L’année 2017 s’est achevée au Cameroun dans une atmosphère mitigée: la fin d’une année difficile marquée par de nombreux événements au niveau national (Crise anglophone, attentats causés par Boko Haram, le nouvel ajustement structurel par le FMI pour ne citer que ceux-là) et le début d’une année pleine d’espoir (une année électorale qui, peut-être, marquera un changement radical à la tête du pays).
C’est cet espoir qui m’a poussée à regarder les discours de fin d’année du Président (sortant ?) de la République et ceux de trois des citoyens camerounais ayant officiellement déclaré leur candidature à la prochaine élection présidentielle prévue au Cameroun pour octobre 2018 : Me Akere Muna, porteur du mouvement NOW qui semble fédérer de nombreux jeunes, Cabral Libii, coordonnateur du Mouvement 11 millions de citoyens qui fait rêver certains d’un « Macron à la camerounaise » par son jeune âge (37 ans), et Maurice Kamto, président national du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC).
De nombreuses questions ont été soulevées à travers ces quatre discours. On a parlé football, Fonds monétaire international ou FMI, situation sociale du pays, on a été optimiste, pessimiste… Ne pouvant m’étaler sur près de 2 heures de discours écoutées, je présenterai 2 points que j’estime essentiels : la Crise anglophone car elle bat son plein, et la situation économique du pays suite aux nombreux prêts récemment et le nouvel ajustement structurel. Une version nettement plus longue et plus enrichie de cet article est disponible ici.
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La crise anglophone
La Crise anglophone est au cœur de tous les débats sur le pays et elle a occupé une place de choix dans les 4 discours écoutés. La perception de Paul Biya semble avoir changé sur la question : ce qu’il qualifiait de frémissement socio-politique il y a encore un an est à présent une crise nationale majeure. Selon le Président, les revendications socio-professionnelles ont été satisfaites, et la valorisation du bilinguisme se fera grâce à la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme (CNPBM) créée le 23 janvier 2017 (qui n’enregistre aujourd’hui aucun fait majeur si ce n’est le recyclage d’anciennes élites politiques et l’attribution d’une enveloppe de 3,4 milliards de francs CFA pour l’exercice budgétaire 2018).
Le chef de l’Etat a salué l’action des forces de l’ordre dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du pays et a promis aux séparatistes et aux sécessionnistes qui auraient récupéré le mouvement socio-professionnel lancé en novembre 2016 une lutte sans relâche mais sans excès. Rien sur les nombreux morts tués par des balles réelles le 1er octobre, mais condamnation des assassinats des membres des forces de l’ordre par des séparatistes. Toutes les morts ne se valent-elles pas ? La piste du dialogue a été écartée semble-t-il : « Le dialogue, je le précise bien, a toujours été et restera toujours pour moi, la voie privilégiée de résolution des problèmes, pour autant qu’il s’inscrive strictement dans le cadre de la légalité républicaine. » Etant donné qu’il a été formellement interdit de discuter de la forme de l’État en raison du caractère anticonstitutionnel de la question… pas de dialogue possible.
Pour Maurice Kamto, tout est la faute du “régime Biya”. Le Président actuel aurait hérité d’un pays stable et en paix et aurait favorisé le tribalisme et les haines entre Francophones et Anglophones. D’après le candidat déclaré, les agissements du régime actuel (au sein duquel il a été ministre délégué auprès du Ministère de la Justice de 2004 jusqu’à sa démission en 2011) conduisent le pays vers une guerre civile. C’est peut-être vrai, mais il convient tout de même de préciser que les origines de la Crise anglophone ne datent pas de 1982, année de la prise de pouvoir de Paul Biya, ou après. Paul Biya n’a fait que perpétuer le travail de phagocytation des Southern Cameroons commencé par Amadou Ahidjo. A la demande du média The Elephant Info, je suis revenue dans un article (en anglais) sur les origines des frustrations qui ont conduit à la crise actuelle.
