L’après Covid-19 a été rude pour toutes les économies du monde. Les pays développés ont dû adapter leurs stratégies afin de sortir la tête de l’eau.
Parmi celles-ci, l’intégration de l’immigration, mais pas de n’importe quelle immigration est au rendez-vous! S’il existait déjà des programmes connus et célèbres tels que la Loterie américaine (Green Card) ou le programme de travailleurs qualifiés au Canada, ce qu’on appelle communément l’immigration choisie, plusieurs programmes visant à renforcer la main d’oeuvre dans différents pays américains et européens ont vu le jour pour le grand bonheur de certains qui voient leurs rêves se réaliser par ce canal.
Si l’immigration choisie qui consiste pour un pays à désigner qui rentre dans ses frontières et pour quel motif est une solution pour le pays demandeur et pour le requérant, elle constitue une grande perte pour le pays offreur qui a éduqué et formé un citoyen afin que celui-ci le serve fidèlement.
Le phénomène de fuite des cerveaux, qui désigne la migration des talents qualifiés vers des pays offrant de meilleures opportunités, est une réalité préoccupante pour les pays en développement en général et le Cameroun en particulier. Bien que souvent perçue comme une perte pour le pays, cette migration représente paradoxalement une opportunité d’amélioration des conditions de vie des citoyens camerounais. Celui qui part devenant le faire-valoir de ceux qui restent.
Les intellectuels camerounais à la recherche d’un vert pâturage
Cameroun, “Afrique en miniature” riche de sa diversité géographique et culturelle, est également un vivier de ressources humaines dans des domaines variés. Le camerounais est quelqu’un qui des facultés d’adaptation inouïes et lorsque celui-ci décide de quitter le pays pour tenter sa chance à l’étranger c’est pour faire parler de lui dans le domaine où il excelle: la médecine, l’ingénierie, les technologies de l’information, l’art etc.
Chaque année, des milliers de Camerounais qualifiés choisissent de partir conquérir le monde et c’est un phénomène qui touche particulièrement les secteurs de la santé, l’éducation, l’informatique entre autres. Les raisons de ce départ massif incluent des salaires peu compétitifs dans leur pays (il faut rappeler que le SMIG est d’environ 55 euro par mois et le salaire moyen tourne autour de 450 euros) un manque de perspectives professionnelles (en dehors de la fonction publique qui garantit un traitement salarial et des avantages, il y a des multinationales et organisations internationales qui sortent du lot.
Par contre les Petites et Moyennes entreprises peinent à bien traiter leur personnel et l’entrepreneuriat c’est une autre paire de manches. Des infrastructures inadéquates (il nous revient à l’esprit les plaintes des étudiants de la faculté des sciences physiques qui revendiquaient il y a quelques années le matériel de laboratoire pour leurs travaux dirigés…) et une instabilité socio-économique liée à la situation politique qui prévaut.
Prenons un exemple, un jeune diplômé de l’École Normale Supérieure affecté au lycée de Biyem-Assi dans la ville de Yaoundé au Cameroun a un salaire de base de 220 euros, auquel viendront s’ajouter quelques indemnités. Que chacun essaye de comparer cela avec ce que ce même jeune gagnerait alors à l’étranger. ça pourrait aller jusqu’à dix fois plus et ne parlons même pas conditions de travail. Ces différences significatives incitent les talents à chercher un « vert pâturage » ailleurs.
Se former au Cameroun : cas d’un enseignant
Le gouvernement investit dans des institutions telles que l’École Normale Supérieure (ENS) pour former des éducateurs qui seront capables de répondre aux besoins croissants du système éducatif du pays. La formation des enseignants au Cameroun est emblématique des défis du pays en matière de développement des compétences.
Quand ils sortent de l’école, ces enseignants se retrouvent très souvent confrontés à des conditions de travail précaires surtout lorsqu’ils sont affectés dans des petites villes et autres zones rurales : manque de matériel pédagogique, salles de classe surchargées et retards dans le paiement des salaires. La conséquence la plus visible c’est le choix de poursuivre des opportunités à l’étranger, notamment dans les pays africains francophones ou occidentaux, où leurs compétences sont mieux valorisées. C’est l’exemple même de celui qui dit “vaut mieux être professeur vacataire au Gabon, au lieu d’être professeur titulaire au Cameroun en raison du traitement salarial”.
Paradoxalement, les enseignants qui partent sont souvent ceux qui ont bénéficié du plus grand soutien de l’État, quand on sait qu’il y en a qui sont prêts à dépenser des millions pour acheter le concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure et qu’une fois à l’intérieur ils bénéficient de la meilleure formation et après leur sortie ils attendent leur rappel qui sert d’investissement dans leurs projets de départ, aggravant ainsi la pénurie de main-d’œuvre qualifiée sur place.
