L’élection présidentielle qui s’est déroulée le 7 octobre dernier au Cameroun a été particulière. Non seulement la population camerounaise s’est montrée intéressée par le scrutin pendant les périodes de précampagne et de campagne électorale, mais en plus et contre toute attente, cet intérêt est allé grandissant, notamment pendant les audiences du contentieux post-électoral retransmises en direct à la télévision et sur internet. Ces audiences, très suivies, ont permis de comprendre qu’en réalité, la voix du peuple n’a pas compté lors de ce scrutin. C’est le tout puissant Conseil constitutionnel qui, en fin de compte, a « élu » Paul Biya président de la république du Cameroun, avec la complicité de l’organe en charge de l’organisation des élection, Elections Cameroon (ELECAM).

Irrégularités, fraudes, manipulation

Le scrutin du 7 octobre 2018 a été entaché de nombreuses irrégularités. Au nombre de ces irrégularités, on dénombre des cas d’expulsion des représentants des partis de l’opposition des bureaux de vote, des cas de bourrage ou tentatives de bourrage d’urnes dont les vidéos ont fait le tour de la toile, ou encore des cas d’usurpation d’identité tel que celui dont a été victime le trésorier adjoint du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), Okala Ebodé, qui a passé plusieurs jours en détention pour avoir osé protester après avoir constaté qu’une autre personne avait déjà voté à sa place.

À ces cas s’ajoutent des cas de procès-verbaux frauduleux, cas présentés devant le Conseil constitutionnel, qui évidemment n’en a pas tenu compte, et s’est contenté d’annoncer les résultats basés sur des chiffres tirés du procès-verbal de la commission nationale de recensement des votes. Une étude minutieuse de ce document révèle cependant de grossières erreurs de calcul. Si on en croit l’exemplaire présenté par Maurice Kamto, dans une vidéo publiée après le contentieux, le document contient des erreurs qui sont de nature à jeter un doute sur la crédibilité des chiffres avancés.

Par exemple, pour la région du Centre constituée de 10 départements, le candidat Garga Haman Adji de l’Alliance pour la Démocratie et le Développement (ADD) a eu en tout 1 819 voix. Curieusement, dans le Mfoundi, l’un des 10 départements de la région du Centre, le document officiel lui attribue 2 665 voix ! Par quelle gymnastique le total d’un candidat peut être inférieur à son score dans l’un des 10 département ? Ensuite, en additionnant les voix des différents candidats dans chaque département, on obtient un résultat différent de celui qui est indiqué dans le rapport d’ELECAM.

En supposant que le document présenté par Maurice Kamto dans la vidéo est authentique, on est en droit de se demander pourquoi de telles erreurs peuvent être commises et pas sanctionnée par une annulation totale ou partielle du scrutin telle que demandée par certains candidats. L’une des raisons à cela, c’est que le code électoral le permet. Ce qu’il faut savoir, c’est que l’arme la plus puissante que le régime actuel possède, c’est le code électoral taillé sur mesure et avec lequel il est presque impossible de le renverser.

Code électoral « complice »

Le code électoral camerounais, adopté en 2012, est mauvais. En réalité, il est taillé sur mesure pour permettre au président actuel de se maintenir au pouvoir à vie. Il suffit de parcourir quelques-uns des textes pour comprendre que tout a été pensé pour que, quel que soit le cas, il y ait toujours une possibilité pour le parti au pouvoir de tirer son épingle du jeu.

Selon le Code électoral camerounais, en cas de contentieux, seuls les procès-verbaux (PV) détenus par le représentant d’ELECAM font foi (article 115 alinéa 3). Ça veut tout simplement dire que, l’opposition ou ses représentant auront beau avoir des PV aux chiffres concordants, mais différents de celui du représentant d’ELECAM, ces PV n’auront aucune valeur devant le Conseil constitutionnel. Comment donc empêcher que les chiffres ne soient fabriqués et insérés dans les PV ?

Lors du contentieux post-électoral, cette situation s’est posée : l’opposition, notamment le MRC, a relevé que 32 procès-verbaux (sur 58) avaient fait l’objet de falsification. Et malgré leur insistance ces 32 PV n’ont jamais été produits pour vérification. Par contre, 6 de ces PV ont été présentés devant le Conseil, et à la surprise générale, les pages contenant les chiffres n’étaient pas signés de tous les membres de la commission, jetant ainsi le doute sur l’authenticité de ces chiffres.

