Du 6 novembre 1982 au 6 novembre 2022, ça fait 40 ans que Paul Biya est au pouvoir.

Ce 40e anniversaire a été célébré avec faste. Il est le deuxième plus vieux président vivant au pouvoir après Obiang Nguéma Mbazogo de la Guinée Equatoriale avec 43 ans de règne. Il succède à Ahmadou Ahidjo qui, à son temps, a fait 22 ans au pouvoir avant de démission en 1982. On aurait dit la boulimie du pouvoir. Mais, il y a lieu de s’arrêter et de s’interroger.

L’une de nombreuses questions que se pose l’opinion est celle de savoir quel est le secret de cette longévité au Cameroun ? Les réponses sont nombreuses et diverses. Parmi elle, on peut citer la plus récurrentes : le mode d’organisation des élections dont le système est entièrement sous contrôle du régime. L’organisation des élections reste l’une des chevilles ouvrières de la longévité pour la simple raison qu’elle permet de légitimer au bout du processus tout ce qui a été construit en amont. Nous n’avons pas la prétention de faire ici l’historique de la fabrication des victoires de Paul Biya à la magistrature suprême. L’objectif de cet article est de faire un bilan sur ses victoires électorales en scrutant les crises qui ont secoué le régime et la façon dont celles-ci ont été gérées pour la préservation du pouvoir.

L’analyse historique du parcours électoral au Cameroun se divise en trois mouvements forts.

  • la période d’avant le parti unique : 1960 à 1966 ;
  • la période du parti unique : de 1966 à 1990 ;
  • la période du retour au multipartisme : de 1992 à 2018.

Cette troisième période est, à son tour divisée en deux mouvements forts.

  • la période d’avant la Tripartite : de 1990 à 1996 ;
  • la période après la Tripartite : de 1996 à 2018.

Ici, l’analyse sera plutôt organisée en deux mouvements :

  • les élections présidentielles sous Ahmadou Ahidjo de 1960 à 1980 et
  • les élections présidentielles soue de Paul Biya de 1984 à 2018.

Ces deux périodes se caractérisent par quatre thématiques bien distinctes que nous appelons ici épisode à savoir :

  • l’héritage électoral légué par Ahmadou Ahidjo ;
  • conservation de l’héritage ou rupture ?
  • conservation de l’héritage à l’aune du multipartisme ;
  • Caporalisation du monopole du système électoral.

Il faut bien remarquer que les élections présidentielles sous Paul Biya ont été marquées par les deux périodes du monopartisme et du multipartisme. Puisque c’est le bilan du règne de Paul Biya qui fait l’ossature de cet article, nous dirons quand même un mot sur la première période avant de continuer cet article par des victoires électorales teintées sous fond de crises et de révoltes politiques sous l’ère Paul Biya après 40 ans de pouvoir sans partage.

EPISODE 1 : L’héritage électoral légué par Ahmadou Ahidjo

Les deux premières élections présidentielles au suffrage indirect avant 1966

Ahmadou Ahidjo était premier ministre investi le 18 février 1958 (Bayart, 1985) par les députés de l’Assemblée Législative du Cameroun (ALCAM) après la démission d’André Marie Mbida en brouille avec Jean Ramadier, haut-commissaire français de l’État du Cameroun. Il garda le poste et devient ainsi celui qui proclame l’indépendance du Cameroun français le 1er janvier 1960. Après donc la proclamation de l’indépendance du Cameroun français, il était question d’élire le premier président de la République. Comme les Français s’étaient opposés au suffrage universel direct et secret, il ne restait qu’à élire le président au suffrage indirect. Le 10 avril 1960, l’Assemblée Législative du Cameroun devient l’Assemblée Nationale du Cameroun après la 4ème élection législative qui a connu la victoire de l’Union Camerounaise, le parti du Premier Ministre Ahmadou Ahidjo avec 51 sièges sur 100 (Gaillard, 2000). Et le 5 mai, les députés élisent Ahmadou Ahidjo comme premier président de la République avec 89 voix sur 99 (African Elections Database, s.d.).

La deuxième élection présidentielle en République du Cameroun Oriental a lieu 5 ans plus tard, le 5 mars 1965. Elle a été précédée par la réunification des deux Cameroun (Cameroun Oriental ou Cameroun français et Cameroun occidental ou Cameroun britannique) – nous y reviendrons plus bas – et Cette fois, c’était une présidentielle aux suffrages universels directs et secrets. Ahmadou Ahidjo, investit par son parti l’Union camerounaise et le Parti national-démocratique du Cameroun, l’unique candidat en lice, s’en sort avec un score soviétique de 100% des voix et une participation de 95,1%.

Les trois dernières présidentielles d’Ahmadou Ahidjo marquées par le monopartisme

La troisième élection présidentielle et la deuxième aux suffrages universels directs et secrets s’est tenue le 28 mars 1970. Mais, elle a lieu dans un contexte particulier avec deux événements majeurs qui l’ont précédé. La création de l’UNC en 1966 par Ahmadou Ahidjo et la suppression du multipartisme. Plusieurs raisons ont été avancées par Ahmadou Ahidjo et son gouvernement pour justifier cette décision. Parmi elles, deux nous paraissent importantes à signaler ici : rapprocher les deux Etats fédérés et combattre le tribalisme (Bayart, 1978). Ahmadou Ahidjo, président de l’UNC, reste donc l’unique candidat à la présidentielle. Les résultats ont donc affiché 100% des voix avec 99,4% de participations. Ce scénario de 1970 va se répéter en 1975 et en 1980. En 1975 et en 1980, Ahmadou Ahidjo remporte les présidentielles avec 100% de voix, 99,4% de participation et 100% des voix, 99,0% de participations respectivement.

