Le mercredi 28 novembre 2018 l’Assemblée Nationale du Sénégal a voté, en plénière,  le code des télécommunications électroniques.

Le projet a été adopté par les députés malgré les multiples dénonciations des associations de la société civile. Seize d’entre elles s’étaient réunies en conférence de presse pour alerter l’opinion sur les dangers du dernier alinéa de l’article 27 qui dispose que : « l’autorité de régulation peut autoriser ou imposer toute mesure de gestion du trafic qu’elle juge utile pour, notamment, préserver la concurrence dans le secteur des communications téléphoniques et veiller au traitement des services similaires».

A travers cet article, l’Etat du Sénégal s’engage à réguler les communications électroniques, un domaine dans lequel il n’avait presque pas ou très peu d’emprise. Si certains y voient une bonne initiative face aux multiples dérives constatées sur le web, d’autres y voient une manière de mettre fin à la neutralité du web. Ce qui serait une entrave à la liberté d’expression dans un pays démocratique.

Cependant, ces deux opinions pourraient se rejoindre sur le fait que l’État du Sénégal cherche en priorité à réguler un secteur hautement anarchique et qui multiplie les scandales au fil des mois. Le projet de loi a été  adopté en conseil des ministres le 6 juillet 2018. L’adoption de cette loi par l’Assemblée Nationale pourrait restreindre l’accès à certaines applications que les Sénégalais  utilisent au quotidien : WhatsApp, Messenger, Facebook, Skype, etc.

Au-delà de la liberté d’expression, la société civile redoute surtout les conséquences de cette mesure sur l’économie numérique, celle-ci prenant une part croissante dans le PIB du Sénégal. Les internautes sénégalais n’ont pas manqué de souligner cet état de fait dans la mesure où l’Etat à décider de tripler l’enveloppe allouée aux startups du numérique. Cette dernière passe d’un à trois milliards dans le financement de la Délégation générale à entrepreneuriat Rapide (DER). 

Une question d’intérêt

A travers cette loi, les consommateurs redoutent que l’autorité de régulation autorise les opérateurs le ralentissement ou le blocage des flux de données des utilisateurs afin de préserver leurs propres intérêts. De plus, elle pourrait faciliter la mise en place d’un internet à double vitesse avec une catégorisation des débits de connexion en fonction du profil du client. Ce qui serait contraire à la Constitution du Sénégal qui postule le droit à l’information et à la communication pour tous les citoyens. Nous sommes alors face à une loi qui est contre les intérêts des Sénégalais.

Retour sur un long processus de mise en garde des oisifs errants

Depuis plus d’un an le Chef de l’Etat du Sénégal, Son Excellence Macky Sall, a multiplié les sorties sur la nécessité de contrôler les réseaux sociaux. Il s’en prend même souvent aux utilisateurs. On se rappelle de sa phrase «ceux qui n’ont rien à faire et qui sont sur Internet à errer»  pour parler des citoyens sénégalais qui protestaient lorsque la seule machine de radiothérapie du pays était tombée en panne, mettant ainsi en danger les malades du cancer. Cette déclaration avait donné naissance au hashtag #OisifsErrants.

Lors de la remise des prix du Concours général (concours qui récompense les meilleurs élèves du Sénégal), le président Sall disait « qu’Il faut mettre en place un dispositif pertinent de gouvernance de ces ressources numériques éducatives, afin d’annuler les dérives et les dangers sur leurs manquements. D’où la nécessité d’organiser une veille stratégique collective et permanente pour contrecarrer les fakes news et autres informations fausses et malveillantes. Le Net est en train d’être complètement saboté par cette mauvaise pratique ». Il en était de mêmes à l’occasion du dernier Magal de Touba où il disait que « ceux qui font des dérives sur les réseaux seront identifiés, traqués, arrêtés et poursuivis ».

