Deux ans après son début, la crise dite anglophone continue à sévir dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest (communément désignées par le terme « NoSo ») du Cameroun. Avec le temps, les choses ont empiré au point de se transformer en un conflit armé qui oppose les forces armées camerounaises aux forces de défense ambazoniennes. Conduits en 2018, année électorale, sans que la situation se soit améliorée dans la partie anglophone du Cameroun, il y a fort à craindre qu’à l’issue du scrutin du 7 octobre, la scission du Cameroun soit définitivement prononcée.

Contester la légitimité de l’État central

Au moment où les activistes anglophones se jettent dans la bataille contre le pouvoir central, le but est clairement de contester sa légitimité. Ils estiment que « La République » occupe leur territoire de façon illégitime et en plus essaie de les phagocyter culturellement en imposant le français à tous les niveaux de l’administration.

Pour contester la légitimité de Yaoundé, des « ghost town », journées pendant lesquelles aucune activité économique n’est menée sont instituées par le Consortium qui était alors l’organe qui prenait les décisions et dirigeait la lutte non armée. À l’époque, l’objectif du Consortium est visiblement d’affaiblir économiquement l’État central étant donné qu’une bonne partie des ressources viennent des régions anglophones, dans le but d’obtenir une négociation sur la forme de l’État.

Les choses ne se passent pas comme prévu : le Consortium est banni, ses leaders arrêtés et en bonus, internet est suspendu dans les deux régions anglophones pendant 93 jours. En conséquence, plusieurs groupes de contestation naissent, plus violents, qui ne se contentent plus des ghost towns.

Rendre l’Ambazonie ingouvernable

La décapitation du Consortium et l’arrestation de certains activistes leaders des mouvements de contestation à l’instar de Mancho Bibixi a l’effet inverse de celui attendu par le pouvoir de Yaoundé. Au lieu de tuer définitivement la rébellion, on assiste plutôt à la prolifération de multiples groupuscules plus ou moins indépendants, plus radicaux qui commencent à s’en prendre à tout ce qui représente l’autorité francophone sur le territoire ambazonien, d’abord timidement, puis de façon très violente.

Des hommes en tenue sont tués, des sous-préfets, commissaires, maires etc menacés, enlevés… L’objectif est de rendre les régions anglophones du pays ingouvernables, signe que l’autorité francophone de « La République » n’est plus respectée et donc est illégitime. Les conséquences sont terribles, et ce sont les populations qui en souffrent le plus. Mais ça marche. Désormais, les fonctionnaires désertent leurs lieux de services, les écoles restent fermées, et dans certaines zones les étrangers (et même les autochtones) préfèrent déserter les lieux.

Toutes les célébrations ou manifestations organisées par les autorités de « La République » sont boycottées. Le 19 mai de cette année, un maire et son adjoint ont été enlevés pour avoir appelé les citoyens à participer au défilé du 20 mai, date de la célébration de l’unité nationale. Et c’est dans le même contexte que l’élection du 7 octobre sera organisée. Déjà, on peut lire sur les réseaux sociaux, des messages indiquant qu’il n’y aura pas élection dans les régions anglophones du pays.

L’impossible tenue de l’élection dans le NoSo

Le pouvoir central s’est retrouvé face à un dilemme en cette année électorale : fallait-il reporter l’élection présidentielle au vu du contexte ? Ça aurait sans doute été la meilleure chose à faire. Seulement, c’était aussi un aveu d’échec à gérer une crise que les porte-paroles du gouvernement disent maitriser. L’état central a donc opté pour l’organisation de l’élection, malgré le contexte sécuritaire instable. Mais, cette élection pourra-t-elle avoir lieu ?

L’observation des événements de ces dernières semaines montrent clairement que les populations, par adhésion ou par peur de représailles, respectent les mots d’ordre lancés par les groupes sécessionnistes qui contrôlent certaines zones des régions du Nord-ouest et du Sud-ouest. Ce qui fait craindre que, en fin de compte, l’élection ne se tienne pas ces deux régions, ou du moins connaisse un taux de participation extrêmement faible, vu que l’armée ne pourra pas assurer la sécurité des votants pendant et surtout après le scrutin.

No election ou la division du Cameroun

Si l’élection n’a pas lieu au NoSo comme plusieurs analystes le prédisent, ne serait-ce pas une indication que le Cameroun anglophone est bel et bien devenu l’Ambazonie, c’est un dire un état finalement libéré de l’autorité de « La République » ? Si les compatriotes du Cameroun anglophone ne participent pas au choix du prochain président, quelle légitimité aura ce dernier dans ces régions ?

Nous évoluons lentement vers la « victoire » des sécessionistes qui auront réussi en deux ans à peine, à rendre les deux régions anglophones ingouvernables, remettant ainsi en question la légitimité même du pouvoir de Yaoundé. Il y a fort à craindre que si au lendemain de 7 octobre 2018 il n’y a pas alternance et négociations, que les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest demeurent définitivement coupées du reste du pays.