En conclusion à cette première période de l’analyse électorale, le feu président Ahmadou Ahidjo n’a jamais eu d’adversaires comme candidat aux présidentielles de 1960 à 1980. La question qu’on peut  à présent se poser est celle de savoir si le Cameroun n’avait pas d’opposants comme candidats, du moins avant la suppression du multipartisme en 1966 ? Pour comprendre les raisons de ce suprématisme ou totalitarisme d’Ahmadou Ahidjo et de son régime dictatorial, il faut remonter à 1958 au moment où il fut investi comme Premier Ministre.

Le monopole et la caporalisation du champ politique hérités de l’administration coloniale

Avant d’accéder à son indépendance, le Cameroun, pays sous tutelle des Nations Unies, devrait passer aux élections pour élire un président. Ce statut tutélaire avait donc comme conséquence de mettre ces élections sous la supervision de l’ONU. Mais la France qui était une sorte de gérant de la tutelle s’est opposée aux élections aux suffrages universels. La raison évidente était sa peur de voir les nationalistes de l’Union des Population du Cameroun (UPC) remporter ces élections grâce à la popularité qu’ils détenaient à cette époque. Elle a donc obtenu l’annulation des élections grâce à ses soutiens des pays amis occidentaux.

Le départ de l’administration coloniale française du Cameroun est imminent après l’arrivée de Jean Ramadier à Yaoundé le 3 février 1958. La démission d’André Marie Mbida marque ainsi l’arrivée d’Ahmadou Ahidjo sur la scène politique au sommet de l’administration camerounaise. La nécessité de l’autonomisation du jeu politique se fait ressentir. Elle est juridiquement fondée par la loi-cadre de 1956 et politiquement symbolisée par l’indépendance. Le gouvernement du « 19 février 1958 », nouvellement formé par Ahmadou Ahidjo, avait comme principale mission de « légiférer et de préparer la constitution camerounaise ». Ce pouvoir lui a été conféré par la loi N°59-56 du 31 Octobre 1959 (Sindjoun, 1997, p. 92).

Ce pouvoir de légiférer confère aux acteurs politiques dominants le monopole dans « la formulation des règles du jeu politique » (p. 92). Il faut également préciser que Ahmadou Ahidjo et son gouvernement faisait face aux nationalistes de l’UPC (traités de « maquisards ») qui était le principal parti d’opposition au Cameroun oriental. En plus du pouvoir de monopole dans l’organisation du jeu politique, il y avait le pouvoir de « l’usage de la légalité d’exception » qui se traduisait par

la stigmatisation  officielle  des principaux  lieux d’activité  politique des partis politiques d’opposition  places sous l’état d’alerte entre Juin  1959 et Janvier  1960.II s’agit des départements Bamiléké, Wouri, Nyong et Sanaga, Sanaga Maritime, Nkam, etc. (p. 92)

Deux textes symbolisent l’effectivité de ce monopole et cette superpuissance du gouvernement dans le champ politique. Le décret du 4 mars 1960 qui fixe les conditions d’élections des députés et l’ordonnance 60-38 du 16 avril 1960 qui fixe les modalités d’élection du président de la République. Ces textes représentent le cadre juridique et le symbole politique de l’instrumentalisation non seulement du jeu politique, mais surtout de la caporalisation de l’élite dans le champ politique.

Ahmadou Ahidjo, son gouvernement et toute l’élite politique qui l’accompagnait, avait ainsi confisqué le champ et le jeu politique depuis 1958 jusqu’en 1982 grâce à la loi-cadre de 1956. C’est justement la raison pour laquelle certains analystes affirment que l’Etat du Cameroun et les institutions qui vont avec ont été mis en place par la France et l’ONU. Le nouveau régime qui viendra avec Paul Biya va-t-il déroger à cette tradition ?

EPISODE 2 : Conservation de l’héritage ou rupture ?

L’héritage politique d’Ahmadou Ahidjo légué à Paul Biya en 1982 sera-t-il maintenu ?

Les mêmes dispositions réglementaires, appareils institutionnels et appareils politiques composés de l’élite politico-administrative de l’ancien président seront toujours mobilisés pour élire Paul Biya pendant la période du monopartisme. Après ses études en droit et en sciences politiques, Paul Biya retourne au Cameroun en 1962, deux ans après l’indépendance. Il occupe immédiatement et ce jusqu’en 1975, les hautes fonctions dans l’administration :

Revenu au Cameroun au lendemain de l’indépendance, il est  immédiatement nommé Chargé de Mission à la Présidence de la République en octobre 1962. Il occupe cette fonction pendant moins de deux ans et devient Directeur du Cabinet du Ministre de l’Education Nationale en janvier 1964. Promu Secrétaire Général du même Ministère en juillet 1965, et en janvier 1968, il est nommé Secrétaire Général de la Présidence de la République, cumulativement avec ses fonctions de Directeur du Cabinet Civil. Itinéraire fulgurant. Mais le meilleur est à venir. En août 1968, Paul BIYA entre au Gouvernement comme Ministre Secrétaire Général à la Présidence. En juin 1972, il est promu Ministre d’Etat, Secrétaire Général à la Présidence de la République (Présidence de la République du Cameroun, s.d.).

Ce parcours élogieux a d’ailleurs fait dire à beaucoup d’observateurs et journalistes que le Cameroun va connaitre un nouveau souffle avec l’espoir que rien ne sera plus comme avant. Paul Biya va connaître quelques secousses de début de son règne. Contre sa volonté de rester à la tête du parti après sa démission à la magistrature suprême, Ahmadou Ahidjo est contraint de céder enfin la présidence du parti à Paul Biya en septembre 1983. L’ancien président ne voulait pas perdre à la fois la présidence de la République et la présidence de l’Union Nationale Camerounaise.

