D’aussi loin que l’on puisse remonter de mémoire d’homme, la source de l’autrefois puissant Zambèze est asséchée. Plus surprenant encore est le fait que cela se produise à un moment où les niveaux d’eau dans la région sont supposés être au plus haut en raison des bonnes pluies que l’on a pu connaître au cours des six derniers mois.
Une visite sur place révèle une vision bouleversante ; l’œil ne découvre qu’une plaque de terre asséchée là où le Zambèze surgissait auparavant. Dans des temps meilleurs, c’était le premier aperçu que l’on pouvait avoir du fleuve alors qu’il sortait de terre pour former un ruisseau ; il disparait aujourd’hui pour ressurgir en des lieux visibles ici et là.
L’importance de cette source est la raison pour laquelle le gouvernement zambien l’a déclarée zone protégée. C’est également la raison pour laquelle de magnifiques sentiers ont été aménagés pour permettre aux visiteurs de se promener et de découvrir ce lieu phénoménal qu’est la source du Zambèze. Ce lieu est également la raison pour laquelle le gouvernement zambien a construit un magnifique centre dédié aux visiteurs, afin d’informer les touristes.
Que se passe-t-il ?
Willy Chiwaya, assistant à la conservation qui s’occupe de la source du Zambèze depuis une dizaine d’années, admet que c’est la première fois que la zone est asséchée depuis qu’il travaille ici. Selon lui, le phénomène est peut-être dû à l’insuffisance des précipitations cette année – même si la zone a connu des pluies en quantité suffisante.
Chiwaya explique cependant que le phénomène qui s’est produit cette année est exceptionnel, car la nappe phréatique a baissé en dépit des bonnes pluies :
« Le niveau de la nappe phréatique a vraiment baissé. Nous n’avons pas eu suffisamment de précipitations cette année, contrairement aux années précédentes. Il y a toujours de l’eau dans la zone, mais elle se trouve maintenant à 300 m de la source sur laquelle nous nous trouvons », affirme M. Chiwaya.
Comme Chiwaya, les traditionnalistes ont également une explication à proposer : « nos aïeux sont énervés, c’est pour ça que la source est asséchée. Ils sont énervés contre les Blancs qui ont empiété sur notre terre et nous ont chassé de la source. Nous demandons au gouvernement de nous autoriser à reprendre la cérémonie du Musolu », a déclaré le chef Makalanga, un dirigeant local Lunda qui vit à moins de deux kilomètres de la source du Zambèze.
Les Lundas sont les propriétaires de cette terre – la source du Zambèze. Les Lundas avaient appelé le fleuve Yambzehi, mais les Blancs ont décidé de l’appeler Zambèze. Le nom de la République de Zambie vient du nom du fleuve.
Avant que la source du fleuve ne devienne patrimoine national, les Lundas considéraient la zone comme un sanctuaire. Ils venaient y accomplir des rituels.
« Là où se tient le monument, il y avait une espèce d’hôpital où l’on amenait nos malades pour les y guérir. Les ancêtres venaient là, cueillaient quelques plantes et feuilles d’arbre qu’ils mélangeaient pour administrer aux personnes venues se soigner au camp, où elles pouvaient guérir », nous indique M. Chiwaya.
Chiwaya explique également que les restrictions étaient religieusement respectées dans ce sanctuaire :
« Aujourd’hui, certaines restrictions ne sont plus respectées, c’est pour ça que ce lieu n’est plus un sanctuaire. Seuls les hommes circoncis et les femmes qui n’avaient pas eu de rapports sexuels dans la journée étaient autorisés à venir ici ».
Et puis l’homme blanc arriva
Le chef Mukangala vit à quelques kilomètres de la source du Zambèze. Pendant l’époque coloniale, il était le Chef Kabanda, mais en 1947, il fut déclassé car sa chefferie ne comptait pas assez d’habitants. Le gouvernement colonial britannique affirmait que ses villages étaient trop éparpillés et qu’il ne pourrait préserver l’unité au sein de sa chefferie.
