Voici un an que Félix Tshisekedi est au pouvoir en République démocratique du Congo. Quel bilan dresser à mi-parcours de sa gouvernance ? Le Congo de Patrice Lumumba, avec ses immenses richesses, est-il enfin sur les rails vers son développement ? Quels défis pour le nouveau chef de l’Etat après 18 ans de règne chaotique de son prédécesseur Joseph Kabila ? A mon avis, je peux affirmer que ce Congo, 80 fois plus vaste que la Belgique Belgique[1],  n’a pas encore vu le bout du tunnel.

En effet, c’est le 24 janvier 2019 que l’opposant Félix Tshisekedi prêtait serment en tant que cinquième président élu de la République démocratique du Congo. Ce fut la première fois qu’un opposant parvenait au pouvoir par des élections en RDC. Je ne reviens pas sur la polémique autour des contestations qui ont émaillé son élection le 30 décembre 2018. Un scrutin présidentiel auquel un autre opposant, Martin Fayulu Madidi, revendique toujours la victoire. Mais pour un pays où les armes étaient le moyen privilégié d’accéder au pouvoir, l’arrivée de Tshisekedi à la magistrature suprême, sans arme, est un symbole très fort. En RDC, c’est la première fois qu’un président sortant fait une remise et reprise avec un président entrant à travers des élections, fussent-elles contestées.

Espoirs déçus ?

Lors de son discours d’investiture, Félix Tshisekedi a fait sien le slogan de son père : « Le peuple d’abord. » Il porte en lui les espoirs de tout un peuple. Hélas, le slogan est plus facile à dire qu’à faire. Bien sûr, l’homme manifeste la volonté de poser des actions, mais il n’a pas les moyens de sa politique. Le fait qu’il n’ait pas de majorité au Parlement le contraint à composer avec Kabila dont la plateforme politique Front commun pour le Congo (FCC) détient plus de la moitié de députés et de sénateurs au Parlement. Bien plus, le gouvernement formé après près de 8 mois d’attente, est constitué en majorité de proches de Kabila, à commencer par le Premier ministre. Du coup, c’est presque la continuité de l’ancien régime dont la mauvaise gestion était la marque de fabrique.

Finalement, les espoirs placés par les Congolais en cette première alternance pacifique au pouvoir, se sont estompés. Le président peine à concrétiser ses promesses de campagne, particulièrement dans le domaine social. Les conditions de vie des Congolais sont toujours aussi précaires. Pour les uns, il est précoce de reprocher cela de manière absolue au nouveau chef de l’État en une seule année de mandat, tant les problèmes du pays sont immenses et innombrables, et il a encore 4 ans pour changer le pays. Pour les autres par contre, il n’y a rien à espérer en Félix Tshisekedi qu’ils présentent comme la marionnette de l’ancien président Joseph Kabila.

Tshisekedi face à des défis énormes

A son début de mandat, le travail qui attend le nouveau président congolais n’est pas facile. Il hérite d’un pays malade dans tous les domaines : économie exsangue, insécurité caractérisée par des massacres récurrents des civils en territoires de Beni, Djugu ou Yumbi, entreprises publiques en faillite ou presque, ravage de l’épidémie d’Ebola, absence de respect des libertés publiques, isolement diplomatique du pays, grogne sociale, etc.

Dans le domaine des infrastructures, Tshisekedi lance rapidement un programme d’actions à mener dans les 100 premiers jours de son mandat. S’ouvrent alors plusieurs chantiers de construction : ponts, routes, sauts-de-mouton, etc. Mais la plupart des chantiers resteront inachevés faute de moyens. Car, malgré ses énormes richesses naturelles, le Congo, un pays de plus de 80 millions d’habitants, ne dispose que d’un budget dérisoire de 5,9 milliards de dollars américains ! Impossible de faire des miracles. Plus grave, le degré de corruption des dirigeants n’a rien d’égal.

Pourtant, les Congolais, pensant trouver rapidement leur salut dans le nouveau régime, expriment sans plus tarder leurs désidératas par une vague sans précédent de mouvements de grève. Presque toutes les entreprises publiques ont débrayé au même moment. Certaines, comme la Miba, accusent des années d’arriérés de salaires. Les Congolais exigent de meilleures conditions de vie à l’immédiat. Face à une grogne sociale aussi grandissante qu’indomptable, le président n’a eu d’autres solutions que de multiplier des promesses. Et aujourd’hui, un an après, il ne les a pas encore tenues, en tout cas pour la plupart. Au Congo, les promesses non tenues c’est le sport favori de nos dirigeants.

