Il y a quelques jours je rentrais d’Allemagne l’esprit focalisé sur une seule question à laquelle je n’ai toujours pas trouvé de réponse : quel est notre avenir à nous, Africains actifs sur internet et inconscients de ses innombrables dangers ?

Invitée par la Konrad Adenauer Stiftung, j’ai eu la belle opportunité d’être speaker à la convention annuelle autour des médias et la culture numérique Re:publica qui se tient tous les ans à Berlin depuis 11 ans. Cette année l’événement qui s’est tenu du 2 au 4 mai 2018 a rassemblé près de 9 000 personnes venues des 4 coins du monde. Mais ici je ne parlerai pas de chiffres. Je ne parlerai pas non plus du fait que j’ai eu la chance d’écouter Chelsea Manning ou encore Rebecca MacKinnon. Je parlerai de ma peur, celle causée par les abysses numériques dont nous n’avons pas conscience.

Facebook a été au cœur de nombreux débats, de nombreuses présentations, de nombreuses discussions. La question de la protection des données personnelles a été tournée, retournée et disséquée de toutes les manières. La machine à Like et à partages a été présentée sous son jour le plus laid, et comme je l’ai dit précédemment, j’ai eu peur. Surtout à cause de Facebook Free Basics qui contrôle l’accès au contenu numérique de millions de personnes dans les pays du tiers monde en le limitant aux sites internet qui « correspondent à ses critères », prétendant apporter la lumière à tous ces désespérés. Une action saluée par les gouvernements à coups de lancements pompeux.

J’ai également eu peur parce qu’internet est aujourd’hui présenté comme le salut de la jeunesse africaine qui ne jure que par les réseaux sociaux et le nombre de Like, une jeunesse à qui personne ne prend la peine d’expliquer les réalités derrière les algorithmes, les chambres d’écho et les données partagées. Une jeunesse qui, lorsqu’elle est un tant soit peu informée, pense que le cas Cambridge Analytica est un problème de Blancs. Pourtant cette même entreprise a été active lors d’élections au Kenya et au Nigeria.

Je me souviens d’une annonce de Facebook sur mon portable à l’ouverture de l’application un de ces nombreux matins. Facebook m’informait que la reconnaissance faciale était activée par défaut sur mon téléphone, et que j’avais la possibilité de la désactiver. Ce que je me suis empressée de faire. Puis j’ai fait un tweet expliquant que j’étais contre la reconnaissance faciale sur les réseaux sociaux à cause de la traque des utilisateurs sans leur consentement. Une personne dont je tairai le nom a ensuite tweeté ceci : « #Facebook reconnaissance faciale, je trouve cette option très pratique et il faut la laisser sur OUI car cela évite le vol de votre photo pour ouvrir un compte. @befoune dit avoir désactivé l’option, pour une fois l’#Afrique ne suit pas l’#Europe cette option est y interdite. » Ce tweet m’a attristée. Vraiment.

La réalité est de plus en plus numérique. La violation des droits change de forme, et bien qu’au cœur de l’action, nous ne semblons pas en prendre conscience. Aujourd’hui, pour faire taire les populations et éviter les rassemblements qui peuvent aboutir à des échanges d’idées et donc des questionnements, les pouvoirs publics n’établissent plus des couvre-feux. Non. Ils coupent internet. Pour empêcher les citoyens de partager leur opinion sur les questions politiques et sociales, ces pouvoirs créent des taxes sur la création de blogs et les publications sur les réseaux sociaux comme c’est le cas en Ouganda et en Tanzanie. Les journalistes locaux sont ouvertement menacés de sanctions s’ils « dépassent les limites établies ». Les citoyens qui prennent d’assaut internet pour conscientiser les populations sont de plus en plus étouffés. Seule une minorité s’insurge. Pourtant nous sommes tous victimes.

(Vidéo YouTube https://www.youtube.com/watch?v=AESeOwkWQhc&feature=youtu.be )

Le panel dont j’ai fait partie lors de Re:publica portait justement sur cette question. Sous le thème « How blogging is strengthening political coverage in Africa », la Konrad Adenauer Stiftung a permis à trois contributeurs de sa plateforme Africa Blogging de parler de la difficulté que c’est aujourd’hui de s’exprimer sur un blog ou sur les réseaux sociaux lorsque qu’on ne parle pas de sujets jugés légers par les dirigeants. Takura Zhangazha du Zimbabwe a parlé de l’influence rampante des mesures répressives appliquées en Tanzanie et en Ouganda sur son pays. Aisha Dabo de la Gambie a parlé du rôle central des réseaux sociaux et des campagnes numériques #JammehFact et #GambiaHasDecided dans le changement de régime dans son pays, mais aussi de la peur du nouveau gouvernement en place face à la puissance de ces outils qui, au final, sont une sentinelle et une menace pour lui. Ressortissante du Cameroun, j’ai parlé entre autres du fait que les internautes « subversifs » ont été qualifiés de terroristes à l’Assemblée nationale.

Alors que de nombreux pays prennent des mesures punitives pour la protection des données personnelles de leurs ressortissants, et que les lois promouvant la liberté d’expression sont adaptées au fait qu’internet devient un véritable espace de vie, les nôtres ne s’en soucient pas et ne se penchent sur la question que lorsque les activités des internautes sont jugées gênantes pour le bien-être des dirigeants qui n’en ont que pour leur autorité et leur enrichissement personnel.

J’ai peur pour nous, du fait que nos données, notre vie privée, sont manipulées à loisir par des multinationales que nous accueillons à bras ouvert en nous limitant au peu d’avantages qu’elles nous offrent, sans tenir compte du fait que nous sommes de véritables marchandises pour elles. J’ai peur pour nous qui ne nous soucions pas de nos droits numériques et qui pensons encore qu’internet n’est que du virtuel, un espace où rien ne peut nous arriver.