Le coup d’Etat constitutionnel semble être consommé depuis la destitution de la présidente de la Cour Constitutionnelle Danièle Darlan par le président de la République, le 25 octobre 2022. Le Président Faustin Archange Touadera tente d’écarter les obstacles à son projet de révision constitutionnelle. Un danger pour la République Centrafricaine, pays encore fragile et qui sort difficilement des décennies de la crise.

Par un décret du 25 octobre 2022, le président de la République, Faustin Archange Touadera a rapporté le décret entérinant la désignation de Danièle Darlan, présidente de la Cour Constitutionnelle. Le motif est qu’elle est admise à la retraite et qu’elle devrait cesser toute fonction car elle représente les enseignants des Droits de l’Université de Bangui. Cette destitution est vue par l’opposition comme un règlement de compte, car la Cour Constitutionnelle avait invalidé les décrets mettant en place le comité de réécriture de la nouvelle constitution de la République Centrafricaine.

Tout est parti le 23 septembre 2022 !

Le 23 septembre 2022, alors que la Cour Constitutionnelle avait annulé les décrets créant le Comité de réécriture de la nouvelle constitution, le conseillé politique spécial Fidèle Gouandjika avait déclaré à la presse internationale qu’un coup d’Etat constitutionnel est toujours possible : « La Cour constitutionnelle a dit le droit et nous acceptons cette décision. Nous aurions dû la consulter en amont du projet de décret. Nous ne sommes pas inquiets. Un coup d’État constitutionnel est toujours possible », avait-il déclaré.

Ce 23 septembre 2022, suite à la requête d’une partie de l’opposition réunie dans le Bloc Républicain pour la Défense de la Constitution (BRDC) du 30 mars 2016, la Cour Constitutionnelle avait jugé inconstitutionnel la mise en place d’un Comité Chargé de réécriture d’une nouvelle constitution.

Quelques semaines plus tard, la Présidente de la Cour Constitutionnelle Danièle Darlan a été mise à la retraite à l’âge de 70 ans et des tractations ont commencé pour son remplacement à la Cour Constitutionnelle en tant que représentante des Enseignants du Supérieur en Droit Constitutionnel. En effet, l’âge de la retraite est fixé à 65 ans pour les enseignants du Supérieur. Elle a contesté une note adressée par le ministre chargé du secrétariat général du gouvernement à son collègue de l’enseignement supérieur pour lui demander de lancer le processus d’une élection pour son remplacement.

L’opposition voit clairement un règlement de compte avant d’attaquer le décret de la destitution de la présidente de la Cour Constitutionnelle devant cette institution. Deux jours plus tard, le vice-président de la Cour Constitutionnelle, Jean-Pierre Waboue a été installé à l’absence de sa présidente comme président intérimaire de la Cour Constitutionnelle. L’opinion nationale et internationale a assisté sans doute à une dérive totalitaire du régime de Bangui, qui venait d’opérer un coup d’Etat constitutionnel sous prétexte de la mise à la retraite de Danièle Darlan.

Au fait, même si la décision de la Cour Constitutionnelle est susceptible d’aucun recourt, le parti au pouvoir s’obstine et soutien que la volonté du peuple est au-dessus de toutes les institutions de la République. C’est dans cette optique que plusieurs dizaines de milliers des partisans d’un Référendum Constitutionnel avaient à nouveau exprimé à travers les rues, le 22 octobre dernier, leur volonté d’aller au référendum pour permettre au peuple de s’exprimer sur cette question. Mais, deux obstacles étaient sur la route de la révision constitutionnelle : Danièle Darlan et son collègue Juge de la Cour constitutionnelle Trinité Bango Sangafio. Ils ont été limogés le même jour. La Cour Constitutionnelle est fragilisée. Elle est incomplète (5 juges sur 9) et ne peut plus délibérer. Un plan pour fragiliser cette institution et forcer un référendum constitutionnel sans avis de la Cour.

Le limogeage, un plan pour forcer le référendum constitutionnel

Le limogeage de deux juges de la Cour Constitutionnelle est un plan qui semble être clair dans l’esprit des observateurs de la vie politique du pays. La mise à l’écart de deux juges constitutionnels est un plan savamment orchestré pour obtenir le feu vert vers la révision constitutionnelle. Danièle Darlan a été sur le chemin de Touadera comme une épine sous ses pieds. Cette fois-ci, l’homme de Bangui a choisi délibérément de violer les dispositions constitutionnelles en ce qui concerne l’inamovibilité des juges constitutionnels pour sauter Darlan et son collègue Bango.