Des mesures politiques de rupture

Mais dans cette première année de son mandat, Félix Tshisekedi a marqué quand-même des points précieux que personne ne peut nier. Pour marquer la rupture avec le régime de son prédécesseur, le nouveau chef de l’Etat a pris des mesures suivantes :

  1. Retour des exilés politiques : Cette mesure bénéficie à plusieurs opposants qui ne pouvaient plus revenir en RDC parce qu’ils craignaient d’être tués ou mis en prison par le président Joseph Kabila. Le cas le plus emblématique aura été le retour d’exil de Moïse Katumbi alors poursuivi par le régime de Kabila pour entre autres « recrutement de mercenaires » mais aussi condamné dans une affaire fantaisiste de « spoliation immobilière ». Aujourd’hui, Katumbi est un homme libre dans son pays, la RDC.
  2. Fermeture des cachots secrets des services des renseignements : Félix Tshisekedi a mis fin à tous les cachots clandestins qui, avant lui, étaient entretenus par le régime passé pour y torturer des opposants, des défenseurs des droits de l’homme, etc.
  3. Libération des prisonniers politiques : tous les prisonniers politiques ont été libérés en cette première année du mandat de Félix Tshisekedi. C’est le cas des opposants comme Firmin Yangambi, Diomi Ndongala, Franck Diongo, et bien d’autres encore. Cependant, il reste toujours le cas d’Eddy Kapend, condamné dans l’affaire de l’assassinat de l’ancien président Laurent-Désiré Kabila. Kapend reste en prison et n’a jamais bénéficié d’aucune amnistie alors que beaucoup le tiennent pour innocent.

Sur le plan diplomatique, Tshisekedi est celui qui a brisé l’isolement diplomatique dans lequel Kabila avait plongé le pays. Il a rétabli les bonnes relations avec la Belgique, la France, les Etats-Unis, l’Union européenne, le FMI… Bref la communauté internationale. Et donc on peut affirmer que le Congo est aujourd’hui fréquentable.

Gratuité de l’enseignement de base

Une autre réalisation phare de Tshisekedi c’est la gratuité de l’enseignement de base en République démocratique du Congo. Une mesure prévue par la Constitution mais jamais réalisée par le régime de Kabila qui a pourtant duré 18 ans. Tshisekedi a mis la mesure à exécution, supprimant du même coup une pratique ridicule vieille de plusieurs décennies et qui obligeait les parents d’élèves à payer les salaires des enseignants en lieu et place de l’Etat. Cela a valu à Tshisekedi les applaudissements des uns et les critiques des autres. Des applaudissements parce que plus de 2 millions d’enfants qui ne pouvaient pas étudier faute de moyens, ont rejoint le chemin de l’école. Les critiques c’est à cause du fait que cette gratuité laisse encore à désirer : plusieurs enseignants ne sont pas encore pris en charge par le gouvernement.

Beaucoup de choses restent à faire dans ce secteur de l’enseignement congolais éprouvé par des décennies de mauvaise gestion. Plusieurs enseignants éligibles à la retraite continuent à enseigner des enfants du primaire, certains sont même octogénaires. Les écoles se créent comme de petites boutiques en violation de la loi et au détriment de la qualité même de l’enseignement. Ce qui entraine des répercussions négatives sur le niveau du diplômé congolais.

La cohabitation difficile avec son « allié » Kabila

L’un des échecs de Tshisekedi c’est son attachement forcé à Kabila qui pourtant ne lui rend pas la tâche facile. Ses rapports avec son prédécesseur peuvent se résumer en cette phrase : « Je t’aime, moi non plus ». Un mariage contre nature est dicté par le fait que c’est l’ancien président qui a la majorité au Parlement. Jusque-là sa plateforme Front commun pour le Congo n’a eu de cesse de torpiller l’action de Tshisekedi, allant jusqu’à menacer de le destituer. C’est donc une relation très conflictuelle où chacun brandit à chaque fois la circonférence de ses biceps, au lieu de travailler au développement du pays. Récemment, le président Tshisekedi a menacé de dissoudre ce Parlement en majorité kabiliste, et en réaction la présidente de l’Assemblée nationale lui a adressé une mise en garde, menaçant de le destituer.

Ainsi donc, Tshisekedi peut trouver des excuses à certains de ses échecs, car effectivement il n’a pas les mains libres pour diriger, en raison de la présence d’une multitude d’apparatchiks de l’ancien régime qui sont dans les institutions clés et qui font tout pour le déstabiliser et le pousser à l’échec. De quoi donner raison à Martin Fayulu qui clame toujours que « c’est Kabila qui dirige le Congo à travers une marionnette qui s’appelle Félix Tshisekedi ». Pour ma part,  j’estime que si le nouveau président avait la majorité au Parlement et au gouvernement, les choses auraient peut-être marché autrement, parce qu’il affiche une volonté ferme de développer le pays.

Bref, un an après l’accession de Félix Tshisekedi au pouvoir, les Congolais sont partagés entre espoir et déception. Des signaux positifs dans le sens de la démocratie et de l’Etat de droit, il y en a eu ; par contre, le panier de la ménagère continue sa descente aux enfers.

 

[1] *référence faite à la Belgique parce que c’est l’ancienne puissance coloniale de la RDC