La prolifération de la désinformation sur les réseaux sociaux – ou même simplement les traitements partisans ou sensationnels de la politique, des sciences et des relations humaines – pourrait raisonnablement être considérée comme une menace à la démocratie elle-même.
Si vous ajoutez de la propagande informatique à ce mélange, dans laquelle des robots sont déployés pour manipuler l’opinion publique, des bulles se forment encore plus rapidement, et vous pouvez maintenant trouver une communauté fermée et s’auto-renforçant pour consolider n’importe quelle opinion à laquelle vous pourriez penser.
La cryptozoologie (Bigfoot, etc.) en est un vieil exemple, mais c’est le même phénomène que nous voyons aujourd’hui quand des gens partagent « la vérité » sur des forums de discussion, dans des talk-shows, des podcasts et des journaux, visant à renforcer un point de vue particulier, plutôt qu’à avoir une idée préconçue en faveur d’un certain point de vue tout en étant toujours ouvert au débat et potentiellement à une rectification.
Et si les convictions ne sont pas ouvertes à une rectification, elles ne constituent que de simples préjugés, et les préjugés ne sont pas une base saine pour un choix informé, pour la démocratie (qui dépend d’un choix informé) ni par conséquent pour la société.
L’un des éléments que j’essaie de transmettre, que ce soit dans l’enseignement ou dans l’écriture, est la valeur de l’humilité intellectuelle, selon laquelle non seulement nous acceptons mais aussi recherchons la possibilité d’avoir tort (parce qu’en définitive éliminer les croyances erronées rende l’ensemble global de convictions plus robuste), mais selon laquelle nous reconnaissons également que la réponse la plus irrationnelle fondée sur des principes à la plupart des questions est « Je ne sais pas ».
Mais aujourd’hui, il semblerait qu’un nombre bien trop important d’entre nous ait rejoint la course du premier à avoir un « point de vue immédiat », car chacun parle immédiatement de l’indignation du jour, et si vous n’enregistrez pas vos réflexions à temps, personne ne saura jamais à quel point vous êtes bouleversé (ou ironiquement indifférent).
Nous somme trop nombreux à oublier que nous ne sommes pas obligés de choisir notre camp immédiatement ; que nous ne savons généralement pas assez de choses pour pouvoir choisir un camp, et que les problèmes sont invariablement plus complexes que ce que les gens disent cinq minutes après avoir pris connaissance du problème.
C’est en partie la raison pour laquelle j’ai été moins actif que d’habitude ici sur Synapses le mois dernier. Il y a tout simplement trop d’agitation, et il peut parfois sembler quelque peu vain de contribuer à des réflexions qui n’impliquent pas d’être très bouleversés à propos de quelque chose/quelqu’un ou alternativement d’être vainement heureux parce qu’on a vu des chiots ou un type de formation rocheuse.
Mais tandis que le pessimisme concernant notre capacité à adopter une position plus réfléchie sur ce que nous voyons sur Twitter et ailleurs est certainement justifié – en particulier pour les Sud-africains qui, à cinq mois d’une élection, ont soumis à un régime consistant en 90 % de désinformations – il est trop tôt pour perdre totalement espoir.
D’abord, ceux d’entre nous qui s’en soucient peuvent encore contribuer de diverses manières à favoriser une communauté raisonnée, notamment en acceptant la nuance et le désaccord poli, en affichant des rectifications au moyen de lettres, de commentaires et de tweets, en appuyant les organisations chargées de vérifier les faits et en s’abonnant à un journalisme de qualité.
Ensuite, nous pouvons apprendre (et enseigner) quelques principes de base de la réflexion critique, pour contribuer à des tâches essentielles comme distinguer les bonnes sources des mauvaises sources ou les preuves irréfutables des preuves incontestables.
Il y a quelques années, j’ai audité le cours edX « The Science of Everyday Thinking » (La science de la réflexion quotidienne), qui est une ressource gratuite sur la façon dont nous raisonnons et dont nous pouvons améliorer notre raisonnement. Ce cours est encore disponible et toujours gratuit, et constitue l’une des nombreuses ressources dont quiconque (ayant une connexion Internet, etc.) peut bénéficier.
