Albert Sharra

On dit que le temps file, et pour le président nouvellement élu du Malawi, le Dr Lazarus Chakwera, le temps joue déjà contre lui. Une chose est certaine, les Malawiens attendent toujours l’arrivée de la nouvelle ère annoncée avec tant d’insistance, non pas sur le papier mais comme véritable changement dans la vie des gens, en particulier des masses rurales et des jeunes.

Depuis son investiture en tant que sixième président du Malawi le 28 juin 2020, Chakwera a exposé ses ambitions pour le pays dans des discours prononcés au cours des cérémonies d’investiture et d’inauguration, notamment la cérémonie d’investiture de son premier cabinet. Dans tous ces discours, Chakwera, qui est un pasteur renommé, a souligné son intérêt pour la promotion du nationalisme et de la reconstruction nationale. Cela était toutefois attendu. Le gouvernement précédent dirigé par le professeur Peter Mutharika du Democratic Progressive Party (DPP) s’était montré médiocre à cet égard.

Chakwera, « la nouvelle fiancée »

Comme une nouvelle fiancée, Chakwera a profité de son discours de cérémonie d’inauguration qui coïncidait avec la célébration du 56e anniversaire de l’indépendance du Malawi le 6 juillet pour mettre en avant sa promesse d’une nouvelle voie pour le Malawi. Dans un discours bien écrit, qui a inspiré bon nombre de Malawiens, le président a entre autres promis de lutter contre la corruption et de donner des pouvoirs aux institutions de surveillance et de gouvernance. Le plus intéressant était toutefois la façon dont il a expliqué comment son gouvernement prévoyait de responsabiliser les citoyens individuellement.

Il a déclaré : « Tant que je serai président, j’insisterai sur le fait qu’on ne construira pas un Malawi qui ne soit construit par les Malawiens. L’appropriation collective de nos problèmes et la participation collective pour y remédier constituent la base de notre philosophie Tonse [ensemble].

Quand nous promettons de créer un million d’emplois, nous ne voulons pas seulement dire que nous créerons des programmes qui vous emploieront, mais également que nous vous incitons à cesser de vous considérer comme à la recherche d’un emploi et à commencer à vous voir comme des créateurs d’emplois.

Quand nous promettons que nous nous assurerons que chaque ménage peut consommer trois repas par jour, nous ne voulons pas seulement dire que nous vous donnerons des engrais à bon marché pour augmenter la production alimentaire, mais également que nous vous incitons à désormais travailler trois fois plus dur dans vos champs ».

En lisant entre les lignes, il était évident que le discours s’efforçait de clarifier l’une des principales promesses du principal partenaire, l’United Transformation Movement (UTM), qui avant de conclure une alliance avec le parti de Chakwera et d’autres partis, avait promis aux Malawiens un million d’emploi dans l’année. Étant donné la jeunesse de la population, cette promesse s’est accompagnée de milliers de votes qui ont aidé l’Alliance Tonse à battre sans appel Mutharika dont la philosophie de création d’emplois de son gouvernement reposait sur le projet d’universités communautaires, une reproduction d’une initiative américaine, mais structurée autour de jeunes diplômés dotés de compétences techniques, un concept qui n’a pas tellement fonctionné au Malawi jusqu’à présent.

À ce jour, le pragmatisme de la promesse d’un million d’emplois reste controversé. Le discours d’inauguration de Chakwera n’a fait que laisser ceux qui sont à la recherche d’un emploi songeurs quant à la façon de devenir des créateurs d’emplois dans un pays qui a déçu tant de citoyens potentiels pendant des années. Tout le monde attend de voir comment le nouveau gouvernement rendra cela possible.

« Des emplois pour les hommes »

Il est intéressant de noter que l’espoir flotte toujours dans le pays enclavé. L’Alliance Tonse a nourri dans la population un sentiment de « foi » et l’idée que les choses allaient changer pour le meilleur.  Cela est important, étant donné en particulier que le mandat de Chakwera arrive à un moment où le pays est enlisé entre stagnation et désespoir.  Depuis l’avènement de la démocratie, à l’exception bien sûr de quelques années de règne de Bingu Wa Mutharika, le leadership politique au Malawi ne donne espoir qu’à quelques-uns, rendant les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. Cinquante-six ans après l’indépendance, le Malawi reste l’un des pays les plus pauvres au monde, avec une estimation de 16,9  % du PIB en 2019.

Il est intéressant de noter que l’appel au changement a toujours été présent au Malawi, mais la question du « comment » a toujours été une parabole que même les membres du parti politique au pouvoir ont eu du mal à saisir pendant de nombreuses années. Même dans l’ancien parti au pouvoir, le Democratic Progressive Party (DPP), la nécessité d’un changement véhiculée par quelques membres du parti est ce qui a mis le feu aux poudres et mis fin à la dynastie de Mutharika en 2020.