On peut donc comprendre son état d’esprit à ce moment-là. Comme si cela ne suffisait pas, Paul Biya décharge Bello Bouba Maïgari, originaire du Nord comme Ahmadou Ahidjo, de son poste de Premier Ministre le 22 août 1983 et nomme Ayang Luc, originaire de l’Extrême-Nord, chargé de former un nouveau gouvernement. Le gouvernement de Bello Bouba, comme on peut le deviner, était soupçonné à tort ou à raison d’avoir en son sein quelques ministres proches de l’ancien président. Le contexte politique reste ainsi tendu jusqu’à l’élection présidentielle qui va, comme on pouvait s’y attendre, aboutir à la victoire de Paul Biya.

La rupture Ahmadou Ahidjo et Paul Biya sous fond de crise de leadership politique

La confirmation de la victoire de Paul Biya au score soviétique à la présidentielle ne laisse rien entrevoir. Ce monopole se confirme donc avec cette victoire de la présidentielle du 14 janvier 1984. Paul Biya, investir par l’Union Nationale Camerounaise, le parti d’Ahmadou Ahidjo, obtient 100% des voix avec une participation de 97,7% de suffrages valablement exprimés. C’est une situation qui présage la continuité du système ahidjoiste. Quelques jours plus tard, Paul Biya introduit un projet de loi à l’Assemblée nationale pour amender la Constitution et abolir le poste de Premier Ministre. Le gouvernement d’Ayang Luc est dissout et Paul Biya forme un nouveau gouvernement le 25 janvier 1984. Le climat devient tendu entre Paul Biya et Ahidjo après tous ces épisodes de chamboulement des hommes et le système de l’ex président de la République.

Quelques mois plus tard, après ce sacre électoral, plus précisément dans la nuit du 5 au 6 avril, Paul Biya échappe à un coup d’Etat. La garde présidentielle acquise à la cause de l’ex chef d’Etat Ahmadou Ahidjo a été évidemment mise en cause. Le 11 avril, Paul Biya dissout la garde présidentielle qui comportait plus de 1500 hommes originaires en grande partie du Nord et intègre à son tour les hommes originaire de sa région du grand Centre-Sud. Ce changement est loin de satisfaire tout le monde et une partie des hommes déchus de la garde présidentielle se soulève le 7 avril. Pendant six mois, Yaoundé, la capitale, est sous état d’urgence. Pendant ce temps, les putschistes contrôlent une station de radio, un camp militaire chargé de munitions, et l’aéroport.

Les combats farouches se sont déroulés à Yaoundé entre les hommes accusés d’être proches d’Ahmadou Ahidjo et les hommes de Paul Biya. Le bilan fait plus de 70 morts selon les sources gouvernementales et 500 morts selon les observateurs internationaux. Ibrahim Saleh, le chef des mutins et quelques hommes, capturés et condamnés à mort. Le 14 avril. Ahmadou Ahidjo est accusé d’être responsable de la mutinerie. La réaction de l’ex chef d’Etat en exil en France à RMC, une radio locale, a été claire : « Si ce sont mes partisans, ils auront le dessus ! ». Après un procès à huit clos au Tribunal Militaire de Yaoundé le 27 avril, du 1er au 15 mai a eu lieu les exécutions à Mbalmayo et à Mfou où les putschistes condamnés à mort ont été enterrés dans des fosses communes.

Quatre ans après, le 24 avril 1988, la présidentielle et les législatives furent organisées. Paul Biya a donc anticipé la présidentielle. Le remake du 14 janvier 1984 se reproduit. Paul Biya, investit une fois de plus par le parti d’Ahmadou Ahidjo, unique candidat à la présidentielle, l’emporte avec un score soviétique de 100% et un taux de participation de 98.75%. La Particularité de la présidentielle de 1988 n’est pas seulement le fait qu’elle soit couplée avec les législatives. Non seulement le nombre de siège passe de 120 à 180 (il est passé de 100 à 50 en 1964, puis de 50 à 120 en 1973), mais les candidats du parti unique vont se rivaliser aux législatives. On enregistre donc 324 candidats pour les 180 sièges.

Le vent de l’est, le discours de la Baule et de nombreux mouvements annonçant une nouvelle ère du multipartisme

Pour une première fois au Cameroun, on va assister à une présidentielle avec plusieurs candidats en lice. Que s’est-il passé pour que cela soit possible après une présidentielle au suffrage indirecte et six présidentielle aux suffrages universels directs ? Pour emprunter l’expression de Huntington (1991), la « troisième vague de démocratisation » qui commence dans les années 1970 avec la Pologne est le facteur principal du vent démocratique qui va évidemment souffler sur le Cameroun (Nouschi, 2002). Elle s’est manifestée en Afrique par les indépendances dans les années 1960 à 1970. Mais, ce qui est plus intéressant, c’est que la troisième vague ne s’est pas arrêtée là. Elle a continué même jusque dans les années 1990. L’un des épisodes majeurs est la dislocation effective du bloc de l’est fondé par Joseph Staline. La chute du mur de Berlin du 9 au 10 novembre 1989 et le discours de François Mitterrand le 20 juin 1990 lors de la 16e conférence des chefs d’Etats d’ Afrique et de France (France-Afrique). Ce discours de la Baule est, selon plusieurs analystes et observateurs, le déclic du vent démocratique en Afrique. Il est particulièrement intéressant dans la mesure où le président de la République française conditionne désormais l’aide au développement par le respect de certains « schémas » qu’il énoncera lui-même :

La France liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté ; il y aura une aide normale de la France à l’égard des pays africains, mais il est évident que cette aide sera plus tiède envers ceux qui se comporteraient de façon autoritaire, et plus enthousiaste envers ceux qui franchiront, avec courage, ce pas vers la démocratisation… […]. S’agissant de démocratie, un schéma est tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure…. […]. À vous peuples libres, à vous États souverains que je respecte, de choisir votre voie, d’en déterminer les étapes et l’allure ».