Un autre élément que j’ai toujours estimé essentiel, mais qui se fait de plus en plus rare, consiste à nous rappeler comment nous pouvons contribuer à des débats sains au moyen de notre conduite, grâce à quelques-unes des leçons que les écoles américaines appellent « éducation civique ».
Une relation saine avec les médias sociaux est un « problème d’action collective » classique – nous nous sentirions tous mieux si nous opérions dans ce que Wilfrid Sellars appelle « l’espace logique des raisons » – un cadre dans lequel nous pouvons, et devons, justifier ce que nous disons plutôt que de simplement hurler nos opinions aux autres.
Cependant, en tant qu’individus, nous pouvons avoir le sentiment qu’il est plus gratifiant (eu égard à l’économie de l’attention présentée ci-dessus) de pouvoir dire ce que nous aimons, en rejoignant la brève vague d’indignation puis de passer à l’indignation suivante au moment où elle se produit (en général en l’espace de quelques heures, si ce n’est de quelques minutes). Mais cela ne sert aucun de nos intérêts à long terme. Une partie de la solution au cycle d’indignation qui n’apprend rien est donc de résister à la pression de rejoindre une foule et d’encourager les autres à être tout aussi prudents.
Twitter, Facebook et quel qu’autre exutoire que vous choisissiez n’enfreint généralement aucune promesse en utilisant des algorithmes pour placer certains sujets davantage sous nos yeux que d’autres. Nous sommes plus nombreux à regarder, et ils gagnent davantage de revenus publicitaires, mais n’ont jamais promis de fils d’actualité sans filtre. Ils nous montrent ce que nous leur disons aimer (à l’exception bien sûr des cas comme les manipulations de Cambridge Analytica ou Bell Pottinger).
Nous pouvons évaluer les informations de manière plus critique que nous ne le faisons actuellement, et cela commence par savoir et ne pas oublier que le fil d’actualité n’est pas neutre. Un corollaire à cela est que nous devrions être prudents à ne pas embrasser le paternalisme inhérent à la notion que nous avons besoin d’une protection extérieure contre nos pires impulsions (bien que cela soit bien sûr parfois nécessaire).
Demander à de grandes sociétés de régler le problème de notre crédulité et de notre prédisposition au sensationnel leur confère un devoir que nous devrions assumer, notamment parce que le paysage de l’information et le type de lance d’incendie changeront, donc toute solution mise en place par exemple sur Twitter, n’aidera pas nécessairement sur la plateforme suivante.
Notre propre intérêt est d’être plus sceptiques et de contribuer à favoriser une communauté dans laquelle l’humilité et les vertus épistémiques sont valorisées, et nous ne devrions pas déléguer cette tâche à Mark Zuckerberg ou aux législateurs. Nous ne devrions pas non plus penser que les personnes qui lâchent des « bombes de vérité » sur Twitter résoudront le problème, en raison des bulles dont nous avons parlé plus haut.
En bref, si nous cherchons des solutions en termes de design ou des solutions légales à ces problèmes, nous passons à côté du problème fondamental (ce qui ne veut pas dire que ces solutions ne peuvent pas aider). Ce qui nous manque le plus est de considérer davantage nos responsabilités individuelles les uns envers les autres, envers le débat et la raison et envers la société dans son ensemble.
Déléguer la responsabilité de contrôler la désinformation à de grandes sociétés, des organismes de contrôle et des gouvernements est une renonciation de nos propres devoirs, ce qui ne nous rendra que plus vulnérables à la désinformation à l’avenir, parce qu’au lieu d’encourager les gens à réfléchir, nous laissons ces agents réfléchir pour nous.
Bon nombre d’entre nous ne savent plus faire de longues divisions ou écrire avec une écriture cursive et nous ne nous rappelons plus qu’une poignée de numéros de téléphone. Ce n’est pas grave – Je suis content de pouvoir traiter l’Internet comme une « extension de mon cerveau », bien que nous puissions nous sentir mutilés quand il tombe en panne ou que nos batteries sont vides.
Mais la tâche de base consistant à se former des opinions, à débattre ou à trouver un terrain d’entente avec des adversaires intellectuelles ne pouvant être réalisée par nos Smartphones, prenons donc soin à ne pas oublier comment le faire nous-mêmes.