Alors que la tendance en matière de droits humains est de plus en plus inquiétante dans le monde, les libertés civiles ont été durement frappées en 2018. Les auteurs de crime ont continué à profiter de l’impunité pour enfreindre effrontément les droits, au mépris de l’Etat de droit.
Les libertés civiles sont un pilier crucial pour des sociétés pacifiques, justes, ouvertes et prospères. Lors de la Kampala Geopolitics Conference qui a duré deux jours, organisée par le bureau en Ouganda du Konrad-Adenauer-Stiftung (KAS) et d’autres partenaires, les discussions sur la façon dont les tendances mondiales sapent les piliers de la démocratie constituaient une réflexion perspicace sur l’importance des valeurs des libertés civiles dans une démocratie.
Quand les individus peuvent s’exprimer librement, en particulier leurs différences d’opinion, et explorer les opportunités, les sociétés connaissent une croissance inclusive et la stabilité est solidement ancrée. Quand les droits humains sont attaqués, tout succès que la société connaît reste inexorablement fragile.
En Ouganda, le paysage des droits humains a été modelé par plusieurs violations et abus, notamment les attaques concertées contre des leaders politiques de l’opposition, la répression des rassemblements pacifiques, la répression des libertés des médias et de la liberté d’expression, en particulier en ligne (arrestations et mise en œuvre de la taxe sur les médias sociaux de 200 UGX par jour), le rétrécissement de l’espace civique, la torture, les arrestations et détentions arbitraires, les longues périodes de détention avant d’être jugé, les disparitions forcées et les détentions au secret, ainsi que l’absence de réparation effective en cas de violations.
Il est évident que nous devons en faire plus pour défendre les libertés civiles et prendre la défense des défenseurs des droits humains, qui défendent nos droits quotidiennement. Mais pour avoir une chance de le faire efficacement, il est essentiel que nous réfléchissions aux tendances.
La nuit du 13 août 2018, des membres de la Sûreté générale ont fait une descente dans l’Hôtel Pacific situé dans la ville d’Arua à l’Ouest du Nil, et semé la terreur car des individus auraient lancé des pierres contre un véhicule du cortège du Museveni. Night Asara, Caroline Nalubowa, Akira Maida, Jane Abola, Zaake Francis, Robert Kyagulanyi alias Bobi Wine et 26 autres personnes ont été frappés et brutalement arrêtés. D’autres ont déclaré avoir été torturés. Ils ont ensuite été accusés de trahison devant un tribunal de Gulu, dans le Nord du pays.
Dans la même affaire, des accusations de possession illégale d’armes à feu et de munitions ont été portées à l’encontre de Bobi Wine sur la base d’allégations selon lesquelles 2 Kalachnikovs et 30 cartouches de munition ont été retrouvées dans sa chambre d’hôtel. Comme on pouvait s’y attendre, les fausses accusations se sont très vite écroulées comme un château de cartes. Le principe de l’interdiction d’être jugé deux fois pour les mêmes faits a été invoqué pour sauver les apparences. L’accusation de trahison devant la Haute cour n’avait pourtant rien à voir avec les armes.
Ces actes enfreignent les principes de base que sont le droit à des procès équitables, les garanties de procédure et l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants.
Le point commun à toutes ces violations était l’effort délibéré de s’assurer que tout se produisait à l’aveuglette. En conséquence, plusieurs journalistes en première ligne ont été ciblés, agressés, torturés, arrêtés et détenus arbitrairement. Par exemple, Herbert Zziwa et Ronald Muwanga de NTV Ouganda ont été agressés puis arrêtés à Arua pendant une diffusion en directe.
James Akena, photojournaliste de Reuters, a été isolé par des soldats et brutalement tabassé alors qu’il levait son appareil pour montrer qu’il ne prenait plus de photos. En août et en septembre, les attaques contre les journalistes couvrant les manifestations et autres évènements liés à Bobi Wine se sont poursuivies.