On aurait pu penser que ce discours de la Baule était la bienvenue au Cameroun après l’anticipation de Paul Biya pour les élections législatives de 1988 où plusieurs candidats se sont fait concurrence. On peut situer cette tendance à la concurrence à la création du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) le 24 mars 1985 en remplacement de l’Union Nationale Camerounaise fondé par l’ancien président Ahmadou Ahidjo. Dans son discours au premier congrès de son parti baptisé « Congrès de la liberté et de la démocratie » organisé du 28 au 30 juin 1990 à Yaoundé, Paul Biya fait une déclaration solennelle dans laquelle il invite ses militants à une éventuelle concurrence : « Le RDPC doit se préparer désormais à une concurrence éventuelle ». Le discours de la Baule le 20 juin 1990 n’était donc qu’un déclic, puisque le 21 juillet de la même année, Paul Biya crée une commission de révision de la législation sur les libertés publiques. En novembre, l’Assemblée Nationale adopte une série de lois sur la communication sociale et sur la liberté d’association ouvrant ainsi la voie à la liberté de presse et l’abrogation de la censure d’une part, et à la création de plusieurs partis politique d’autre part. Ces lois ont été promulguées le 19 novembre 1990.

Mais, on ne saurait citer ces réformes et ces événements de grandes envergures sans mentionner ce qui les ont précédés et qui ont secoué le Cameroun dans les « années de braise ». Ce qu’on a appelé « Affaire Yondo Black et autres » du 19 février 1990. Une dizaine de leaders en effet sont arrêtés à Douala ce 19 février, conduits et jugés au Tribunal Militaire de Yaoundé pour « Tenue des réunions clandestines et diffusion des tracts hostiles au régime ». Procès débuté le 30 mars 1990, il finit le 3 avril par une condamnation de Yondo Black, Anicet Ekanè et Michel Tekam à la prison ferme et sont déchus de leurs droits civiques. Mais le 11 août ils bénéficient d’une remise de peine de Paul Biya. Le deuxième événement se déroule le 26 mai 1990 à Bamenda. Jonh FruNdi, leader du Social Democratif Front ‘SDF), organise une marche pour protester contre le refus de la reconnaissance légale de son parti conformément à la loi de 1967 sur les associations. Au cours de cette marche que les autorités avaient interdite, six manifestants ont perdu la vie au cours des échauffourées avec les forces de l’ordre et l’armée (Nkot, Ebonguè, Betjol, Bafakan, & Kidiboy, 2018) qui a ouvert le feu sur environ 30.000 personnes.

Pour coller à l’actualité, le procès de l’avocat Yondo Black se situe dans la lignée d’un vent de démocratie qu’on attribue toujours au vent de l’est. Ce vent se manifeste en Afrique dans les années 1990 par des mouvements de contestations des forces pro-démocratiques. Ces mouvements ont créé des émules aux points où quelques gouvernements se sont pliés aux exigences d’une mise en place des rencontres dites « conférences nationales ». Les deux pays qui ont cédé à ces revendications en 1990 sont le Bénin du 19 au 28 février et le Gabon du 1er mars au 19 avril. Les revendications pour l’organisation de la conférence nationale dans les pays francophones ont donc précédés le discours de la Baule qui, à son tour, a précédé le discours du congrès du RDPC. Mais, l’ouverture démocratique de Paul Biya avec la promulgation des lois d’ouverture et de liberté en novembre 1990 ne convainc pas certains leaders d’opinions sur la bonne foi de celui-ci. Le 27 décembre 1990, le journal Le Messager de Pius Njawé publie une chronique écrite par le banquier Célestin Monga intitulé « La démocratie truquée ». Pius Njawé et Célestin Monga seront arrêtés et condamnés le 18 janvier 1991 à six mois de prison ferme pour « outrage au président de la République ».

Comme les manifestations de revendications dans d’autres pays africains francophones, ce procès va amplifier une vague de manifestations de désobéissances civiles appelées « villes mortes » qui vont durer plusieurs mois d’avril jusqu’en novembre 1991 pour la conférence nationale souveraine. Elles ont été initiées par les leaders de l’opposition et en particulier par Mboua Massok que l’histoire désigne désormais comme le « père des villes mortes » au Cameroun. Le 27 juin 1991, en pleine villes mortes, Paul Biya fait un discours à l’Assemblée nationale où il répond aux leaders en déclarant que « La conférence nationale souveraine est sans objet au Cameroun » et d’ajouter par la suite que « seules les urnes parleront ».

Malgré ce discours et un bilan catastrophique sur le nombre de personnes tuées par balles, les leaders politiques et les manifestants n’en démordent pas. Paul Biya baisse le ton et propose à la place d’une conférence nationale, une rencontre dite « Tripartite » regroupant les représentants des pouvoirs publics, des partis politiques et de la société civile du 30 octobre au 17 novembre 1991 (Ngayap, 1999). Pendant ce temps, après le Benin et le Gabon en 1990, la vague des conférences nationales se poursuit en 1991 avec le Congo du 25 février au 10 juin, le Mali en août, le Togo du 8 juillet au 28 août, le Niger du 29 juillet au 4 novembre. D’autres suivront plus tard en 1993 comme le Zaïre (l’actuel RDC) du 7 août 1991 au 17 mars 1993 et le Tchad du 15 janvier au 12 avril. Dans cette même lignée, cinq pays, le Cameroun compris, ayant vécu des mêmes revendications, n’ont obtenu que des résultats variés : République centrafricaine, Madagascar, Burkina Faso et la Mauritanie.

EPISODE 3 : Conservation de l’héritage à l’aune du multipartisme

Les premières présidentielles multipartites et les enjeux des législatives assez particulières

L’élection présidentielle du 11 octobre 1992 a connu la victoire de Paul Biya pour son 3e mandat avec un score de 40% et un taux de participation électoral de 71,9%. L’opposition en face était représentée par cinq candidats à savoir, John Fru Ndi, Bello Bouba Maïgari, Adamou Ndam Njoya, Jean Jacque Ekindi et Emah Otu. La lenteur de la publication des résultats du scrutin organisé par le Ministère de l’Administration Territoriale surchauffe l’atmosphère. John Fru Ndi annonce sa victoire le 20 octobre. Mais la cour suprême proclame plutôt la réélection de Paul Biya le 23 octobre. Cette rivalité a surchauffé l’atmosphère au point où le régime brandissait des menaces qui ont été tout de suite prises au sérieux et tout est revenu à l’ordre après l’appel au calme de John Fru Ndi.

