Aux États-Unis, l’impasse politique remet en question bon nombre des idées reçues sur la démocratie dans cette puissance nucléaire nord-américaine de plus 330 millions d’habitants. Le président autoritaire sortant, Donald Trump, qui, à 74 ans est déjà l’un des plus anciens chefs d’Etat du G-20, s’accroche au pouvoir et refuse d’accepter sa défaite contre Joe Biden, le chef de l’opposition, encore plus âgé que lui.

Avant l’élection, M. Trump a érigé une barricade – un mur impossible à franchir – autour du palais présidentiel officiellement connu sous le nom de Maison Blanche, dans la capitale côtière du pays, Washington DC, ne faisant qu’ajouter aux craintes de le voir refuser de céder le pouvoir en cas de défaite.
Pour le reste du monde, la question que tous se posent est la suivante : comment la situation a pu en arriver là ? Comment un pays qui se présente comme un modèle démocratique pour le monde entier – « cette place au soleil » – peut-il avoir autant de mal à organiser des élections et maîtriser un président véreux ?

Située stratégiquement entre deux des plus grandes économies de la planète, le Mexique et le Canada, l’Amérique est un pays de profonds contrastes – une beauté naturelle à couper le souffle, d’importantes ressources naturelles et des habitants chaleureux, mais qui se caractérise aussi par des divisions ethniques, et des inégalités et une pauvreté profondément ancrées. Un pays chef de file en matière de découvertes scientifiques et technologiques, mais dirigé par une élite corrompue et vorace, et qui a du mal à accepter l’héritage de son passé raciste et colonial.

De même, si Trump et Biden ont bien des points communs – tous deux sont riches et accusés d’exploiter la charge publique à leur profit et à celui des membres de leur famille par la corruption – ils représentent des visions très différentes de ce pays riche en pétrole, longtemps considéré comme un îlot de stabilité dans une région tourmentée.
Il y a quatre ans, frustrée par une élite politique qui avait présidé des années de déclins et d’espoirs trahis, une partie de la société américaine, composée principalement de membres de la majorité ethnique blanche vivant dans le vaste intérieur rural du pays, s’est tournée vers Trump, outsider politique au message haineux qui jouait des divisions ethniques, diabolisait les immigrants et les réfugiés et promettait un retour à un grand passé mythique. Trump a pourtant fait l’inverse : en brisant les alliances traditionnelles de la nation et en exacerbant ses divisions internes, il a affaibli le pays et l’a décridibilisé aux yeux du monde. Même les succès économiques, qui sont à la base de sa campagne de réélection, ont été anéantis par sa mauvaise gestion de la pandémie mondiale, qui a jusqu’à présent entraîné près de 250 000 décès évitables parmi ses concitoyens.

Biden a maintenant été élu par l’autre moitié des Américains, une coalition de minorités ethniques et de blancs modérés, également sur un argument de retour à un passé mythique, mais plus récent. La mission qui lui a été confiée consiste essentiellement à défaire le chaos des années Trump et à résorber les divisions.

Cependant, l’idée d’une utopie pré-Trump est une fiction. Le fait est que Trump est un symptôme des problèmes que connaît l’Amérique, mais il n’en est pas la cause ; il s’est contenté d’exploiter un état de fait qui existait bien avant qu’il ne fasse son entrée en scène. Pour réparer le pays, il ne suffira pas de le remplacer par un membre de l’ancien régime.

Certains diraient que le problème est que les deux camps ne regardent pas assez loin en arrière. Comme en témoignent les troubles politiques qui ont balayé le pays dans les mois précédant les élections, les problèmes auxquels les États-Unis sont confrontés remontent à leur fondation comme première colonie anglaise, au génocide qui a accompagné la conquête de la population autochtone, à l’esclavage qui a permis l’exploitation de ses ressources et à la discrimination qui légitime à ce jour les inégalités flagrantes et permet à une infime minorité de profiter du travail du plus grand nombre.

Tout comme d’autres pays aux prises avec un passé traumatisant, les États-Unis doivent faire face à l’héritage de ce passé qui continue aujourd’hui d’empoisonner les relations ethniques entre ses citoyens. Sur ce point, le pays pourrait s’inspirer d’autres anciennes colonies, telles que l’Afrique du Sud et le Kenya, qui ont fait l’expérience des commissions de vérité et de réconciliation.
Les États-Unis devront également se pencher sur les failles systémiques de ses dispositions démocratiques et y remédier. Si le pays aime à penser avoir réussi à se tirer des griffes de la monarchie coloniale après avoir accédé à l’indépendance, en vérité, comme nombre d’anciennes colonies qui avaient conservé les Etats coloniaux après l’indépendance, aux Etats-Unis, la monarchie s’est réincarnée sous la forme d’une présidence puissante.

Au cours des deux derniers siècles, la première-née britannique a continué à accroître le pouvoir de cette fonction, tout en la délivrant dans le même temps des restrictions constitutionnelles. Alors que la démocratie était autrefois considérée comme un moyen pour le peuple de s’auto-gouverner, le pays l’a transformée en un mécanisme permettant, pour l’essentiel, de nommer un roi.

Façonnés par leurs anciens maîtres coloniaux, les Américains en sont venus à traiter leurs présidents comme des mortels et sauveurs supérieurs, en leur attribuant des qualités messianiques, en leur sculptant des monuments colossaux dans les montagnes et en traitant leurs paroles comme des perles de sagesse venues du tout-puissant. La description que la vice-présidente élue, Kamala Harris, fait de Biden dans son discours d’acceptation est dans la même veine : « Nous avons élu un président qui représente ce qu’il y a de meilleur en nous. Un leader que le monde respectera et que nos enfants pourront admirer. Un chef suprême qui respectera nos troupes et assurera la sécurité de notre pays ».

C’est cette voie qui a inexorablement conduit le pays vers Donald Trump. Pour faire marche arrière, les États-Unis devront poursuivre la réforme de leur système, réintroduire la responsabilité de la présidence et réduire certains de ses pouvoirs. Plutôt que de se concentrer sur le choix des dirigeants, le pays doit encourager la participation de ses citoyens à la gouvernance de leur État.
Espérons que l’impasse politique et les tensions croissantes dans le pays seront résolues pacifiquement, car le peuple américain mérite mieux. Cependant, il doit garder à l’esprit que l’élection de Joe Biden n’est qu’un premier pas sur le long chemin vers la démocratie.