S’en est suivi un discours purement formel du gouvernement pour traduire les coupables en justice. Au mieux, les agents de l’Etat impliqués étaient apparemment présentés devant les comités disciplinaires des forces de sécurité pour donner l’impression que justice était rendue quand, en réalité, il n’en était rien. Il est important de noter que les actes présumés étaient des actes criminels, et qu’en tant que tels, ils ne peuvent être jugés par un tribunal disciplinaire.
Pour que justice soit faite, les agents de l’Etat auraient dû être présentés devant un tribunal pénal afin de répondre aux accusations pénales. Les poursuites disciplinaires pour des actes criminels constituent au mieux une simple comédie et ne peuvent mener à une réparation effective des violations des droits.
En octobre 2018, le pays a assisté à une autre violation brutale des droits. A quelques mètres de l’Eglise Christ the King dans le centre-ville, des membres de la Sûreté générale en civil ont interpelé un civil, Yusuf Kawooya, l’ont violemment torturé en plein jour lui brisant plusieurs côtes. Plusieurs autres incidents similaires d’arrestations arbitraires et de passage à tabac de civils lors de manifestations ont été rapportés au cours de l’année.
Les longues périodes de détention avant d’être jugé ont continué à constituer une préoccupation majeure. Au cours de l’année, 52 % de la population carcérale de l’Ouganda était composée de détenus en instance de jugement, incarcérés dans des prisons fortement encombrées présentant des taux d’occupation de plus de 300 %. Ce qui est extrêmement préoccupant, c’est que les raisons de cette crise sont en grande partie évitables.
Par exemple, si nous mettons un terme aux arrestations arbitraires, règlementons efficacement les pouvoirs de sanction des procureurs généraux pour écarter toute possibilité d’accusations sans fondement, réformons le système d’incarcération inefficace et l’administration du droit d’être libéré sous caution, mettons fin aux incessants reports d’audience des tribunaux et garantissons une meilleure gestion des programmes de déjudiciarisation, la situation s’en trouverait considérablement améliorée.
En 2018, la Internal Security Organisation (ISO, l’Organisation interne de la sécurité) et la Chieftaincy of Military Intelligence (CMI, la Direction des renseignements militaires) ont pris part à un travail de maintien de l’ordre. Elles ont à plusieurs reprises effectué des arrestations et détenu des civils au mépris de la section 4 (2) de la Security Organisations Act (Loi sur les organisations de sécurité) qui interdit aux membres des organisations de renseignement d’exercer des pouvoirs d’arrestation, de détention ou d’incarcération. Ces organisations sont tenues de demander à un policier d’effectuer l’arrestation.
En raison de l’implication active des organisations de sécurité, qui ne disposent d’aucune installation officielle de détention des civils ni de procédures établies pour gérer les suspects détenus, les incidents de détention au secret se sont multipliés au cours de l’année. Des cas de disparitions forcées ont également été rapportés. Des individus disparaissaient et leurs proches n’avaient aucune idée de l’endroit où ils avaient été emmenés. Med Kaggwa, le président de la Commission des droits humains de l’Ouganda a récemment révélé comment la Commission avait découvert que cinq personnes disparues étaient détenues dans un centre de détention sous le contrôle de l’armée.
L’absence de réparation effective pour la plupart de ces violations et abus a encouragé l’impunité de ces crimes.
En avril 2018, le nouvel Inspecteur général de la Police (IGP) a pris quelques mesures positives. Il a par exemple ordonné la fermeture de Nalufenya, le fameux centre de détention situé à Jinja, connu pour son recours à la torture. En mai, il a ordonné le démantèlement de l’Unité de brigade volante de l’Ouganda, un groupe connu pour son recours à la torture, à l’extorsion et à la détention prolongée des suspects.
L’IGP a par ailleurs émis plusieurs directives relatives aux arrestations et autres domaines clés des opérations policières qui, si elles étaient appliquées, contribueraient à réformer les forces de l’ordre dans les domaines respectifs. Malheureusement, les directives n’ont pas été mises en pratique. Du moins, par encore.
Nous devons faire plus en 2019 pour défendre les libertés civiles. Nous ne pouvons nous permettre de rester indifférents.