Il est, cependant, important de marquer un arrêt sur les législatives du 1er mars 1992. Elles sont importantes dans la mesure où elles marquent également le retour à la participation des partis politiques de l’opposition écartés depuis 1964. Les résultats sont forts évocateurs. Le RDPC remporte la majorité des sièges, c’est-à-dire 88 sur 180. Paradoxalement, n’a pas la majorité absolue qu’il lui faut pour avoir les pleins pouvoirs. Pour une première fois dans l’histoire du Cameroun, l’opposition a donc l’opportunité de partager le pouvoir exécutif avec le parti au pouvoir. Curieusement, le Mouvement pour la défense de la République (MDR) que dirige Dakolé Daïssala, accepte de s’associer au RDPC avec ses 6 sièges pour former un groupe parlementaire de 94 députés. L’opposition perd ainsi la majorité pour gouverner. L’absence du SDF, principal parti de l’opposition qui avait boycotté pour contester les lois électorales scélérates, était prise à partie par des critiques acerbes. Le parti allait prendre sa revanche pour la présidentielle d’octobre. Hélas ! Il se raconte beaucoup d’histoire concernant l’appel au calme de John Fru Ndi lors de la proclamation des résultats du 23 octobre. Beaucoup de langues accusent le leader d’avoir contribuer à refroidir les électeurs prêts à manifester.

Le 12 octobre 1997, la majorité des partis politiques de l’opposition choisissent de boycotter une fois de plus. Sans grand effort, Paul Biya est réélu pour un 4e mandat avec 92,57% des voix et un taux de participation de 83,10%. Henri Hogbe Nlend, son suivant, candidat de l’Union des populations du Cameroun (UPC), s’en sort avec 2,5%. Le 11 octobre 2004, le principal leader de l’opposition, John Fru Ndi, revient dans la course mais avec ses 17,4% ne réussit pas à prendre le dessus et est devancé par Paul Biya qui l’emporte avec 70,92% (5e mandat) et un taux de participation de 92,23%.

Les émeutes de la faim et la révision constitutionnelle de 2008

Revenons sur la rencontre Tripartite que nous avons fait mention plus haut. Cette rencontre tenue en 1991, voulue et organisée par Paul Biya en lieu et place de la conférence nationale souveraine revendiquée à cor et à cri par les leaders des partis politiques et de la société civile s’est achevée par des résolutions. L’objectif de cette rencontre organisée en pleine villes mortes était d’assurer un retour au calme et surtout, comme le dit Eboussi Boulaga (1997, p. 95), permettre à Paul Biya et son gouvernement de s’offrir « un substitut démocratique acceptable ou même préférable à une aventureuse conférence nationale ».

Les résolutions de la Tripartite, signées par plus de 40 leaders de partis politiques et de la société civile présents étaient principalement axées sur les réformes constitutionnelles. Ainsi, une commission est créée pour rédiger deux avant-projets : celui de loi concernant l’accès des partis politiques aux médias publics pour la publication de leur actualité ainsi que celui concernant le code électoral et la constitution. Le mandat du président de la République passe ainsi de 5 à 7 ans renouvelable une fois. A la place du retour au fédéralisme exigé par les leaders anglophones, le gouvernement propose la décentralisation (Onana-Mvondo, 2005).

Au milieu du deuxième mandat du son septennat, Paul Biya se rend subitement compte qu’il va bientôt quitter le pouvoir en 2011. De 2006 à 2007, une rumeur selon laquelle Paul Biya préparait un projet de loi sur la modification de la constitution, circulait déjà. Cette constitution avait été adoptée le 18 janvier 1996 est une révision de la constitution du 2 juin 1972. Paul Biya, selon l’esprit des dispositions constitutionnelles avait ainsi droit à deux mandats de 7 ans chacun à partir de la présidentielle de 1997. Après avoir gagné la présidentielle de 2004, il ne devrait plus être candidat à la prochaine présidentielle en 2011. Pour garder le pouvoir, il a fallu faire un forceps en 2008. Cette rumeur était d’ailleurs amplifiée par de multiples appels de soutien à la candidature de Paul Biya par les militants de son parti, le RDPC (Manga, 2018).

Cette rumeur de révision constitutionnelle marque le début des mouvements de révoltes contre la vie chère appelée « émeutes de la faim ». L’année est particulièrement secouée pour les chefs d’Etats et leurs gouvernements des pays pauvres par le « retour brutal [de la faim] dans les agendas politiques et médiatiques internationaux et nationaux » (Janin, 2009, p. 251). Pour les économistes, ces émeutes a permis de voir des défaillances de l’économie nationale incapable de contenir des poches de pauvreté. Elles ont également « servi de révélateur de la vulnérabilité de l’économie de marché et des compromis, nationaux  comme  internationaux, qui assuraient une certaine cohésion » (p. 152). Au total, Entre janvier 2007 et avril 2008, 37 pays ont été touchés. En Afrique, on peut citer les plus mouvementés tels que le Cameroun, le Burkina, le Maroc, l’Egypte, la RCA, la Mauritanie, le Sénégal, l’Afrique du Sud.