Tout a commencé en 2018 après que la fondatrice du DPP, l’épouse de feu Bingu Wa Mutharika, Callista Mutharika, a demandé au frère de Bingu et au chef du DPP, Peter Mutharika, de se retirer de la politique et de laisser la voie aux jeunes leaders avant les élections de 2019. Elle plaidait pour la candidature de Saulos Chilima, qui était alors le vice-président de Mutharika. Le jeune Mutharika a débauché Chilima du secteur privé pour être son colistier lors des élections de 2014. Cette association a permis la victoire du DPP contre le président sortant, Joyce Banda. Chakwera qui représentait pour la première fois le parti fondateur du Malawi, le Malawi Congress Party (MCP), est arrivé second.

N’ayant pas réussi à convaincre Mutharika de ne pas se présenter aux élections de 2019, Callista et d’autres membres haut placés du DPP ont quitté le parti et ont formé l’UTM avec Chilima. Le parti s’est présenté aux élections pour la première fois en 2019, avec à sa tête Chilima. Le jeune politicien est arrivé troisième, avec 20  % des votes. Chakwera, qui s’était associé à Banda, est arrivé second avec 35 % des votes, tandis que Mutharika a remporté 38 % des voix.

Une élection truquée

Cependant, alors que Mutharika pensait que l’affaire était réglée, Chakwera et Chilima ont remis en cause les résultats de l’élection devant un tribunal. Le 3 février 2020, cinq juges de la Haute Cour siégeant à la Cour Constitutionnelle, ont annulé les résultats des élections présidentielles de 2019, citant  des irrégularités « généralisées, systématiques et graves », notamment l’utilisation significative de liquide correcteur sur les feuilles de résultats. Le tribunal a avancé que le liquide correcteur affectait la crédibilité et l’intégrité des élections. Il a ensuite ordonné la tenue de nouvelles élections dans un délai de 150 jours. Il a également précisé ce que « majorité » signifiait dans une élection, un avis juridique qui a donné naissance au système 50 + 1 pour élire le président au Malawi.

Dans un pays où les citoyens votent en fonction des régions et des affiliations tribales, il était évident qu’aucun des quatre principaux partis politiques ne pouvait prétendre à une victoire franche. Cela a donné lieu à des pourparlers en vue d’alliances. L’opposition a conclu une alliance à neuf partis sous la bannière Tonse (ensemble), dirigée par Chakwera en tant que président et Chilima comme vice-président. Mutharika s’est associé au premier parti politique démocratiquement élu, l’UDF, qui est dirigé par Atupele Muluzi, fils de Bakili Muluzi, fondateur de l’UDF et premier président démocratiquement élu du Malawi.

L’opposition a bâti une force solide contre le DPP. La rhétorique de campagne contre Mutharika reposait sur la corruption et le népotisme, en particulier le fait que son gouvernement avait favorisé les individus de la région du Sud, le bastion du DPP. Des nominations ministérielles aux directeurs des institutions paraétatiques, des individus issus d’une seule région dominaient les postes. Cela a renforcé l’appel au changement et quand les Malawiens sont arrivés en grand nombre pour voter lors des deuxièmes élections présidentielles le 23 juin 2020, ils ont voté pour un « changement » et ont élu l’alliance dirigée par Chakwera à une écrasante majorité de 59,33 % des voix contre 39,93 % pour Mutharika.

En quête de changement

Le gouvernement a changé, certes, mais peut-être pas les systèmes et les idéologies politiques. Cela se confirme si l’on regarde les premières décisions du nouveau gouvernement. Par exemple, les Malawiens, qui désiraient ardemment un changement réel, ont été choqués à l’annonce du premier cabinet de Chakwera le 8 juillet. Les nominations du cabinet ont suscité la colère des Malawiens, qui ont exprimé sur les réseaux sociaux leur déception et leur dégoût, accusant Chakwera de nommer des membres de sa famille et d’autres individus au passé trouble.

Le colistier de Chakwera lors des élections de 2019, Sidik Mia, est devenu ministre des transport tandis que sa femme s’est vue nommer ministre adjointe des terres. Les ministres du travail et de la santé sont un frère et une sœur tandis que le ministre de l’information est la belle-sœur du ministre adjoint de l’agriculture. Une telle liste a remis en doute dans l’esprit des Malawiens le fait que le changement tant annoncé était finalement arrivé.

L’affreux visage du régionalisme qui a dominé l’ère de Mutharika réapparaissait dans le nouveau cabinet. Plus de 70 % des ministres du cabinet sont issus de la  région centrale du Malawi, le bastion du parti politique de Chakwera.

Réagissant à la formation du cabinet sur sa page Facebook, le professeur de droit à l’université du Cap en Afrique du Sud, Danwood Chirwa, a explicitement déclaré : « C’est probablement le cabinet le plus incestueux depuis 1994. Je lui [le cabinet] donnerai la note de 30 %, le minimum requis étant de 50 % ».

