Les infections au Covid-19 sont en augmentation dans toute l’Afrique. Bien que le nombre confirmé de personnes infectées sur le continent ne représente toujours qu’environ 5 % du total mondial et que le taux d’augmentation semble ralentir, les espoirs que l’Afrique se relève relativement indemne de la pandémie s’évanouissent.

Dans de nombreux pays, en particulier au Sud du Sahara, les systèmes de santé publique, déjà chancelants auront du mal à faire face à un afflux de patients gravement malades nécessitant des soins intensifs. Cette région ne compte que 3 % des médecins formés de manière conventionnelle, qui doivent faire face à un quart de la charge de morbidité mondiale, avec seulement 1 % de ses ressources financières dédiées aux soins de santé.

Malgré tout, le continent dispose de ressources qui peuvent l’aider à faire face à l’épidémie. Il dispose non seulement d’une grande expérience en matière de lutte contre les épidémies de maladies infectieuses, comme l’épidémie d’Ebola en 2014 et les pandémies de sida et de choléra, mais également d’une richesse en matière d’expertise médicale traditionnelle que le continent commence à peine à exploiter.

Les discours sur la médecine traditionnelle sont souvent accueillis avec des stéréotypes coloniaux condescendants de sorciers qui colportent de l’huile de serpent. Le ridicule inspiré par des dirigeants comme Yahya Jammeh, l’ancien homme fort de la Gambie, qui prétendait pouvoir guérir le sida par des massages et un mélange de plantes, ou les tentatives du régime malgache de commercialiser un remède non prouvé et tout aussi inefficace pour lutter contre le Covid-19, n’aident pas. En 1969, le premier président kenyan, Jomo Kenyatta, a qualifié les guérisseurs traditionnels « d’escrocs paresseux qui veulent vivre sur le dos des autres ».

Pourtant, s’il ne fait aucun doute qu’il existe des charlatans et des fraudeurs, il existe des preuves irréfutables que la majorité des praticiens sont compétents et expérimentés, et que leurs prescriptions à base de plantes peuvent être efficaces. Comme le note une étude récente, la recherche scientifique « continue de valider les allégations thérapeutiques relatives aux plantes médicinales faites par les praticiens traditionnels ». L’Institut de recherche médicale du Kenya rejette également l’idée que ces traitements sont moins bons que les remèdes conventionnels.

Reconnaissant ce fait, l’Organisation mondiale de la Santé et le Centre africain pour le contrôle et la prévention des maladies collaborent pour utiliser la médecine traditionnelle comme base de remèdes potentiels contre la maladie du Covid-19. La médecine traditionnelle peut également contribuer à compenser la pénurie de main-d’œuvre là où il y a très peu de travailleurs de la santé formés de manière conventionnelle. A l’échelle de l’Afrique, on compte  un médecin pour 40 000 habitants, mais un guérisseur traditionnel pour 500 habitants.

En intégrant leur expertise et leurs connaissances au système de santé national existant, et avec les mesures de protection appropriées, les pays peuvent remédier au déficit en personnel médical. Cela allège le fardeau du système de santé public, en libérant des ressources qui pourront être utilisées pour faire face à des situations d’urgence telles que la maladie du Covid-19.

Il y a trois ans, le parlement kenyan a adopté une nouvelle législation sur la santé, qui oblige le gouvernement à agir en ce sens. À ce jour, la loi n’est toujours pas appliquée. Outre que cela prive le pays d’un atout précieux dans la lutte contre le Covid-19, l’absence de reconnaissance officielle mène à la poursuite de la stigmatisation de la médecine traditionnelle et rend difficile pour le public de distinguer les escrocs des véritables praticiens. Cela prive le secteur des investissements nécessaires pour traduire les connaissances locales en services et médicaments bon marché, standardisés et accessibles.

Ce problème existe sur tout le continent. Alors qu’en 2018, la plupart des pays avaient élaboré des lois et des réglementations au niveau national ou des États pour régir la médecine traditionnelle, seuls trois États africains, le Bénin, le Ghana et le Mali,  ont déclaré disposer d’un plan national pour l’intégrer dans leurs services de santé nationaux. Ces plans devraient être une priorité absolue.

Pour lutter efficacement contre le Covid-19 et s’assurer que le continent est en mesure de fournir des services médicaux abordables et durables à long terme, l’Afrique devra mobiliser toutes ses ressources. Ce serait une tragédie si, dans ce combat, le continent ne parvenait pas à utiliser sa meilleure arme : ses habitants et leurs connaissances.