Il n’est même plus adapté d’utiliser le terme « agonie » pour décrire la démocratie sénégalaise. Les dernières digues qui maintenaient encore un État de droit continuent à s’effondrer les unes après les autres. Des centaines de militants et responsables de l’opposition, activistes, journalistes sont arrêtés et envoyés en prison à Dakar et dans les autres régions. Dans son Mémorandum présenté le 20 juin devant la presse nationale et internationale, le principal opposant au régime en place, Ousmane Sonko, a dénombré plus de 650 arrestations dans ses rangs et dans d’autres formations ou corps appartenant à la presse ou à la société civile.

Les faits reprochés à ces détenus vont de diffusion de fausses nouvelles, de discours de nature à compromettre la sécurité intérieure au terrorisme en passant par la participation à une manifestation non autorisée etc. Les événements des 1er et 2 juin derniers constituent une très grosse vague de contestation contre la justice qui ne semble plus crédible aux yeux d’une très bonne partie de l’opinion. En effet, c’est suite à la condamnation à deux (2) ans de prison de l’opposant Ousmane Sonko par la Chambre criminelle de Dakar pour le délit de « corruption de la jeunesse » que des soulèvements ont éclaté dans la capitale sénégalaise et des villes comme Ziguinchor, Mbour, Kaolack, Saint-Louis, Bignona, Louga…

Des affrontements avec les forces de défense et de sécurité ont fait 16 morts, selon les autorités gouvernementales et 30 décès, selon le parti PASTEF qui estime que 80% des victimes sont ses militants. L’ONG Amnesty International a établi un bilan provisoire de 23 morts entre le 1er et le 2 juin 2023.

Un opposant gênant à écarter de la course présidentielle de 2024

Depuis février 2021, date à laquelle une jeune fille du nom de Adji Sarr a accusé l’opposant Ousmane Sonko de viols répétitifs et menaces de mort avec armes à feu, ce dernier accuse le régime de Macky Sall d’avoir mis en place un complot pour l’empêcher de se présenter à l’élection de 2024. Alors qu’il était député sous la 13e Législature, son immunité parlementaire est violée avec une convocation à la Section de recherches.

Le 03 mars, alors qu’il décide de se rendre au bureau du Doyen des juges, Ousmane Sonko est bloqué par les Forces de l’ordre au niveau de la Stèle Mermoz et arrêté. Des manifestations éclatent sur toute l’étendue du territoire et causent 14 morts avant sa libération.

Pour écarter Ousmane Sonko de la course à la Présidentielle de 2024, des méthodes moins conventionnelles que celles utilisées pour écarter en 2019 Karim Wade du PDS et Khalifa Sall et Taxawu Senegaal. Des dossiers judiciaires sont soulevés contre le leader de PASTEF. En plus des accusations de viols et menaces de mort portées par la masseuse Adji Sarr, l’actuel ministre du Tourisme et responsable du parti au pouvoir, Mame Mbaye Niang, traine également Ousmane Sonko devant la barre du Tribunal Correctionnel pour diffamation dans l’Affaire Prodac (Programme des domaines agricoles, qui était sous sa tutelle quand il dirigeait le ministère de la jeunesse).

Ousmane Sonko a cité un rapport de l’IGF (Inspection générale des Finances) qui l’incriminerait dans un détournement de 29 milliards. Sur ce coup, Ousmane Sonko a été condamné en Première instance à 2 mois de prison avec sursis et 200 millions de dommages et intérêts. Ce jugement ne le privant pas de ses droits civiques, un appel express a été fait par le Procureur de la République alors même que le délai de la défense à interjeter appel n’avait pas expiré. Sonko fut condamné en Appel à 6 mois de prison avec sursis. Ce qui, selon l’Article L30 du Code électoral le rend inéligible.

Renoncement de Macky Sall à la 3e candidature, l’arbre qui cache la forêt

Alors qu’il est en train de faire son second et dernier mandat à la tête du Sénégal, le Président Macky Sall et ses souteneurs ont trouvé une parade pour théoriser une 3e candidature alors que le débat de fond est réglé depuis 2001 par la nouvelle Constitution votée par le Président Wade. Constitution sur la base de laquelle Macky Sall a été élu en 2012 et réélu en 2019. Alors que l’actuel chef de l’Etat avait nourri sa campagne pour le OUI au Référendum de 2016 par l’argument selon lequel, il ne devait plus y avoir de tensions générées par un 3e mandat, il est revenu en 2023 affirmer que si l’opposition et la société civile désirent qu’il sursoie à sa volonté de se représenter en 2024, elles devraient le lui demander gentiment.

Pire, le ministre de la Justice, Ismaila Madior Fall, qui fait partie des rédacteurs de la nouvelle constitution, dit à qui veut l’entendre que 2 millions de cartes vendues par le parti au pouvoir suffiraient à légitimer la 3e candidature de Macky Sall. Ci-gît la Constitution du Sénégal.

Bien heureusement, le lundi 03 juillet, le Président Macky Sall a annoncé dans une adresse à la Nation diffusée sur la chaîne nationale qu’il n’allait pas se représenter en 2024 pour briguer un 3e mandat. Une sage décision même si elle est entachée par une précaution oratoire de trop : « j’ai décidé de ne pas me représenter (…) et cela même si la Constitution me le permet ».

C’est une grosse bouffée d’oxygène que cette décision de Macky Sall de renoncer à son projet de 3e candidature. Mais il reste une autre source de tensions au Sénégal. Il s’agit du cas de l’opposant principal Ousmane Sonko, condamné à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse ». Le régime en place semble être dans l’optique de lui barrer le chemin de la Présidentielle et son arrestation imminente pourrait encore plonger le pays dans des émeutes incontrôlables.

Cette semaine encore, les arrestations dans les rangs de l’opposition continuent. Le président du groupe parlementaire de Yewwi Askan Wi, a été arrêté et placé en garde à vue mercredi 05 juillet pour diffamation sur le chef de l’Etat. Biram Souley Diop, pour ne pas le citer, est également l’administrateur du parti PASTEF d’Ousmane Sonko. Mardi 04 juillet, pas moins de 15 responsables de ce même parti ont été placés sous mandat de dépôt et envoyés en prison par le juge du Deuxième cabinet Mamadou Seck. Leur crime, se rendre à la Cité Keur Gorgui le 25 juin 2023 pour rendre visite à leur leader.

Oumy Sambou

President Macky Sall of Senegal – Photo: MONUSCO Photos/Flickr