Par Ebenezer Immanuel Obeng-Akrofi
La conclusion du jugement logique de l’insurrection survenue au Ghana, suivie de la renonciation à la constitution guinéenne et de la dissolution subséquente du Parlement par les militaires, soulève d’intéressantes questions sur ce qui constitue des changements de gouvernement anticonstitutionnels en Afrique.
Comme on pouvait s’y attendre, divers acteurs de la paix et de la sécurité internationaux et régionaux ont condamné à l’unisson la prise de pouvoir par les militaires le 5 septembre, la qualifiant de rébellion. Tous ont appelé à un retour de l’ordre constitutionnel. On peut s’imaginer que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union africaine (UA) pourraient par la suite menacer le pays de sanctions pour inciter la junte à abandonner le pouvoir. Mais cela viendra-t-il résoudre il les causes profondes de ce qui a nécessité ce coup d’État ?
En août de l’année dernière, nous avons assisté à un événement similaire au Mali, quand le président Ibrahim Boubacar Keïta a été évincé par l’armée. Un acte qui a fait l’objet de condamnations similaires de la part de la communauté internationale et des blocs régionaux. La CEDEAO et l’UA sont allées plus loin en imposant des sanctions ciblées aux putschistes pour les obliger à abandonner le pouvoir. Cette nouvelle soif de sanctions de la part des associations africaines semble étonnante, étant donné la véhémence avec laquelle l’UA censure les sanctions contre les États africains. Pourquoi les renversements de gouvernement par des moyens anticonstitutionnels sont-ils devenu le seuil des normes juridiques africaines en matière de démocratie et de gouvernance ?
Dans la Déclaration de Lomé de 2000 et la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (CADEG) de 2007, des définitions du renversement d’un gouvernement par des moyens anticonstitutionnel sont proposées. Il s’agit notamment d’un coup d’État militaire contre un gouvernement démocratiquement élu, d’une intervention de mercenaires pour remplacer un gouvernement démocratiquement élu, du remplacement d’un gouvernement démocratiquement élu par des groupes armés dissidents et des mouvements rebelles, ou du refus d’un gouvernement en place de céder le pouvoir après avoir été battu lors d’élections libres, équitables et régulières.
La répétition délibérée de l’expression « gouvernement démocratiquement élu » représente à la fois la circonstance et l’intention spécifiques de la Déclaration de Lomé. À l’époque, le constitutionnalisme démocratique était incontestablement nouveau pour l’Afrique, et devait assurer l’autorité des milieux politiques civils contre la « tyrannie » des interventions militaires.
Depuis leur adoption, les discussions des citoyens sur la gouvernance démocratique en Afrique ont radicalement changé. La qualité des processus électoraux, la valeur de la limitation des mandats, mais aussi la légitimité, la performance et la responsabilité en matière de gouvernance politique et économique sont toutes devenues des priorités pour les citoyens lorsqu’il s’agit de la pratique de la démocratie et de la gouvernance. Le mécontentement public, généralement exprimé au travers de manifestations, a été confronté à divers degrés de répression, de cooptation et de renforcement du statu quo.
Ce que nous constatons le plus souvent pendant de telles périodes, c’est que les organisations régionales se taisent sur les questions critiques de gouvernance, malgré le développement d’une architecture de gouvernance africaine (AGA) en 2011. Seuls quelques pays ont signé et ratifié la Charte, et les principes de base tels que la réactivité, la transparence, l’obligation de rendre des comptes et la responsabilité citoyenne ne font l’objet que d’une validation de principe.
Si nous examinions de plus près ces récents coups d’État et soulèvements populaires, nous constaterions que les changements anticonstitutionnels de gouvernements sont souvent provoqués par l’inefficacité de la gouvernance et l’ivresse du pouvoir. Ce qui caractérise ces gouvernements, ce sont souvent la cupidité, la corruption, la marginalisation, les violations des droits humains, le refus d’accepter la défaite électorale, la manipulation de la Constitution, etc. Ce qui nous permettrait d’observer que les politiques et les actions du gouvernement peuvent entraîner un recours à des moyens inconstitutionnels pour renverser ce qui serait autrement décrit comme un régime oppressif par les personnes concernées.
Malgré cette réalité, dans la pratique, l’UA et les organisations régionales ont toutefois tendance à réduire la démocratie à la tenue d’élections et au respect sélectif de la limitation des mandats. La rhétorique populaire que nous entendons est que ces régimes oppressifs, corrompus et abusifs sont souverains et ne peuvent donc pas être recadrés. En parallèle, nous constatons que la qualité des processus électoraux est souvent citée comme un point de déclenchement récurrent. Les élections législatives de mars 2020 au Mali, retardées et prétendument truquées, en constituent un exemple éloquent.
C’est pourquoi, lorsque la notion de changement anticonstitutionnel de gouvernement donne la priorité à un symptôme – c’est-à-dire un coup d’État ou un soulèvement – plutôt que de s’attaquer aux causes profondes telles que la légitimité, la corruption, la manipulation des constitutions, etc., la réponse fournie par les acteurs de la paix internationaux et régionaux est remise en cause et passe pour une protection du pouvoir en place.
En outre, lorsque ces acteurs passent sous silence l’apathie du gouvernement en matière d’inégalité, d’État de droit et de gouvernance électorale équitable, ils se mettent en porte-à-faux par rapport aux citoyens de ces pays. Une telle attitude peut être attribuée à la normalisation progressive de la légalité des actions gouvernementales contrairement à la légitimité des chefs d’État en exercice.
La tranquillité, la sécurité et les normes de gouvernance de l’Afrique sont vouées à être progressivement mises à l’épreuve par des défis complexes. Des organisations de la société civile indépendantes et apolitiques prédisent régulièrement avec justesse les échecs de la gouvernance. Sans engagement politique en faveur de la prévention des conflits, les acteurs de la paix mondiaux et continentaux réagiront souvent, voire toujours à ces crises, plutôt que de les anticiper. Il s’avère alors politiquement commode de condamner un coup d’État plutôt que de prendre des mesures audacieuses pour s’attaquer aux causes profondes de la désaffection du public pour les gouvernements.
L’accent mis sur les changements de gouvernement anticonstitutionnels suggère une approche unidimensionnelle des crises de gouvernance. Les appels hâtifs des acteurs de la paix mondiaux et continentaux à restaurer l’ordre constitutionnel sont discutables, surtout lorsque la constitution fait partie du problème.
La situation en Guinée est une occasion d’évaluer la prévention des conflits sur le continent, notamment en matière de gouvernance. Plutôt que de se concentrer sur les élections et les changements de gouvernement anticonstitutionnels, il convient d’explorer un concept global de gouvernance démocratique. D’ici là, l’interdiction des changements de gouvernement anticonstitutionnels risque d’être exploitée par les titulaires comme un moyen convoité d’excéder la durée de leur mandat légitime.
Crédit photo : Alpha Ousmane Souare