Danielle Darlan avait dans une note envoyée le 29 octobre au président de la République remis en question le remplacement des deux juges qui selon elle, sera entaché par la violation des dispositions constitutionnelles de l’article 99 de la loi fondamentale du pays, qui stipule que « la durée du mandat des juges Constitutionnels est de sept ans non renouvelable » et les membres de la Cour Constitutionnelle sont inamovibles pendant la durée de leur mandat, précise l’article 102.

Mais ce qui est marrant, la Communauté internationale n’a pas condamné cet acte flagrant, à l’exception de l’ambassade des Etats-Unis à Bangui qui a noté avec une profonde préoccupation une série d’actions concernant des membres de la Cour Constitutionnelle. Elle souligne que l’indépendance judiciaire est un principe central de la démocratie. « Nous appelons les autorités centrafricaines à assurer la sécurité et l’indépendance de la Cour Constitutionnelle. Les Etats-Unis réitèrent leur engagement à continuer de travailler aux côtés des autorités et du peuple centrafricains pour promouvoir la paix, la prospérité et nos principes démocratiques communs », pouvons-nous lire dans une déclaration datant du 28 octobre 2022.

Ce même 28 octobre, lors de sa rencontre avec les diplomates en poste à Bangui, le président Touadera a tenté de justifier son coup d’Etat par une simple raison de respecter les textes administratifs. « La Constitution en son article 99 dit que les Juges constitutionnels sont tantôt désignés, tantôt choisis, tantôt élus. Cette imprécision n’est pas relevée dans les débats autour de la question de savoir si Madame Danièle Darlan peut être considérée comme une élue, au même titre que le Président de l’Assemblée Nationale, qui en revanche, a un mandat législatif. Il faut aussi préciser que pour être candidat aux élections présidentielles et législatives, il faut demander et obtenir une mise en disponibilité qui vous sépare de l’administration, ce qui n’est pas le cas pour les juges constitutionnels », justifie-t-il.

« Enseignant du supérieur comme Madame Danièle Darlan et Monsieur Simplice Mathieu Sarandji (NDLR président de l’Assemblée Nationale, lui-aussi enseignant du supérieur mis à la retraite), je pourrai aussi être admis à la retraite, à la seule différence que totalisant 65 ans, la loi m’offre la possibilité de demander une année renouvelable. Les juges constitutionnels ont été soit désignés, soit élus, soit choisis par leurs pairs, ce qui signifie corrélativement qu’une fois mis à la retraite, ils ne peuvent valablement poursuivre leurs fonctions », avait déclaré le président Faustin Archange Touadera.

Le parti au pouvoir s’obstine, un danger pour la sécurité du peuple

Du 29 au 30 octobre dernier, le Mouvement Cœurs-Unis (MCU), le parti au pouvoir ainsi que ses alliés politiques se sont pris un rendez-vous à 22 km de Bangui pour définir des stratégies en vue d’un référendum constitutionnel. La première recommandation a consisté à demander au gouvernement de convoquer un référendum constitutionnel dans un bref délai, c’est-à-dire avant la fin de l’année. Cependant, la tension politique de baisse pas et les groupes armés se réorganisent pour barrer la route à ce projet qu’ils considèrent comme « suicidaire pour le pays ».

Cette erreur politique pourra couter cher à ce pays qui tente de sortir de plusieurs décennies des crises sécuritaires. Dans ce pays, malgré la présence de 12.000 casques bleus onusiens, la situation sécuritaire reste volatile.

Le forcing qu’opère le pouvoir est un danger pour voir ce pays replonger dans un cycle de violence. La violence sera inévitable si le gouvernement persiste dans son projet de doter le pays d’une nouvelle constitution, qui ouvrira certainement la voie à un troisième mandat ou plus. Même si le gouvernement mise sur ses alliés militaires, les forces russes et rwandaises afin de contenir les dérapages ainsi que les forces onusiennes qui ont un mandat de protection de la population civile, ce projet des réformes constitutionnelles reste une source d’affrontement armée dans le pays.

Jean Ngbandi

Photo : State Visit of President Faustin-Archange Touadéra of Central African Republic Kigali, 5 August 2021 – Photo by Paul Kagame on Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)