Aujourd’hui, le chef Mukangala considère que l’assèchement de la source est la conséquence d’une malédiction.
« La décision de nous interdire de célébrer la cérémonie traditionnelle du Musolu à la source du Zambèze est la cause de nos problèmes et de l’assèchement de la source. Les esprits sont énervés », affirme le chef traditionnel.
Avant que les Blancs n’arrive dans la région dans les années 1920, les villageois y célébraient une cérémonie appelée Musolu. Lors de ce rituel, ils priaient et demandaient aux Dieux que les pluies soient bonnes. Un rituel qui n’est plus célébré aujourd’hui.
« Au cours de la cérémonie, nous commencions par prier Dieu pour que nous connaissions une bonne saison des pluies. Tous les chefs que je gouvernais se réunissaient à la source du Zambèze. Tous étaient satisfaits car ils pouvaient s’adresser directement à Dieu », affirme-t-il.
La cérémonie du Musolu, comme nombre d’autres activités culturelles de cette nature, se tient une fois par an. Le chef Mukangala nous raconte comment ils procédaient. Jetant des graines au sol, le chef nous dit « Nous peignions nos visages avec de la poudre blanche, et nous demandions à Dieu que tout ce que nous avions planté germe pour que notre peuple ait suffisamment à manger l’année suivante ».
Mais tout n’est pas si sec qu’il y paraît à la source du Zambèze
A trois cent mètres de la source, on observe une certaine activité. Le petit ruisseau qui jaillit d’une fontaine souterraine est le premier signe visible que le Zambèze coule toujours là. Comme ils le disent eux-mêmes, les grandes choses commencent parfois petites. Ce sont les humbles débuts du Zambèze, avant qu’il n’entame son long périple sinueux jusqu’à l’Océan Indien.
Le Zambèze grossit et traverse Kalene Hill, dans le district d’Ikelengi, avant de traverser l’Angola. En Angola, le Zambèze prend encore de l’ampleur et gagne en stature, de plus en plus de cours d’eau s’y jetant. Le fleuve s’écoule ainsi sur 240 kilomètres, gonflant, avant de revenir en Zambie.
A quelques mètres avant d’entrer en Zambie, le Zambèze traverse un lieu du nom de Lingelengenda, dans le district de Chavuma. On y trouve des rapides ainsi que des piscines naturelles que les jeunes affectionnent tout particulièrement. On peut voir de jeunes garçons nager dans les rapides sans crainte de se faire happer par les crocodiles, fréquents dans la région.
De l’Angola, le Zambèze s’écoule rapidement vers le Sud, en direction de la ville de Chavuma, et forme une autre série de rapides qui plongent dans les chutes de Chavuma. Le Zambèze poursuit alors son périple vers le Sud jusqu’à la province occidentale, jusqu’au Mozambique pour finir par se jeter dans l’Océan Indien.
Tout le long de ses 3 540 kilomètres, le Zambèze est une bouée de survie pour des millions de personnes en Afrique austral. Mais ce sont les nouveaux développements à la source du Zambèze qui sont inquiétants. Cet asséchement a-t-il des effets sur ce fleuve tumultueux ?
« Je pense qu’on n’a pas eu suffisamment de pluies, car si vous avez vu l’état de la route que nous avons emprunté en venant ici, elle est toujours en très bon état, alors que d’habitude, à cette saison, on a toujours beaucoup de mal à venir jusqu’ici car tout est inondé. Mais elle est toujours en bon état car nous n’avons pas eu suffisamment de pluies », affirme M. Chiwaya.
En dépit de ce phénomène climatique, le Zambèze est le pourvoyeur de toutes choses. Le fleuve est un moyen de transport, une source de nourriture et de travail en Zambie, en Angola, au Botswana, en Namibie et au Mozambique. C’est également une source majeure d’électricité pour ces pays en raison des nombreuses chutes d’eau et retenues qui produisent de l’hydroélectricité à des fins domestiques et industrielles.
NOTE : La version originale de cet article a été diffusée dans un programme de TV1 Newsline en Zambie le 19 mai 2017 – vous pouvez le visionner en cliquant ici.