Le quartier du palais présidentiel de Conakry était sous le feux et les flammes dans la matinée du dimanche 05 septembre 2021. Des tirs nourris ont alerté les populations d’un putsch mené par un Groupement des Forces Spéciales dirigé par le Lieutenant-colonel, Mamady Doumbouya

 Une poignée d’heures pour anéantir le président Guinéen

Des militaires en treillis, encagoulés, armés d’armes lourdes ont quadrillé le quartier présidentiel de Conakry où se trouvait le président de la République la Guinée, le Prof. Alpha Condé. L’opération a débuté en début de matinée aux environs de 08heures.  Tout est allé comme sur des roulettes . Il n’aura fallu que quelques heures pour atteindre celui qui tient le drapeau Guinéen depuis onze ans.

L’homme fort de la Guinée, âgé de 83 ans, dépourvu de tous ses pouvoirs a été aperçu dans une vidéo tournée à Sekoutoureya par des militaires après son arrestation. Tourmenté, le regard hagard, la main sous le menton, le Prof Alpha Condé, entouré de militaires au regards de félins reconnaît désormais la fin de son règne.

3ème mandat, la goutte d’eau qui a débordé le vase

« La situation socio-politique et économique du pays, le dysfonctionnement des institutions républicaines, l’instrumentalisation de la justice, le piétinement des droits des citoyens, la gabegie financière (…) ont amené l’armée républicaine à prendre ses responsabilités vis-à-vis du peuple de Guinée » a déclaré dans une vidéo, le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, Commandant du Groupement des Forces Spéciales, l’unité d’élite de l’armée, à l’origine du putsch. Pour les putschistes, les populations guinéennes ne se reconnaissent plus dans la politique de gouvernance d’Alpha Condé.

Le président déchu de la Guinée, après la modification de la constitution, s’est présenté à un 3ème mandat qu’il a remporté dans des conditions peu démocratiques, alors qu’arrivé au pouvoir en 2010, l’ex opposant historique de Sékou Touré, père de l’indépendance de la Guinée avait promis le changement à son pays avec pour obligation, le respect de sa constitution . « Non! Je me tais sur ce qui se passe ailleurs, c’est pour ne pas gêner d’autres présidents qui, quelquefois, sont des amis. (…)Mais en ce qui me concerne, je ne modifierai jamais la constitution. Ce serait trahir ce pour quoi je me suis toujours battu. Ça doit être clair. En Guinée, il n’ y aura pas un 3ème mandat », le chef d’État Guinéen s’exprimait vendredi 1er Avril 2016,à l’issue d’une audience accordée au Représentant spécial de l’ONU, Dr. Mohamed Ibn Chambas à Sekoutoureya.

Cette déclaration, qui résonnait comme une lueur d’espoir même pour les peuples du fin fond de la Guinée, est battue en brèche quatre ans plus tard.  L’ « éclaireur » Guinéen, attaché désormais à un essaim mielleux n’aura pas du mal a déclaré sa candidature pour un 3ème mandat, faisant fi de la grogne populaire. Il remporte le scrutin présidentiel avec 59,49 %  contre 33,5 % pour Cellou Dalein Diallo, selon la Commission  Électorale Nationale Indépendante ( CENI),

La candidature controversée d’Alpha Condé pour un troisième mandat avait suscité des manifestations avant les élections, au cours desquelles au moins cinquante ( 50) personnes ont trouvé la mort, selon Amnesty International. Plusieurs autres organisations internationales ont dénoncé des irrégularités et les actes de violences et violations des droits de l’homme au cours du scrutin.

« Les actions brutales menées contre les manifestants et d’autres personnes à Conakry se sont inscrites dans un contexte de répression généralisée qui a fragilisé la crédibilité des élections », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique Centrale à Human Right Watch.

Le président Alpha Condé, réélu se conforte dans sa position  de seul maître  des lieux, balayant  du revers  de la mains  les revendications  des populations.

« Le Président a creusé lui-même sa propre tombe. Il savait bien qu’il a tripatouillé notre constitution pour être réélu pour un 3ème mandat. Il sait bien qu’il est dans le faux, mais en même temps, il refuse de tenir compte des revendications du peuple. Dans l’armée, il y avait même des grincements de dents avec le Groupement des Forces Spéciales. Il a toujours refusé de rendre cette unité autonome. C’est cette Force Spéciale qui l’a renversé aujourd’hui », a indiqué, Baladé K, membre  de Front National pour la Défense de la Constitution ( FNDC), joint par téléphone après l’arrestation d’Alpha Condé.

La réaction de la communauté internationale 

Quelques heures après l’arrestation du président Alpha Condé,la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest( CEDEAO),dans un communiqué signé par  le président Ghanéen, Nanan Addo Dankwa Akufo, le président en exercice, a condamné avec la dernière énergie le coup d’État perpétré contre le pouvoir Guinéen.

L’ organisation sous-régionale a exigé le respect de l’intégrité physique du président de la république, sa libération immédiate sans condition ainsi que celle de toutes les personnalités mises aux arrêts, avant de réclamer le retour à l’ordre constitutionnel sous peine de sanctions. Du côté des nations unies, Antonio Guterres, le secrétaire général a affirmé dans un communiqué, suivre personnellement la situation dans le pays, appelant à la libération immédiate du président Alpha Condé.

L’Union Africaine n’est pas restée en marge de cette vague de condamnation. L’institution panafricaine a publié un communiqué signé par son président en exercice, le chef de l’État Congolais, Felix Tshisekedi et son président de commission Faki Mahamat. Les deux dirigeants  condamnent toute prise de pouvoir par la force et demande la  libération immédiate d’Alpha Condé, tout en invitant le Conseil de Paix et de sécurité à se réunir d’urgence pour examiner la situation et prendre des mesures idoines.

La France a également réagit après le coup d’État. Paris  « se joint à l’appel de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest pour condamner la tentative de prise de pouvoir par la force survenue dimanche et demande le retour à l’ordre constitutionnel », écrit Jean- Yves Le Drian, porte -parole adjoint du Quai d’Orsay.

Le coup d’État en Guinée est un acte à condamner. Cependant, l’on espère que ce unième putsch servira de leçon aux autres dirigeants de l’Afrique francophone qui n’ont de projets que de tripatouiller la constitution pour s’éterniser au pouvoir.

 François M’BRA II

 

Crédit photo : Alpha Ousmane Souare