La constitution est amendée malgré le climat qui reste tendu après les émeutes

Les analystes et les leaders politiques, à leur tour, attribuent ces événements de révoltes populaires au projet de révision constitutionnelle en préparation et que Paul Biya et son gouvernement s’apprêtent à déposer à l’Assemblée nationale. Le climat devient de plus en plus lourd et délétère en février au Cameroun et la révision constitutionnelle est fortement critiquée par l’opposition car, « les Camerounais ont, dans l’ensemble, le sentiment que le gouvernement, sclérosé par l’élite au pouvoir, est profondément indifférent à ses attentes » (Observatoire national des droits de l’homme, 2009, p. 8). Le 25 février 2008, Douala s’est embrasée, suivi des autres le lendemain. Le troisième jour des émeutes, le 27 février, Paul Biya fait un discours musclé de 5 minutes diffusé à la télévision nationale (CRTV). Il qualifie ces émeutes de « l’exploitation » et de « l’instrumentalisation » des jeunes par, ce qu’il appelle « les apprentis sorciers » pour désigner ses adversaires politiques. De manière voilée, il accuse les leaders de l’opposition (certains analystes affirment qu’il s’adressait également aux fauteurs de troubles tapis dans l’ombre dans le RDPC) de vouloir « obtenir par la violence ce qu’ils n’ont pas eu par la voie des urnes ».

Le bilan des émeutes de février 2008, selon l’Observatoire national des droits de l’homme (2009, p. 17), est de 139 morts dans 12 villes au Littoral, Centre, Ouest, Sud-Ouest et Nord-Ouest. Douala à elle seule totalise 100 morts. Selon le gouvernement, il y a eu 40 morts dans 14 villes, dont 26 à Douala. Le salaire des fonctionnaires sera revalorisé et les manifestations vont s’estomper face au manque de moyens d’accompagnement des manifestants. Pour clore cet épisode, la constitution est révisée malgré tout le 10 avril 2008 à l’Assemblée nationale et adoptée par 157 voix pour, 5 voix contre et 15 voix non votants. Le RDPC, parti de Paul Biya, dispose de 153 sièges sur 180.

EPISODE 4 : Caporalisation du monopole du système électoral

Une victoire en 2011 comme sous les roulettes malgré les tensions diplomatiques avec le gouvernement Obama

Cette révision constitutionnelle va ainsi permettre à Paul Biya de présenter sa candidature à la présidentielle pour la sixième fois le 9 octobre 2011. Cette présidentielle enregistre un record de 23 candidats en lice. Paul Biya remporte évidemment sur un score de 77,99% face au seul principal leader de l’opposition, John Fru Ndi qui récolte 10,71% et le taux de participation est de 68,2%. Visiblement, cette élection n’avait aucun enjeu. Elle a eu pour la première fois dans l’histoire des présidentielles le plus faible taux de participation. La deuxième curiosité, c’est le nombre le plus élevé des électeurs ayant participés au scrutin (voir tableau plus bas).

Un peu plus tôt en mai 2011, Hilary Clinton, Secrétaire d’Etat Américain exprimait déjà les craintes du gouvernement Américain. Elle adresse une lettre au peuple Camerounais au nom de Barack Obama à l’occasion de la célébration de l’Unité nationale du 20 mai, jour de la fête nationale. Cette sortie de la diplomate Américaine a fait beaucoup de choux gras dans la presse camerounaise. Elle a été qualifiée de surprenante car cela reste une pratique rare dans les règles diplomatiques d’usage. Il est généralement convenu que les lettres reçues à l’occasion des fêtes nationales sont des félicitations d’un homologue adressées aux pays concernés par la célébration.

Cette lettre a été interprétée à tort ou à raison comme un affront adressé à Paul Biya et son gouvernement. A la recherche d’un soutien désespéré d’une puissance étrangère pour faire plier Paul Biya et permettre ainsi une alternance politique tant recherchée, certains leaders politiques ont apprécié cette sortie du gouvernement américain. Paul Biya n’a véritablement pas écouté ce son de cloche de l’oncle Sam et a rempilé pour un 5e mandat à la tête de l’Etat Camerounais. Mais, avant la présidentielle de 2018, le Cameroun est traversé par deux crises sécuritaires majeures qui vont secouer le climat politique. La sécurité intérieure sera donc l’un des thèmes centraux des campagnes électorales à côté de la pauvreté, le chômage et la vie chère.

Le contrôle exclusif du pouvoir malgré la crise sécuritaire à l’Extrême-Nord et la guerre civile au Nord-Ouest et Sud-Ouest

Qu’est-ce que Boko Haram ? Pourquoi intervient-il au Cameroun ? Pourquoi c’est la région de l’Extrême-Nord qui est ciblée ? Un rapport d’International Crisis Group publié en 2016 fait ce constat qui peut être considéré comme le début d’une crise sécuritaire dans cette région :

Si des groupes jihadistes nigérians ont pu exercer une petite influence à l’Extrême-Nord dès 2004, Boko Haram ne s’y est implanté qu’à partir de 2009. A partir de 2014, le mouvement jihadiste a attaqué de façon frontale le Cameroun, à mesure que le gouvernement démantelait ses réseaux et ses cellules (p. 8).

Cependant, les facteurs qui ont pu contribuer à la pénétration de ces terroristes sont légions. Les indicateurs de l’Institut nationale de la Statistiques (2015, p. 43) à cette époque sont inquiétants. Avec environ 4 millions d’habitants et 34.264 km², la région de l’Extrême-Nord a plusieurs particularités. Elle est la région la plus densément peuplée, elle partage ses frontières avec deux pays (le Tchad et le Nigéria). Elle a par conséquent une proximité sur les plans « historique, religieux, socioculturel et linguistique ((partage de langues véhiculaires arabe, kanuri et mandara), ethnique et commercial » avec deux pays (International Crisis Group, 2016, p. 3). Ces caractéristiques font de l’Extrême-Nord du Cameroun une région extrêmement vulnérable à la pénétration des groupes djihadistes.

