On a toujours pensé qu’au Cameroun, les citoyens pouvaient être privés de tout, mais pas du droit de s’exprimer. Depuis plusieurs mois pourtant les événements qui surviennent tendent à nous démontrer le contraire. Déjà, l’année 2017 a été fortement marquée par les suspensions, perturbations ou limitations d’internet dans les zones anglophones, mais depuis le début de l’année 2018, on a l’impression que la répression est montée d’un cran.

Répression sévère

Au mois de mars dernier, un groupe d’enseignants, pour crier son ras-le-bol au sujet des conditions exécrables de travail, notamment la non prise en charge de certains d’entre eux même après plusieurs années passées sur le terrain, a décidé d’organiser un mouvement de grève qui devait consister à faire une marche de protestation suivant un itinéraire bien défini.

La manifestation n’aura pas lieu, car les enseignants du collectif seront dispersés par les forces de l’ordre, et certains arrêtés et mis en détention pendant plusieurs jours dans un commissariat de la ville de Yaoundé. Ces derniers n’ont été libérés qu’après avoir signé quelques documents parmi lesquels une lettre d’excuses adressée au Ministre et un autre document qui stipulait qu’ils acceptent de dissoudre leur collectif.

Toujours en mars, lors de la journée internationale de la femme, des femmes menées par le leader politique Edith Kah Walla, ont été arrêtées par les éléments des forces de l’ordre alors qu’elles défilaient en demandant une audience au président de la république pour s’entretenir sur la crise qui secoue les zones anglophones du pays et qui, au fil du temps, s’aggrave.

Ce n’est qu’après un bref séjour dans un commissariat de la place que ces femmes, parmi lesquelles se trouvaient plusieurs dames âgées et même une qui portait un bébé, ont été libérées et ont pu regagner leurs domiciles.

Les médias dans le viseur

La position des autorités a toujours été claire : sévir, et de la plus forte des manières, cquand elles le jugent nécessaire. Et malheureusement, les syndicats, les hommes politiques et autres activistes ne sont pas les seuls à en faire les frais.

La presse camerounaise, et les médias en général, subit de nombreuses pressions et intimidations sous diverses formes de la part des autorités. C’est ainsi que le Ministre de la Communication, en pleine émission, a menacé de fermer une chaine de TV si la chaine s’entêtait à donner la parole à ceux qu’il qualifiait de « sécessionistes » au nom de la liberté d’expression. Avant ça, le président du Conseil National de la Communication (CNC) avait déjà en début janvier 2017 mis en garde les médias qui feraient « l’apologie du sécessionnisme » dans leur couverture de la crise anglophone.

Si la condamnation de l’apologie du sécessionnisme peut paraître légitime, il se pose cependant un problème : il n’est pas exclu que les autorités considèrent le simple fait de donner l’information sur la crise anglophone comme « apologie du sécessionnisme ».

Le cas d’Ahmed Abba, correspondant de RFI accusé de « non dénonciation d’actes terroristes » et condamné à 24 mois de prison plus 55 millions de FCFA (85 mille euros) d’amendes, est assez révélateur de l’interprétation qui pourrait être faite si, par exemple, un organe de presse faisait une enquête sur la crise anglophone et décidait de donner la parole aux « sécessionnistes ».

Citons également le cas du journaliste Caristan Isseri qui après avoir subi un interrogatoire musclé, a été molesté et humilié au domicile d’un ministre sortant, au lendemain du remaniement ministériel du 02 mars. Il s’y était rendu pour un reportage, le service d’ordre du ministre l’a accusé d’espionnage (ce qui, même si c’était vrai, ne justifiait pas le traitement qu’il a subi).

Diabolisation des réseaux sociaux et des blogueurs

En novembre 2016, une campagne de diabolisation des réseaux sociaux a été initiée par les autorités camerounaises via le Président de l’Assemblée Nationale (PAN) et massivement relayée par certains médias. Le PAN attribuait la propagation des fake news aux blogueurs, notamment au sujet du déraillement du train de la compagnie Camrail qui a fait une centaine de morts et encore plus de blessés selon les chiffres officiels. Dans son discours d’ouverture de la session parlementaire de novembre 2016, le PAN pour qui les réseaux sociaux sont une « nouvelle forme de terrorisme », a recommandé que soient traqués et mis hors d’état de nuire ces « félons du cyberespace » et que des limites soient imposées à la liberté d’expression.

Cette campagne, c’est le prétexte idéal pour, le moment venu c’est-à-dire pendant l’élection présidentielle prochaine (et chaque fois que c’est nécessaire), suspendre internet et/ou les réseaux sociaux en toute « légalité », empêchant ainsi que ne soient reportées d’éventuelles irrégularités ou dysfonctionnements.

Inquiétudes
Il est à craindre qu’à la longue la répression et la privation du droit d’expression privent également les Camerounais de certains de leurs droits dont le droit de grève et le droit à l’information. C’est ainsi qu’on peut comprendre la recommandation du président du Syndicat National des Journalistes du Cameroun (SNJC) qui, dans un communiqué, déconseille vivement à ses membres « de se mettre inutilement en danger, en se rapprochant de certains hauts dignitaires de la république frappés de disgrâce ». Rappelons pour terminer que le Cameroun occupe le 129e rang sur 180 dans le classement mondial de la liberté de la presse effectué par Reporters Sans Frontières en 2018, ce qui est loin d’être reluisant.