twitter, les hashtag #CraieMorte et #OTS sert de tribune aux enseignants et aux personnes qui leur apportent leur soutien dans ce combat.

Stand-by

Alors qu’on s’achemine inévitablement vers une nouvelle semaine de grève, la situation ne semble pas être sur le point d’évoluer, si ce n’est dans le sens de l’intensification du mouvement. Du côté du gouvernement, un compte-rendu signé de la Ministre des Enseignements Secondaire Pauline Nalova Lyonga, et des représentant de quelques syndicats, a été rendu public au terme de la séance de travail du mardi.

En substance, seule la question de la nomination des animateurs pédagogiques et le payement de leurs frais de suggestion a été débattue. Autant dire que rien allant dans le sens de la résolution des questions posées par le mouvement OTS – qui, il faut le rappeler, n’a pas pris part à cette activité.