Ajouté à cette vulnérabilité, un abandon de l’Etat central qui fait d’elle la région la plus lésée. Elle enregistre les indicateurs socioéconomiques sont les plus médiocres du pays. Ainsi, 74,3% de la population vivent sous le seuil de la pauvreté contre 37,3% sur le taux national. Son taux de scolarisation est de 46% alors qu’il est de 84,1% à l’échelle nationale. Pire encore, il est de 20% dans les arrondissements de Fotokol, Kolofata et le Mayo Moskota. Un faible investissement industriel et infrastructurel tant public que privé est fortement remarquable. L’Etat prend plutôt des initiatives depuis 2000 pour contenir le phénomène de coupeur de route. Ce déploiement sécuritaire ne réussit pas malheureusement à mettre fin aux réseaux de contrebandes. Mais, dans son rapport du 14 aout 2018, International Crisis Group affirme que l’armée camerounaise maîtrise la situation :

Boko Haram est aujourd’hui un mouvement affaibli. Il conserve néanmoins une capacité de nuisance, y compris contre de petites cibles militaires, en exploitant les vulnérabilités du dispositif sécuritaire et la complicité de certaines catégories sociales (p. 3).

Curieusement, cette défaillance du gouvernement n’a pas empêché cette région d’être toujours le vivier électoral du RDPC, parti de Paul Biya au pouvoir. Ce sentiment d’abandon n’est partagé qu’à une franche de la population locale pour des raisons diverses plus ou moins fondées (International Crisis Group, 2016, p. 5). Ce qui n’est pas le cas pour ce qui concerne la guerre civile dans les deux régions anglophones (Nord-Ouest et Sud-Ouest).

La guerre civile dans les deux régions anglophones est une conséquence d’une succession des faits décriés par les leaders politiques. Ces faits relèvent essentiellement de la répression policière comme réponse du gouvernement de Paul Biya à des revendications anglophones concernant la jouissance d’une autonomie politique et économique héritée de la colonisation britannique. Ce mécontentement de la population anglophone date de plusieurs années.

Mais, l’origine la plus évidente se situe autour du non-respect des clauses de la conférence constitutionnelle de Foumban du 17 au 21 juillet 1961 (Voir plus haut). Il concerne particulièrement l’article 47 qui stipule que : « Toute proposition de révision de la présente Constitution portant atteinte à l’unité et à l’intégrité de la Fédération est irrecevable […] ». Cette disposition est interprétée diversement selon les bords politiques et idéologiques. Selon les leaders anglophones, la suppression du fédéralisme le 20 mai 1972 est inacceptable même si c’est par voie référendaire qualifiée d’élection truquée. Faut-il rappeler que cette conférence était présidée par Ahmadou Ahidjo président du Cameroun français (Cameroun oriental) élu le 5 mai 1960 et par John Ngu Foncha du Cameroun britannique (Cameroun occidental) élu Premier Ministre le 1er février 1959. Le Cameroun britannique n’étant pas encore indépendant, la rencontre avait alors pour objectif de convaincre les leaders anglophones de rejoindre le Cameroun français indépendant depuis le 1er janvier 1960. La réunification des deux Cameroun a donc eu lieu le 1er octobre 1960 qui est considérée par les anglophones comme une date chargée de symbole.

De la « République du Cameroun » dans la constitution du 4 mars 1960, on est parti à la « République Fédérale du Cameroun » le 1er octobre 1961 puis à la « République Unie du Cameroun » le 20 mai 1972. Pour clôturer le tout, le 4 février 1984, la République Unie du Cameroun devient « République du Cameroun ». Cela rappelle aux anglophones le statut constitutionnel du Cameroun français du 4 mars 1960. La thèse de l’assimilation du peuple de la minorité anglophone par le peuple de la majorité francophone commence à prendre corps. Ce qui était considéré comme une simple crise anglophone a pris de l’ampleur à partir du 1er octobre 2017 où Sisiku Julius Ayuk Tabe (arrêtés avec quelques hommes de son équipe au Nigéria et conduit à Yaoundé et condamné par le Tribunal militaire), autoproclamé président de la République Fédérale d’Ambazonie, déclare symboliquement l’indépendance (International Crisis Group, 2017). La situation actuelle depuis 2019 ne semble pas se calmer. Pendant que le gouvernement camerounais est sur la « défensive », les forces séparatistes sont en « position de force au sein de la contestation anglophone ». Dans ces conditions, « comment arriver aux pourparlers ? », s’interroge Internal Crisis Group (2019).

2018 et la fin de l’éternel tandem Paul Biya et John Fru Ndi et l’entrée en scène de Maurice Kamto

La présidentielle d’octobre 2018 va-t-elle trouver une solution à cette guerre ? Visiblement, pas du tout, puisque malgré tout, Paul Biya rempile pour la septième fois à la magistrature suprême. Cependant, le scrutin s’annonce fort intéressant avec de nouveaux acteurs dans la course. Au terme des primaires au sein du SDF, parti dont John Fru Ndi est président depuis la création en 1990, Joshua Osih est investi comme candidat à la présidentielle de 2018 le 24 février 2018. John Fru Ndi s’tant désisté deux jours avant, le SDF s’est vu obligé de trouver un autre candidat pour challenger Paul Biya. Cependant, un autre parti, le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) créé en 2012, entre également dans la danse. Au cours de la 2e convention tenue du 13 au 15 avril 2018 à Yaoundé, Maurice Kamto a été investi lui aussi comme candidat du MRC à la présidentielle de 2018. Un ancien leader estudiantin, Cabral Libii, investit par le parti Univers de Nkou Mvondo, est candidat à la présidentielle à 38 ans. Il se faisait d’ailleurs appeler « le Macron Camerounais ».