Ce que l’État camerounais dépense pour former un jeune
L’école primaire publique est gratuite au Cameroun depuis plus de vingt ans. Les parents doivent néanmoins s’acquitter de certains frais relatifs aux fournitures scolaires, aux soins de santé, aux concours et examens d’entrée au collège et à l’Association des Parents d’Élèves entre autres. L’État subventionne également l’éducation universitaire en proposant des frais de scolarité relativement bas dans les universités publiques et en finançant certaines bourses. Former un jeune Camerounais représente un investissement conséquent pour l’État.
Entre les coûts de l’éducation primaire, secondaire et supérieure, chaque citoyen représente un capital humain en devenir. Dans des filières spécialisées comme la médecine ou l’ingénierie, le coût de la formation d’un étudiant peut atteindre plusieurs millions de francs CFA par an. Ces investissements devraient, en théorie, se traduire par un retour sur investissement sous forme de services rendus à la communauté. Or, lorsque ces jeunes diplômés émigrent, c’est tout un potentiel économique et social qui s’envole avec eux.
Quand l’immigration devient plus alléchante
Face aux défis économiques et sociaux du Cameroun, les perspectives offertes par l’immigration ont souvent l’air irrésistibles. Les pays occidentaux proposent des programmes de mobilité attractifs pour les professionnels qualifiés. Les universités étrangères offrent des bourses aux étudiants brillants, tandis que les employeurs recherchent activement des travailleurs compétents dans des secteurs en pénurie.
En outre, l’écart entre le niveau de vie au Cameroun et celui des pays d’accueil accentue cette tendance. Par exemple, un infirmier travaillant au Canada peut non seulement gagner un salaire plus élevé, mais également accéder à des avantages sociaux tels que l’assurance maladie et la retraite, des privilèges souvent absents au Cameroun s’il n’est pas intégré à la fonction publique et travaille dans un hôpital privé.
Des jeunes ont risqué leurs vies, diplômes en poche, pour prendre la route de l’occident lorsque la voie normale de l’immigration (demande de visa) ne s’est pas ouverte. Partir à tout prix et à tous les prix est devenu le mot d’ordre de certains même ayant des situations dites stables. L’ailleurs fait rêver et on ne comprend pas souvent la décision que prennent d’autres en revenant investir après de longues années passées en occident.
Sensibiliser les jeunes sur l’importance de rester au pays et de contribuer à son développement n’est pas suffisant car tout jeune qui est encore sur place l’est pour une seule raison: l’absence de moyens.
Quelle réaction attendre de l’État camerounais face à la crise de l’immigration, quelle solution?
Conscient de l’impact de la fuite des cerveaux sur le pays, l’État camerounais devrait prendre certaines mesures pour tenter de freiner cette tendance. Pas des mesures contraignantes qui feraient passer le pays pour une prison mais plutôt, celles visant l’amélioration des conditions de travail surtout dans des secteurs stratégiques comme la santé et l’éducation. On peut citer:
- La création d’un terrain propice pour les camerounais de la diaspora, afin d’encourager les initiatives d’investissements de ceux-ci et le partage de compétences via des programmes ciblés. Le partenariat Etat-diaspora pourrait amener les Camerounais vivant à l’étranger a contribuer au développement du pays pas seulement en transférant des fonds à leurs familles mais, en investissant dans des projets locaux ou en partageant leur expertise.
- La mise en place de politiques cohérentes et ambitieuses qui auraient un effet positif sur la jeunesse actuelle par exemple des initiatives permettant aux expatriés de revenir au pays pour des périodes limitées afin de former la main-d’œuvre locale et/ou de participer à des projets spécifiques.
- La favorisation de l’épanouissement des talents en développant des politiques incitatives, telles que des subventions pour les entrepreneurs ou la vulgarisation et l’accessibilité à celles qui existent déjà. Donner des bourses aux chercheurs, construire des infrastructures, revaloriser les salaires et garantir de meilleures conditions de travail.
- Le renforcement de la coopération internationale : si le Cameroun négocie bien des accords avec les pays d’accueil, il pourrait bénéficier de mécanismes de compensation pour les talents qu’il forme.
Avec une stratégie adaptée, le Cameroun pourrait non seulement freiner ce phénomène de fuite des cerveaux qui est certes une réalité complexe et multifactorielle, mais pas une fatalité. Le pays peut en tirer parti pour améliorer les conditions de vie de ses citoyens. La clé réside dans une gestion avisée de ses ressources humaines et dans l’établissement d’un dialogue constructif avec sa diaspora.
Cajo Alemoka
Photo: AMISOM/Iwaria