Le vieil adage swahili, « Vijana ni taifa la kesho » (la jeunesse est la nation de demain), semble dépassé. Même l’usage de la phrase « La jeunesse d’aujourd’hui, l’avenir de demain » semble être en déclin. L’expression qui semble être actuellement en vogue pour parler de l’Afrique est « Le jeune continent ».

Il n’est donc pas surprenant que la jeunesse africaine soit au centre de l’attention des défenseurs de l’entrepreneuriat. En Tanzanie, par exemple, des entités issues des secteurs public et privé qui mettent en valeur l’entrepreneuriat des jeunes prolifèrent. Celles-ci sont notamment le Tanzania Entrepreneurship and Competitiveness Centre (« Centre d’entreprenariat et de compétitivité de la Tanzanie », ou TECC), le National Economic Empowerment Council (« Conseil national pour l’émancipation économique », ou NEEC), l’Institute of Management and Entrepreneurship Development (« Institut de gestion et développement de l’entreprenariat », ou IMED), et The Launch Pad Tanzania (« La rampe de lancement de Tanzanie »). Le Pr Faustin Kamuzora, Secrétaire permanent au cabinet du Premier ministre chargé des Politiques et de la coordination des affaires gouvernementales, explique de manière judicieuse les éléments moteurs de ces initiatives. Lors de sa récente visite au TECC, ce dernier a déclaré : « Il faut donner à cette population importante de jeunes dans le pays la formation et les moyens nécessaires, car ils sont un moteur de la croissance économique ; en leur offrant des compétences d’entrepreneurs, des techniques commerciales et des connaissances pratiques, ils deviendront plus productifs et contribueront ainsi à la croissance du PIB. » Puisque la nervosité des jeunes reste un « Enjeu majeur pour l’Afrique », on peut comprendre pourquoi le dicton sur l’entrepreneuriat des jeunes est à la mode.

L’effort de formation des jeunes visant à leur donner des compétences en matière de création d’entreprise est néanmoins digne d’éloges. Et l’énergie consacrée dans ce but est admirable. Prenons pour exemple Carol Ndosi et Henry Kulaya qui utilisent avec passion le Launch Pad Tanzania pour diffuser, entre autres, ce qu’ils appellent les « Compétences du 21e siècle pour les entrepreneurs et l’emploi ». Les membres de leur première promotion ont récemment obtenu leurs diplômes haut la main.

Tous les diplômés ont conçu un prototype de ce à quoi ressembleraient leurs produits préférés, en se fondant sur l’approche « Orientation client-HCD » : « L’idée entrepreneuriale » de Jesmoh « est d’obtenir un RÉSEAU DE CONNECTIVITÉ INTERNET » ; Joyce « aimerait se lancer dans une entreprise d’approvisionnement en fruits, pour la vente au détail et en gros » ; Suzan, « Une entreprise Gallet et de cosmétiques » ; Ismail, « une fondation pour l’émancipation des femmes – PROGRAMME DE DÉVELOPPEMENT DES REINES » ; Eva , « une boulangerie spécialisée dans le pain complet » ; et Naomi « démarrer une entreprise de GÉNÉRATION D’ÉNERGIE SOLAIRE ».

Lors de l’un des exercices pratiques, il a été demandé aux stagiaires de générer un bénéfice de 2 000 TZS en deux jours après leur avoir confié 10 000 TZS de capital de démarrage. Christina Hillary constate que la plupart d’entre eux ont réussi à faire un bénéfice, l’un d’eux atteignant presque 4 000 TZS. Bien sûr, comme elle le déclare, il ne s’agissait pas seulement de générer un bénéfice, mais aussi « d’ajouter de la valeur à leurs produits et à l’orientation client… ».

La Thèse de doctorat du Dr Jacqueline Mgumia, Choices on Money: Entrepreneurship and Youth Aspiration in Tanzania (Les choix en matière d’argent : entrepreneuriat et aspirations des jeunes en Tanzanie), présente une nouvelle méthodologie sur la manière de mener ces expériences sociales. Grâce à une subvention aux entreprises de 200 000 TZS accordée à 52 diplômés de Classe IV et à un concours incitatif pour gagner des prix en gestion, elle a réussi à suivre de près leurs compétences émergentes d’entrepreneurs sur une période d’un an. Certains d’entre eux ont réalisé des bénéfices assez conséquents.

Cependant, son étude constitue également une mise en garde sur la manière dont de telles interventions ne parviennent pas à surmonter des obstacles structurels. Ce sont ces problèmes qui limitent, à la base, l’accès des jeunes aux études supérieures et à l’emploi formel. Ou, comme le dit Ory Okolloh : « L’Afrique ne peut pas régler tous ses problèmes fondamentaux par l’entrepreneuriat » en « ayant une fascination excessive pour l’entrepreneuriat ». Je voudrais à ce sujet évoquer le concept d’« investisseurs providentiels » qui a été adopté.

