Il y a quelques semaines, j’ai eu l’opportunité de faire passer un entretien pour des emplois à deux femmes. Nous avons posé quelques questions standard. Quel âge avez-vous, êtes-vous mariée, que savez-vous de ce secteur, etc. Nous leur avons également demandé où elle vivait et si elles pouvaient gérer les transports entre leur lieu de travail et leur domicile étant donné que ces emplois signifiaient notamment que l’une d’entre elles devrait travailler après les heures de bureau. L’une des candidates m’a affirmé qu’il n’y avait aucun problème. Mais elle a également précisé quelque chose qui m’a fait réfléchir : « Ça ne me pose aucun problème de travailler en dehors des heures de bureau, si ce n’est pour les nouveaux problèmes d’insécurité ».
Elle était consciente du fait que les choses avaient changé. Que Kampala n’était pas la ville sure quelle avait été. Et cela la préoccupait. Cela allait affecter à bien des égards son emploi.
Depuis le début de 2017, 43 femmes de Kampala et des environs ont été retrouvées mortes. Bon nombre d’entre elles avaient été poignardées ou étranglées, il manquait des membres à certaines et d’autres avaient subi des violences inhumaines, certaines ayant été retrouvées avec des bâtons insérés dans le vagin.
Je ne pourrais dire le nombre de fois où mon père m’a envoyé des messages pour me demander où j’étais, passé 21 heures. Ces derniers mois, je n’ai donc pas eu de vie nocturne. Je devais être rentrée avant 20 heures.
Une de mes cousines a été frappée par des hommes avec une barre de fer alors qu’elle arrivait à la porte de son domicile. Il était environ minuit. Le message suivant a été envoyé à tous les membres de ma famille – un message empreint de peur. Pour notre santé mentale – Rentre tôt à la maison, amitié – Tes parents. Telle est la peur avec laquelle les Ougandais, en particulier les femmes, doivent vivre.
Des hommes ont été arrêtés mais aucune réponse complète n’a été donnée pour expliquer comment et pourquoi ces femmes avaient été tuées.
Le 30 juin 2018 est une date qui est entrée dans l’histoire. En Ouganda, les femmes ont décidé de manifester et de dire « Ça suffit ». C’était formidable de voir des femmes de tous horizons se rassembler pour faire entendre leurs préoccupations, leur colère contre le manque de respect dont les femmes sont victimes, des femmes qui ne se sentent pas en sécurité, protégées et entendues.
Des pancartes avec les visages et les noms des 43 femmes ont été brandies en leur hommage.
« Les femmes manifestent dans les rues de #kampala pour protester contre les meurtres et enlèvements généralisés de femmes #WomensMarchUG@observerug »
Il est important de noter que les nombreuses tentatives de manifestation de femmes organisées par la société civile ou autres ont toujours été contrecarrées par la police ougandaise. Même celle-ci était sur le point d’être déclarée illégale jusqu’à l’intervention de M. Jeje Odong, ministre des Affaires intérieures. Il a écrit au chef de la police ougandaise pour lui demander de revenir sur sa décision d’interdire la manifestation. L’autorisation d’organiser la manifestation n’a été accordée que la veille de l’événement.
Heureuse d’annoncer que la police s’est finalement ralliée à notre cause pour soutenir notre #WomenMarchUG demain. Un grand merci @AKasingye pour toute votre aide. La manifestation partira à 10h00 devant le Parc du Centenaire.
L’ambassadrice des États-Unis en Ouganda et l’ambassadrice de France en Ouganda ont honoré la manifestation de leur présence.
Les ambassadrices de France et des États-Unis en Ouganda au nombre des manifestants
Voir les femmes expliquer pourquoi elles avaient décidé de manifester était très émouvant. Une amie, Anne Fleischmann, qui est allemande mais vit et travaille en Ouganda, a posté le message suivant sur Twitter :
Je manifesterai aujourd’hui pour la fille de la famille de mon partenaire qui a été kidnappée et refuse de parler de ce qui lui est arrivé. Pour la sœur de mon ami, qui a été attirée de force dans une voiture en marche. Pour toutes les Ougandaises qui ne se sentent pas en sécurité lorsqu’elles rentrent chez elles la nuit. Je vous retrouve là-bas ! #WomenMarchUG.
Cela montre que nombre de femmes ont été affectées, qu’elles soient Ougandaises ou non.
Des groupes femmes ont manifesté en solidarité avec l’événement central qui se tenait en Ouganda. Des manifestations se sont tenues à Chypre, à Berlin, au Soudan du Sud et en Espagne . C’est ce qu’on appelle s’unir dans une mission.
J’ai annoncé que je manifesterai, seule s’il le faut. Tout s’est bien passé (à Chypre) et deux femmes sont venues me soutenir (une Nigériane et une Egyptienne).
J’ai manifesté avec le cœur et l’esprit aux côtés des Ougandaises.
Nous demandons à être protégées, nous demandons que justice soit faite. #WomensMarchUg #WomenLivesMatterUg
Des hommes étaient également présents pour affirmer leur soutien total. Un certain nombre d’entre eux ont également manifesté avec des pancartes affichant des messages graves.
Je manifeste parce que [« ENVOIE-MOI UN MESSAGE POUR ME DIRE QUE TU ES BIEN RENTRÉE »] veut dire bien plus aujourd’hui qu’hier. #WomensLivesMatterUG#WomensMarchUG
Rentrer dans l’histoire n’était que le début. Et je suis sure que le gouvernement a vu qu’il était effectivement possible d’organiser des manifestations pacifiques. Bravo à toutes les femmes en Ouganda qui se sont assurées que leurs voies seraient entendues. Et encore plus aux féministes sur Twitter qui ont montré qu’il était possible d’organiser un mouvement en ligne et hors ligne.