Plus récemment encore, dans son discours inaugural au Forum Paix et Sécurité de Dakar il y parlait de «la problématique de la surveillance de l’internet et de la répression de certains de ces usages. Elle mérite d’être posée sans détour, parce que la cybercriminalité est en passe de devenir une arme de destruction massive des sociétés et des valeurs qu’elles portent. Des garde-fous s’imposent. »

Ces propos du président de la République du Sénégal se font aussi l’écho de la justice qui de son côté elle a déjà mis en pratique les dernières réformes du code pénal et du code de procédure pénal. On peut notamment citer la journaliste Ouleye Mané qui est poursuivi pour avoir envoyé une caricature du président de la République dans un groupe Whatsapp, la chanteuse Amy Colé Dieng, proche de l’opposition qui est aussi poursuivie pour avoir envoyé sur Whatsapp une note vocale dans laquelle elle traitait le président Sall de « gecko » (expression très courante au Sénégal pour désigner un rusé ou un escroc). Toutes les deux sont en liberté provisoire attendant leur procès. Il y a aussi deux autres jeunes hommes qui sont en prison depuis 3 ans sans jugement pour des commentaires sur Facebook assimilés à de l’apologie du terrorisme.

Faisons comme tout le monde : COUPONS

Le Sénégal a toujours été montré en exemple pour avoir organisé au cours des dernières décennies des élections apaisées. Le rôle des médias durant les périodes électorales aussi a été salué. Depuis 2012, les réseaux sociaux sont devenues des plateformes incontournables pour la sensibilisation, la mobilisation, le monitoring et le partage d’informations. Aujourd’hui, par ce projet de loi relatif au code des télécommunications et plus particulièrement le dernier alinéa de l’article 27, le Sénégal rejoint la cohorte des pays africains où la censure règne en maître.

Il faut le souligner, ces dernières années les pays africains rivalisent dans la censure d’Internet. Dans certains pays, les coupures d’Internet sont devenues monnaies courantes. Si pour certains la mesure intervient  à la veille d’échéances électorales ou lors de protestations populaires comme en Gambie, au Mali, au Tchad…, dans d’autres le choix a été fait de légiférer pour restreindre l’accès. C’est le cas en Ouganda avec la nouvelle taxe sur les réseaux sociaux, en Tanzanie où les blogueurs sont maintenant dans l’obligation de payer une taxe de 900 dollars US par an pour disposer d’une licence de bloguer. Le Kenya, et la Zambie sont en passe de voter aussi une taxe. Le Benin l’avait déjà fait avant de la retirer. En Egypte, tout compte Twitter  ou page Facebook disposant de plus de 5000 followers doit se déclarer à l’Autorité de Régulation des Médias. Aujourd’hui donc, exit les arrestations, disparitions ou assassinats de cyberactivistes ou blogueurs. L’heure est à la « régulation », l’autre mot pour désigner la censure.

Le besoin de rationaliser les usages du web

Depuis quelque temps, plusieurs initiatives ont vu le jour sur internet afin de sensibiliser sur les différents usages que nous pouvons avoir du web. Parmi celles-ci, nous avons Netattitude qui est plateforme regroupant plusieurs blogueurs et passionné des outils digitaux qui se préoccupent de l’usage que l’on pourrait faire des réseaux sociaux dont les plus utilisés au Sénégal restent WhatsApp et Facebook. Cependant, leur action connait une certaine limite à en croire les différents scandales que l’on a pu connaitre ces derniers mois : insulteurs publics, partages de contenus à caractère sexuel, caricatures de hautes autorités politiques ou religieuses, etc.

Dans ce contexte, le législateur est le seul habilité à trouver un cadre juridique propice au développement de « comportement vertueux » sur internet.

Pour cela, une loi, n’importe laquelle, devrait avoir pour but d’encadrer et réprimer au besoin les pratiques ciblées et non de priver aux citoyens une liberté fondamentale, garantie par la constitution.