L’autre curiosité du Code électoral camerounais réside en son article 134 qui donne au conseil constitutionnel la possibilité de rejeter toute requête contenant des griefs « ne pouvant avoir aucune incidence sur les résultats de l’élection ». En d’autres termes, il n’est pas question de savoir s’il y a eu fraudes ou pas. Il faudrait encore prouver que, sans ces irrégularités, le résultat de l’élection aurait été différent. Mais comment prouver cela, surtout à une cour qui, si on en croit les démonstrations faites par les avocats de Maurice Kamto (candidat du MRC), était déjà acquise à un candidat – certains membres du Conseil sont également membres du comité central du parti au pouvoir ?

Lors du contentieux, les avocats du Social Democratic Front (SDF) ont essayé d’obtenir l’annulation totale du scrutin, au motif justifié et solidement défendu que les populations des régions anglophones, où certains groupes sont en guerre avec l’État, n’ont pas pu voter – le taux de participation était de 5,36% dans le Nord-ouest et 15,94% dans le Sud-ouest. Recours rejeté, bien entendu, car comment prouver au conseil constitutionnel que cette impossibilité pour les populations de la zone anglophone aurait pu avoir une incidence sur le résultat de l’élection ?

Impossible donc, en s’appuyant sur le code électoral, censé être l’outil qui assure l’impartialité du scrutin, d’avoir gain de cause face au régime en place.

Passage en force

Le candidat Paul Biya a donc été, sans surprise, déclaré vainqueur de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018 par le Conseil constitutionnel, et ce malgré les recours en annulation totale ou partielle déposés et solidement défendus par les avocats du MRC et du SDF. Pourtant, certains camerounais n’étaient pas prêts à accepter ces résultats, notamment le candidat du MRC et ses sympathisants qui ont programmé plusieurs mouvements de protestation dans plusieurs villes du pays pour dire non au hold-up électoral qui venait d’avoir lieu.

Le 21 octobre dernier, veille de la proclamation des résultats par le conseil constitutionnel dont les décisions ne sont susceptibles d’aucun recours (article 136), une marche de protestation organisée par un député SDF a été interdite. Devant la détermination des manifestants à faire leur marche, les lieux ont été investis par la police et plusieurs manifestants, et même des journalistes venus couvrir l’événement, ont été arrêtés. D’autres manifestations ont été organisées par la suite, notamment dans les villes de Yaoundé et de Bafoussam. À chaque fois des manifestants ont été arrêtés.

On a l’impression que le président, élu selon ELECAM et le Conseil constitutionnel avec 71,28% des voix, met tout en œuvre pour museler une partie de la population qui conteste les résultats officiels et exige la vérité des urnes, vu que les résultats officiels puent la falsification.

Plan de Résistance

Le président « élu » a prêté serment le 6 novembre 2018. Pourtant, tout porte à croire que l’élection présidentielle du 7 octobre 2018 n’a pas fini de révéler ses surprises, notamment avec le candidat Maurice Kamto qui semble déterminé à ne pas se laisser voler ce qu’il considère comme étant sa victoire. Lui emboîtant le pas, les Camerounais de la diaspora ont décidé de mener un certain nombre d’actions visant à boycotter et à faire interdire ou annuler tous les concerts des artistes qui ont pris part au concert organisé par le parti au pouvoir le 6 octobre 2018, la veille du scrutin. Avec à leur actif un certain nombre de concerts déjà annulés, ces derniers semblent décidés à étendre leur action aux membres du gouvernement, chefs traditionnels et tout autre soutien du président Paul Biya.

Un organisme a également récemment vu le jour. Il s’agit du Comité de Résistance pour la Revendication et la Restitution du Vote du Peuple (ComitéC4R ou C4R) qui entend mener organiser et mener des actions de désobéissance civile – des opérations ghost towns sont prévues dès janvier 2019 – dans le but d’obtenir la vérité de urnes. Enfin, une levée de fonds pour la création d’une télévision pro-Kamto serait en cours.

Cette présidentielle est loin d’être terminée, et la suite s’annonce mouvementée.