Maitre Akere Muna ne s’est pas limité à de vagues informations. Il a présenté des données chiffrées : plus de 10 000 Camerounais ont abandonné leur village pour se réfugier aux frontières ; des milliers de Camerounais se sont exilés, et des centaines ont perdu la vie. D’après lui, avis que je partage, tout ceci ne se serait pas produit « si le dialogue avait primé sur la répression et la confrontation ». Cabral Libii ne s’est pas étendu sur le sujet, mais il a énoncé une vérité que personne ne saurait nier : « 2017 laisse le Cameroun à l’entrée d’une guerre. »
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La situation économique du pays
Le Président s’est félicité des encouragements du Fonds monétaire international ou FMI qui a salué la résilience et la diversité de l’économie du Cameroun… malgré l’ajustement structurel (léger selon les dires des officiels de l’institution) et le prêt de 666,2 millions de dollars attribué.
Akere Muna voit la chose d’un autre oeil. D’après son discours, les dettes contractées par le pays s’élèvent à 4 906 milliards FCFA, un montant qui n’est pas investi, et qui n’est en réalité même pas décaissé car le Cameroun ne remplit pas les conditions nécessaires au décaissement. Pourtant 12 milliards sont payés tous les ans au titre d’une dette qui n’est pas encore consommée, une somme qui aurait pu permettre entre autres de relever le secteur du café et du cacao en pleine crise suite à la baisse du cours des matières premières.
Le porteur du Mouvement Now a également mentionné les récentes révélations de la Commission nationale anti-corruption du Cameroun ou CONAC : 1 246 milliards FCFA ont été détournés au trésor public, soit l’équivalent de 75 % du budget annuel d’investissement de l’année 2016. Notons que le détournement s’étend sur 5 ans, entre 2010 et 2015.
Pour Cabral Libii, il est tout simplement révoltant que 11 ans après la rupture avec le programme PPTE (pays pauvre très endetté), le Cameroun renoue avec l’ajustement structurel. Le pays serait au bord de la crise économique. Selon lui, le plan triennal spécial jeunes de 102 milliards FCFA s’est révélé être une déception pour la cible et pour le pays. Les problèmes de trésorerie affectent durement les fonctionnaires qui ne bénéficient plus d’avances sur salaire, ainsi que les prestataires de l’État qui ne sont pas payés (le cas Hysacam est l’un des plus notables : le ramassage des ordures dans les grandes villes du pays a tout simplement cessé depuis des semaines).
Maurice Kamto a soulevé lui aussi de nombreuses tares économiques liées à l’ajustement structurel et aux prêts, et la longue histoire d’amour entre le régime Biya et le FMI qui date de 1987. Mais dans son cas, deux points ont retenu mon attention et tous les deux sont liés à cette déclaration : le pays fait face à « un endettement massif pour financer des projets mal étudiés, surfacturés et à l’efficacité douteuse ». Le premier point concerne les sommes englouties dans des barrages qui jusqu’ici ne résolvent aucun problème car les coupures d’électricité et l’absence d’électricité dans les villages restent une réalité.
Le second point concerne les tristement célèbres (et « ridiculement nommés » selon Kamto) ordinateurs PB Hev (Paul Biya’s Higher Education Vision). Selon les déclarations de Maurice Kamto, ces 500 000 ordinateurs qui étaient supposés coûter 75 milliards coûteront au final près de 200 milliards aux Camerounais : au prix unitaire de 300 000 FCFA annoncés par le ministre de l’Enseignement supérieur, on revient à 150 milliards FCFA ; si on tient compte des frais d’installation de Windows 10 et des intérêts à payer à Exim Bank China, 200 milliards FCFA de dettes sont plus proches de la réalité.
Il a été intéressant de savoir ce que chacun de ces politiques de la situation actuelle du pays. Le chef de l’Etat ne semblant pas très au fait du sentiment de ras le bol national, semblait présenter un bilan positif, et semblait se dire qu’après 35 ans l’heure restait à la réflexion sur de potentielles pistes d’action. Muna, Kamto et Libii se sont longtemps étendus sur une critique négative du bilan du régime en place et ont laissé très peu de place à la présentation de solutions constructives… ou à des actions concrètes menées à leur niveau. En cette année électorale, nous espérons plus d’action que de discours.