Après l’appel à manifestation lancé par Maurice Kamto pour demander le départ de Paul Biya du pouvoir après 38 ans de présidence, le gouvernement prend des mesures pour décourager les potentiels manifestants et empêcher les marches de se tenir.
Lors d’une conférence de presse tenue le 24 août au siège de son parti politique, le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), Maurice Kamto donnait un ultimatum au gouvernement qu’il juge illégitime, et précisément au président Paul Biya à qui il interdisait d’organiser de nouvelles élections sans au préalable réviser le code électoral, et sans entamer la résolution de la crise anglophone. Comme il fallait s’y attendre, les menaces du leader du MRC ont été ignorées, car peu après sa sortie, deux décrets présidentiels ont été rendus publics, dont un qui convoquait le corps électoral pour la date du 06 décembre 2020.
22 septembre…
Suite à la convocation du corps électoral en vue de la tenue des élections régionales, on observe une grande mobilisation sur les réseaux sociaux pour la marche dont la date prévue est le 22 septembre 2020.
Dans de nombreux groupes et sur les pages de membres et sympathisants du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, les publications visant à rappeler aux Camerounais l’injustice dans laquelle ils vivent depuis des décennies se font de plus en plus nombreux. Et à la lecture des nombreux commentaires, les personnes déterminées à manifester leur ras-le-bol ce fameux 22 septembre sont plutôt nombreuses.
Dans la diaspora camerounaise, des marches prévues dans de nombreuses capitales européennes ont eu lieu le 19 septembre, en prélude au rendez-vous du 22. Selon les activistes de la diaspora, ces marches ont pour but de passer un message aux autorités camerounaises friandes de violence, pour leur faire comprendre qu’aucune arrestation, torture ou violence exercée sur des manifestants pacifiques ne sera tolérée.
Nouvelles « alliances »
Si, après sa conférence de presse Maurice Kamto n’avait eu que quelques soutiens qu’on peut qualifier de timides, ces dernières semaines lui ont apporté d’autres soutiens, notamment du Chairman du Social Democratic Front (SDF) – dont un député avait déjà déclaré que la démarche du MRC rejoignait la leur.
Dans un communiqué signé le 2 septembre par Ni John Fru Ndi, le SDF prend officiellement position, en refusant de prendre part à toute nouvelle élection si trois conditions ne sont pas remplies, à savoir : la révision consensuelle du code électoral, l’instauration d’un cessez-le-feu dans les régions anglophones et l’exploration de pistes visant à mettre en place d’un système fédéral au Cameroun. Même si le SDF n’entend pas officiellement participer aux manifestations du 22 septembre, sa position vient renforcer la position du MRC.
À la suite du SDF, d’autres acteurs politiques ont annoncé être en discussion avec le MRC. C’est le cas de Djeukam Tchameni et, plus récemment, de la leadeure du Cameroon People Party (CPP) Kah Walla, qui depuis 2011 refuse de participer aux scrutins au Cameroun. Mais d’autres organisations se sont prononcées en faveur de la démarche du Pr. Kamto, parmi lesquelles des organisations de la société civile qui ont appelé à la création d’un Front Commun Républicain dont l’objectif serait de demander la révision du système électoral, la résolution pacifique de la crise anglophone et l’instauration d’une paix durable à travers la réconciliation nationale.
Résolution
Le 9 septembre dernier, le Sénat américain s’est prononcé sur le cas du Cameroun, en adoptant une résolution qui condamne autant les débordements de l’armée que les exactions des forces séparatistes qui, il faut le dire, se sont multipliées depuis la tenue du Grand Dialogue National en fin septembre 2019.
Dans cette résolution, les sénateurs mettent l’État du Cameroun en garde contre les privations de liberté, et exhorte le gouvernement à respecter les droits des citoyens à s’exprimer. En outre, le Sénat demande la libération des prisonniers politiques, et demande au gouvernement d’encadrer toute manifestation politique. Enfin, Les sénateurs américain demandent au département d’État d’imposer des sanctions ciblées à l’encontre des leaders qui seraient responsables d’exactions ou de violations des droits de l’homme.
Panique à bord
La détermination de Maurice Kamto, l’adhésion de certaines personnalités politiques et OSC à son appel et l’apparente mobilisation de certains camerounais pour la manifestation du 22 septembre, semble avoir des effets sur le gouvernement du Cameroun, qui a décidé de réagir de plusieurs façons.
Le 7 septembre, jour de la publication du décret convoquant du corps électoral, le Ministre de l’Administration Territoriale (MINAT), Paul Atanga Nji a organisé une conférence de presse dans laquelle il a mis en garde tous ceux qui tenteraient d’empêcher la tenue des élection régionales.
Il y a ensuite, ces arrêtés signés par les gouverneurs des régions du Centre, de l’Ouest et du Littoral qui interdisent « jusqu’à nouvel ordre » toute manifestation publique non déclarée, tout en rappelant que tout contrevenant « s’expose aux sanctions prévues par la règlementation en vigueur ».
Plusieurs autres ministres et personnalités feront des sorties visant à condamner la manifestation du 22 septembre qui est qualifiée tantôt d’insurrection, tantôt de rébellion, des actes punis par le code pénal camerounais. C’est le cas de ce communiqué publié le 15 septembre par le ministre de la communication porte-parole du gouvernement, René Emmanuel Sadi, qui parle d’appels à l’insurrection et rappelle que « ces faits sont prévus et réprimés par le Code Pénal ».
À Douala et à Yaoundé, des militants du MRC et d’autres partis alliés tels le CPP ont été arrêtés ou ont fait l’objet de tentatives d’arrestation. Certains, sur les réseaux sociaux, ont déclaré être sous surveillance. Dans les deux villes, on observe un important déploiement sécuritaire.
Tout ceci est ponctué par une contre campagne sur les réseaux sociaux et dans les chaines de radio et télévision, menée par diverses personnalités et dont la stratégie consiste à qualifier la manifestation prévue par Maurice Kamto d’insurrection. Entre temps, une contremanifestation organisée par des militants du parti au pouvoir, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) est prévue le même jour.
Avenir incertain
Alors que la bataille du 22 septembre est déjà engagée et que, l’on se doute bien, elle gagnera en intensité au fil du temps, nul ne peut à ce jour prédire ce qui se passera ce fameux jour. Les manifestations massives auront-elles lieu ? Si c’est le cas, quelle sera la réaction de l’armée et des autorités ? Les forces de maintien de l’ordre vont-elles faire usage de la violence comme ce fut le cas en octobre 2018, en janvier et juin 2019 ? Difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que le Cameroun joue son avenir, et que, entre septembre et décembre 2020, l’actualité pourrait être très mouvementée.