Une résolution du parlement européen votée le 18 avril dernier interpelle le gouvernement camerounais sur la gestion de la crise anglophone qui dure depuis 2016 et sur le respect des droits fondamentaux des citoyens, notamment ceux arrêtés lors de manifestations non autorisées consécutives à l’élection présidentielle.

Le ministre camerounais de la communication, porte-parole du gouvernement, René Emmanuel Sadi, a donné une conférence de presse dans la nuit du 22 au 23 avril 2019, en réponse à la résolution votée par le parlement européen qui accuse le Cameroun de plusieurs manquements au niveau sécuritaire, dans la gestion de la crise anglophone, mais aussi au sujet des arrestations et de la détention de Maurice Kamto, leader du Mouvement pour le Renaissance du Cameroun (MRC) et de ses alliés et sympathisants.

Dans cette même résolution, le parlement européen demande au Cameroun la libération immédiate de Maurice Kamto et des prisonniers politiques, la révision de la loi de 2014 sur le terrorisme jugée liberticide et exige la révision du code électoral avant les prochaines élections. À l’Union Européenne, le parlement propose « d’utiliser les leviers de l’aide au développement et de ses autres programmes bilatéraux avec le Cameroun pour amener ce pays à améliorer la protection des droits de l’homme ».

La réponse du gouvernement camerounais n’a pas tardé. Le 19 avril soit le lendemain de l’adoption de la motion par le parlement européen, c’est d’abord le président du sénat camerounais, Marcel Niat Njifenji qui, dans un communiqué, dénonce ce qu’il qualifie de « campagne de dénigrement » du Cameroun, tout en condamnant l’ingérence de l’Union Européenne dans les affaires du Cameroun.

C’est à la suite du communiqué du président de la chambre haute du parlement camerounais que René Emmanuel Sadi, ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, a organisé une conférence de presse ce 22 avril.

En substance, le ministre refuse toute ingérence étrangère dans les affaires internes et rassure l’Union Européenne que l’État du Cameroun a pris les mesures adéquates pour régler les différents problèmes auxquels il fait face, et ce dans le respect des lois. Mais le ministre va plus loin. Il dénonce la mauvaise foi autorités européennes et affirme que le Cameroun « ne saurait aucunement accepter des injonctions sur fond de chantage à peine voilé ».

L’État du Cameroun vient donc de s’engager dans un bras de fer avec l’Union Européenne. Mais pourra-t-il tenir? Rappelons que les députés européens ont proposé que les leviers de l’aide au développement soient utilisés pour contraindre le Cameroun à appliquer cette résolution.

En s’interrogeant un peu sur les relations qu’entretient le Cameroun avec l’Union Européenne on apprend que « depuis 1957, l’Union Européenne est le premier partenaire économique et le premier bailleur de fonds du Cameroun ».En effet, selon des chiffres publiés en 2016, 46% des exportations totales du Cameroun se font en direction de l’Europe, tandis que 35% des importations camerounaises proviennent du continent européen.

L’Union Euopéenne soutient également le Cameroun dans divers domaines. Par exemple, le plan d’action FLEGT (Forest Law Enforcement, Governance and Trade) mis en place en 2003 permet au Cameroun de combattre l’exploitation illégale des forêts. En 2009 une convention de financement est signée entre les deux entités pour « appuyer l’amélioration de la gouvernance dans le secteur forestier au Cameroun ».

Sur le plan technique et financier, le Cameroun bénéficie du Fonds Européen de Développement (FED), dont l’objectif est de financer les activités de développement prévues par l’accord de Cotonou, depuis 1960. « Au Cameroun, entre le 1er FED, signé en 1960, et le 11eme FED, signé en 2014, cet instrument a financé des projets pour plus de 953.43 millions d’euros (626 milliards de FCFA) au titre de dons au développement dans divers secteurs ».

Ainsi, que ce soit dans le domaine de l’éducation, de l’environnement, de la santé, du commerce, de l’industrie ou encore des projets sociaux, le Cameroun semble largement dépendre de l’appui de l’Union Européenne. En revendiquant sa souveraineté tel que l’a fait l’État du Cameroun via son porte-parole René Emmanuel Sadi, le Cameroun ne se met-il pas en mauvaise posture ?

Si, écoutant les députés européens, l’Union Européenne décide de se servir de l’aide qu’elle apporte au Cameroun depuis 1960 pour mettre la pression au pays de Paul Biya, le gouvernement pourra-t-il faire face à cette situation ?

Le contexte économique au Cameroun est précaire depuis plusieurs années. La balance économique largement déficitaire, et l’insécurité frontalière qui dure depuis plusieurs années est un véritable gouffre à sous. Avec le conflit en zone anglophone qui a lui aussi d’énormes conséquences sur l’économie, il y a fort à parier que sans la perfusion financière que constituent les diverses aides et appuis des puissances étrangères et institutions internationales, le pays sombre très vite dans le chaos.

Et si le Cameroun, par miracle, tenait sans l’aide de l’Union Européenne, serait-il pour autant tiré d’affaire ? Pas forcément.

Le parlement Européen, emboîtant le pas aux États-Unis qui ont récemment réduit leur aide militaire au Cameroun à  la suite des allégations crédibles de violations flagrantes des droits de lhomme commises par les forces de sécurité, a demandé à l’Union et à ses États membres « de veiller à ce qu’aucune aide accordée aux autorités camerounaises ne puisse contribuer à des violations des droits de l’homme ni les faciliter ».

Pour le moment, la réaction de l’Union Européenne suite à la réponse musclée du gouvernement camerounais est attendue, mais tout, jusqu’ici montre que le Cameroun est de plus en plus isolé par ses anciens partenaires techniques et financiers internationaux. On se souvient quen janvier 2019, c’est la Chine qui suspendait 130 milliards de financements attribuésau Cameroun pour la réalisation de certains projetsd’infrastructure, pour non-respect des engagementscontractuels par la partie camerounaise.