Le 7 octobre 2018, Paul Biya est réélu avec 71,28% et le taux de participation s’élève à 53,85% par le Conseil constitutionnel le 22 octobre 2018. C’est le plus faible taux de participation dans l’histoire des présidentielles au Cameroun. Ses suivants : Maurice récolte 14,23%, Cabral Libii 6,28% et Joshua Osih 3,35%. Mais, c’est la présidentielle la plus mouvementée. Le 8 octobre, le candidat Maurice Kamto, annonce sa victoire sur la base des procès-verbaux collectés par son équipe de campagne. Après la proclamation officielle des résultats, les manifestations de revendications sont organisées par les militants et sympathisants du MRC. La célébration du quarantenaire de la magistrature suprême de Paul Biya se déroule donc avec des centaines de manifestants qui croupissent en prisons à Yaoundé, Douala, Bafoussam, Mfou, etc., condamnés pour « rébellion ». Il faut par ailleurs préciser qu’ils étaient arrêtés par milliers entre 2018 et 2021 et son libérés au fur et à mesure après avoir purgé leur pour les uns, et sont décédés à la suite des tortures, des maladies liées à l’insalubrité de la prison pour les autres.

En guise de conclusion

L’objectif de cet article était d’analyser la construction structurelle et institutionnelle des victoires aux différentes élections présidentielle au Cameroun pendant les 40 ans de pouvoir de Paul Biya. Les victoires ont été construites dans la constance et la continuité du système hérité de l’administration coloniale jusqu’au règne d’Ahmadou Ahidjo. Elles ont été ponctuées par de nombreuses crises politiques constituées de contestations, de révoltes populaires, de terrorismes et de guerres d’indépendance nourries par des revendications séparatistes. Certaines crises ont été omises ici pour ne retenir que celles qui ont marquée et qui marquent toujours l’actualité internationale.

On peut donc répondre à la question posée au début de cet article : qu’est-ce qui fait la longévité de Paul Biya ? Il est donc possible d’affirmer que Paul Biya tient son pouvoir par la répression, pour ne pas dire le sang. Le second facteur qui est le tribalisme d’Etat fera partie d’un article à venir, s’il plaît à Dieu. Mais, je vous invite à jeter un regard critique sur le tableau ci-dessous concernant les statistiques sur la participation électoral aux scrutins présidentiels aux suffrages universels :

Ce tableau représente la mise en exergue du nombre de suffrages valablement exprimés ou encore du nombre de votant. Pendant 11 scrutins présidentiels, il est resté sensiblement proche de 3 millions de 1960 à 2018 tandis que la population ne cesse d’augmenter. Cependant, dans l’ensemble, le taux de participation baisse au fur et à mesure depuis 1980. Ce paradoxe laisse interrogateur tout observateur de bonne foi. On peut maintenant s’interroger sur la crédibilité du système électoral et plus particulièrement de la fraude en amont à travers l’inscription sur les listes électorales en passant par les scrutins proprement dits jusqu’à la proclamation des résultats définitifs.

Références

African Elections Database. (s.d.). Elections in Cameroon. Consulté le 11 10, 2022, sur African Elections Database: https://africanelections.tripod.com/cm.html

Bayart, J.-F. (1978). Régime de parti unique et systèmes d'inégalité et de domination au Cameroun : esquisse. Cahiers d'études africaines, 18(69-70), pp. 5-35.

Bayart, J.-F. (1985). L’État au Cameroun. Paris: Presses de Sciences Po.

Eboussi Boulaga, F. (1997). La démocratie de transit au Cameroun. Paris: L'Harmattan.

Gaillard, P. (2000). Le Cameroun (Vol. 2). Paris: L'Harmattan.

Huntington, S. (1991). The Third Wave. Democratization in the Late Twentieth Century. Norman: University of Oklahoma Press.

Institut national de la statistique (INS). (2015). Tendances, profil et déterminants de la pauvreté au Cameroun entre 2001 et 2014. Yaoundé: INS.

International Crisis Group. (2016). Cameroun : faire face à Boko Haram. Nairobi/Bruxelles,: Crisis Group.

International Crisis Group. (2017). Cameroun : l’aggravation de la crise anglophone requiert des mesures fortes. Nairobi/Bruxelles: Crisis Group.

International Crisis Group. (2018). Extrême-Nord du Cameroun : nouveau chapitre dans la lutte contre Boko Haram. Nairobi/Bruxelles,: Crisis Group.

International Crisis Group. (2019). Crise anglophone au Cameroun : comment arriver aux pourparlers. Nairobi/Bruxelles: Crisis Group.

Janin, P. (2009). Les « émeutes de la faim » : une lecture (géo-politique) du changement (social). Politique Etrangère, 2, pp. 251-263. Consulté le novembre 13, 2022, sur chrome-extension://gphandlahdpffmccakmbngmbjnjiiahp/https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers17-01/010047445.pdf

Manga, J.-M. (2018, jiun). Appels et contre-appels du "peuple" à la candidature de Paul Biya : affrontement préfectoral, tensions hégémoniques et lutte pour l'alternance au Cameroun. Politique Africaine(150), pp. 139-160.

Ngayap, P. F. (1999). L'opposition au Cameroun : les années de braise : villes mortes et Tripartite. Paris: Harmattan.

Nkot, F., Ebonguè, F., Betjol, C., Bafakan, R., & Kidiboy, M. (2018). Dictionnaire de la politique au Cameroun. Québec: Presse de l'Université Laval.

Nouschi, M. (2002). Les vagues démocratiques. Commentaire, 98(2), pp. 482-485. doi:https://doi.org/10.3917/comm.098.0482

Observatoire national des droits de l'homme. (2009). 25-29 février 2008 Cameroun. Une répression sanglante à huit clos. Douala : ACAT-Littoral.

Onana-Mvondo, L. (2005). 1990-1992 au Cameroun : Chronique des Annees Rebelles. Paris: Des Ecrivains.

Présidence de la République du Cameroun. (s.d.). Parcours de S.E. Paul BIYA. Consulté le novembre 10, 2022, sur Présidence de la République du Cameroun: https://www.prc.cm/fr/le-president/parcours-paul-biya

Sindjoun, L. (1997). Elections et politique au Cameroun : Concurrence deloyale, coalitions destabilite hegemonique et politique d'affection. African Association of Political Science, 1(2), pp. 89-121.

Tchakounte Kemayou

Photo: United Nations Photo/Flickr, CC BY-NC-ND 2.0