Alors que la crise dite anglophone au Cameroun s’éternise et que les attaques perpétrées sur les autorités administratives dans les deux régions anglophones se multiplient, la situation des populations civiles dans la zone est de plus en plus inquiétante.

Affrontements entre armée et sécessionnistes

Après plusieurs mois de revendications pacifiques et de désobéissance civile (à travers les ghost towns(Villes mortes), plusieurs groupuscules apparemment indépendants se sont formés dans la région anglophone du Cameroun et sont passés à une autre phase de la protestation : des attaques perpétrées sur les forces de l’ordres envoyées par l’État du Cameroun dans la zone.

Avant cette montée en puissance, plusieurs véhicules, des écoles, des marchés et même des postes de police avaient déjà été incendiées ou vandalisées par des individus non identifiés. Des hommes en tenue avaient également été molestés, mais cela demeurait des cas isolés.

Aujourd’hui le phénomène est très répandu, et le bilan s’alourdit au fil du temps. Dans le camp de l’armée autant que dans celui des sécessionnistes, on déplore des morts. En plus des morts dont le nombre augmente avec le temps, il y également eu plusieurs enlèvements ou tentatives d’enlèvement de personnalités depuis le début de la crise.

Une véritable guerre, asymétrique, se déroule donc entre l’armée censée protéger la population des attaques et autres exactions des groupuscules armés, et les sécessionnistes qui, eux, se battent pour la “restauration de l’indépendance du Southern Cameroon”. Et au milieu des deux, il y a la population, qui fait les frais de ces affrontements.

La population paie les pots cassés

Les populations des régions du Nord-ouest et du Sud-ouest ont, depuis le début de la crise actuelle, été sacrifiée pour les intérêts de l’un ou de l’autre camp. Cela commence avec la grève et la perturbation des cours dans la zone : plusieurs enfants sont molestés sur le chemin de l’école, d’autres sont expulsés des salles de classe, certains sont blessés, traumatisés. Les parents en souffrent, des enseignants vacataires également qui se retrouvent sans emploi du jour au lendemain. Pourtant, la population n’a pas le choix. Ceux qui violent les mots d’ordre de grève sont punis. Ainsi des écoles seront incendiées, des enseignants verront leurs véhicules vandalisés ou simplement incendiés eux aussi.

Ensuite vient l’instauration des « villes mortes » (ghost towns) : les populations doivent sacrifier leurs activités économiques un jour par semaine, parfois deux, en fonction des directives qui leur sont imposées par les leaders du mouvement. Des commerces ferment, les activités tournent au ralenti, et comme toujours ceux qui s’entêtent à vaquer à leurs occupations sont sévèrement punis. Marchés et écoles sont incendiés, pénalisant encore plus l’activité économique que les suspensions et/ou perturbations d’internet avaient déjà contribué à faire tomber.

La forte militarisation de la zone n’aide pas beaucoup, au contraire. Les hommes en tenue sont accusés de diverses exactions, les populations ne se sentent pas vraiment en sécurité. C’est peut-être cette hyper militarisation et les nombreux abus qui auraient été commis sur les populations par les hommes de l’armée qui contribuent à radicaliser certaines personnes et facilitent la création de groupes d’autodéfense qui avec le temps s’en prendront aux hommes en tenue, considérés par beaucoup comme des envahisseurs et des oppresseurs.

La riposte de l’armée est violente, mais le camp d’en face se renforce. Les groupes clandestins se multiplient et les attaques aussi. Les villages près des frontières sont les plus touchés, et une fois encore, c’est la population désarmée qui encaisse. Des villages entiers sont incendiés, forçant les habitants à s’installer dans la brousse pour échapper au feu, à l’armée et/ou aux groupes de sécessionnistes. Plusieurs personnes périssent dans les flammes, dont aucun camp n’accepte de porter la responsabilité – une récente vidéo montre ce qui semble être des soldats de l’armée camerounaise en train d’incendier des maisons dans un village, mais jusqu’ici aucune preuve formelle n’existe.

À ce jour on estime à 34.000 le nombre de camerounais réfugiés au Nigeria (selon International Crisis Group), et plusieurs centaines d’autres survivant péniblement avec leurs familles dans les forêts, sans doute trop éloignés de la frontière avec le Nigéria, ou bien trop apeurés pour s’engager à quitter le confort précaire que leur offre la forêt.

Équation difficile

À l’heure où la situation s’enlise, s’aggrave même, il devient de plus en plus difficile de trouver une solution de sortie de crise viable et définitive à cette crise qui a déjà trop duré, et qui fait souffrir les populations au nom de qui chaque camp dit se battre.