Ses réserves les plus importantes concernaient le fait que le cabinet comptait des individus qui auraient participé au scandale de corruption historique de 2012 surnommé « Cashgate », au cours duquel d’importantes sommes d’argent public avaient été détournées par le biais de l’attribution de contrats douteux.

« Comment peut-on prétendre être sérieux en matière de corruption, quand les cerveaux et les bénéficiaires du cashgate font partie du gouvernement ? », s’est-il interrogé.

Bien sûr, peu importe la mesure dans laquelle le nouveau gouvernement peut lutter contre la corruption, épargner des individus uniquement parce qu’ils font partie de l’Alliance Tonse est une bête noire qui peut hanter l’alliance à l’avenir. L’erreur commence par son association avec des individus qui auraient volé de l’argent public ou dont la moralité est douteuse.

D’autres critiques ont décrit le cabinet comme un cabinet de « Remerciements ». Bien sûr en politique, ceux qui contribuent le plus sont plus susceptibles d’obtenir des postes dans le nouveau gouvernement.

Malgré l’indignation, Chakwera a défendu son cabinet.

Il a déclaré : « Je pense qu’une société juste n’est pas seulement une société dans laquelle les liens familiaux, régionaux et conjugaux ne vous qualifient pas pour une fonction publique, mais aussi une société dans laquelle ces liens ne vous disqualifient pas pour une fonction publique.

La seule chose qui compte est le mérite, mais je dois ici m’empresser d’ajouter comment le mérite est défini dans notre Philosophie Tonse, car pendant trop longtemps, nous avons mal défini le mérite dans ce pays. Pendant trop longtemps, nous avons réduit le mérite aux références académiques et à la popularité sur les réseaux sociaux, mais je pense qu’il est maintenant incontestable que nous avons de nombreuses personnes éduquées et populaires qui sont soit inexpérimentées soit médiocres en matière de leadership politique.

Être ministre au sein du gouvernement, c’est accepter la responsabilité d’un leadership national et politique. Cette responsabilité ne doit être accordée à un individu qu’au mérite, lorsque le mérite signifie des antécédents avérés pour diriger les individus efficacement afin de produire des résultats face à des obstacles extraordinaires et des complexités politiques. Personne dans ce cabinet n’échoue à ce test ».

Bien que le président ait justifié ses nominations, les gens continuent d’émettre des réserves et ne laisseront exploser leur colère qu’à la prochaine erreur. Ce que tout le monde sait, c’est que le cabinet est une belle récompense accordée aux individus et institutions qui ont contribué au parcours qui a démis le gouvernement de Mutharika. Cela ne posera pas de problème si le cabinet produit de bons résultats mais cela constituera une justification si les nominations futures sont dénuées d’appartenance régionale. D’un point de vue éthique, la période de probation de cinq mois accordée aux ministres ne remédiera pas à l’image de régionalisme et de favoritisme créée par les nominations.

La lutte contre la corruption – un défi colossal

La lutte contre la corruption est un autre sujet qui hantera le nouveau gouvernement s’il avance à pas de tortue ou l’utilise à des fins de persécution politique. Jusqu’à présent, quelques arrestations ont été réalisées, la principale étant celle du directeur de la sécurité de Mutharika, Norman Chisale, et d’autres fonctionnaires haut placés du gouvernement sur la base d’allégations de participation à des importations de milliers de tonnes métriques de ciment en duty-free en utilisant le nom de Mutharika.

Cependant, le nouveau gouvernement a un record à battre. Le gouvernement de Mutharika avait bien commencé à poursuivre les affaires du cashgate mais avait échoué à aller jusqu’au bout au cours de son mandant de cinq ans. La plupart des suspects circulent librement dans les rues du Malawi et il revient au gouvernement de prouver qu’il est sérieux à ce sujet.

Cela ne sera pas chose facile, en particulier puisqu’ils ont repris les rênes du gouvernement au moment où le COVID-19 ravage le pays et où l’économie agraire chancelle. Les confinements qui ont contribué à ralentir les taux d’infection ailleurs sont confrontés à un défi juridique auquel a eu recours la Human Rights Defenders Coalition (HRDC). Les lois archaïques du pays limitent également ce que le gouvernement peut faire pour restreindre les mouvements publics. Tant qu’une affaire sur le confinement portée devant la Cour constitutionnelle n’est pas résolue, rien ne peut être fait. À ce jour, 67 personnes sont mortes en raison de la pandémie et plus effrayant encore est le fait que plus de 223 professionnels de la santé ont été testés positifs au virus, ce qui est susceptible d’ébranler l’intervention.

NB :  Cet article a été publié pour la première fois en Anglais le 21.07.2020, certains détails peuvent avoir changé.