Beng’i Issa, Secrétaire exécutif du NEEC, aurait promis d’examiner la « directive » du Pr Kamuzora présentée ci-dessus en identifiant « les investisseurs providentiels et en les mettant en relation avec des jeunes afin de favoriser leur accès à des capitaux et pouvoir ainsi concrétiser leurs idées d’entreprise ou développer des entreprises existantes ». Cela semble altruiste. Providentiel.

La façon dont cela est défini a cependant attiré mon attention. « Ce concept est très nouveau dans le pays (investisseurs providentiels) », affirme-t-elle, « concept selon lequel un investisseur peut être attiré par une proposition de création d’entreprise émanant d’un entrepreneur et décider d’investir ». Son appel à la nouveauté me rappelle ma réaction au tweet de félicitation de Salum Awadh sur le lancement du Tanzania Angel Investor Network (« Réseau des investisseurs providentiels de Tanzanie », ou TAIN) en mai 2018. Son site Internet le décrit comme étant « le premier réseau organisé d’investisseurs providentiels en Tanzanie qui cherche à promouvoir la culture de l’investissement providentiel et à lancer des start-ups innovantes en Tanzanie ».

Pourtant, l’historien en moi se rappelle de l’époque où nous disposions du Tanzania Venture Capital Fund (« Fonds de capital-risque tanzanien », ou TVCF). Pour éviter de commencer à débattre sur le sens des expressions « investisseurs en capital-risque » et « investisseurs providentiels », rappelons-nous quelle était sa mission et qui l’a financé. Le « TVCF », comme l’indique une fiche de renseignements des archives de l’ONUDI,  « premier fonds de capital-risque du pays, a été lancé en octobre 1993 ». Le « fonds », précise également la fiche de renseignements, « opère des investissements en coentreprise en fonds propres et quasi-fonds propres, parallèlement à des entrepreneurs tanzaniens, dans des sociétés locales ayant un fort potentiel de croissance ». Cela rappelle vaguement quelque chose.

La plupart « des investissements », comme l’indique aussi la fiche de renseignements, « sont réalisés dans des entreprises existantes à la recherche de capital de développement de deuxième étape, bien que le fonds s’intéresse effectivement de façon exceptionnelle à des investissements dans des start-ups ». Elle remarque ensuite que le TVCF a « reçu son capital de départ sous forme de contributions en fonds propres provenant d’institutions de développement étrangères et locales ». Vingt ans plus tard, certaines personnes ont également créé le Tanzanian Private Equity and Venture Capital Association (« Association tanzanienne de capital-investissement et de capital-risque », ou TAVCA). Il existe maintenant une autre institution, le Tanzania Venture Capital Network (« Réseau tanzanien de capital-risque », ou TVCN).

Ces tentatives répétées d’investissements de capital-risque en Tanzanie m’ont amené à rédiger une thèse intitulée A Capitalizing City: Dar es Salaam and the Emergence of an African Entrepreneurial Elite (c.1862-2015) (Une ville en pleine mutation : Dar es Salaam et l’émergence d’une élite entrepreneuriale africaine de 1862 à 2015), qui sera bientôt disponible gratuitement en ligne. En applaudissant à contrecœur mes amis qui s’impliquent dans la promotion de l’« esprit du capitalisme » par le biais du capital-investissement, du capital-risque et de l’entreprenariat des jeunes, je m’interroge sur le degré de répétition de l’histoire du capitalisme. Vivons-nous ce que le détracteur virulent du capital, Issa Shivji, considère comme des répétitions de l’histoire en Tanzanie néolibérale, même si cela apparaît sous la forme d’une tragédie et d’une farce ?

Plutôt que de tourner en rond, collectivement, nous devons porter un regard critique sur notre histoire et comprendre pourquoi nous continuons à répéter des actes plus ou moins similaires. Ces événements ont tendance à commencer en fanfare, puis à se dégonfler progressivement. Les personnes comme Reginald Mengi et Juma Mwapachu ne se souviennent probablement pas qu’en 1992, ils ont apporté leur contribution financière à l’Entrepreneurship Development Fund (« Fonds de développement de l’entreprenariat », ou EDF), qui consistait principalement à permettre aux jeunes « d’acquérir des prêts à taux bonifiés consacrés à des projets économiques ». Il est grand temps qu’ils nous expliquent, dans leurs mémoires, pourquoi cette initiative n’a pas été durable ou n’a pas connu le succès escompté. Cela permettra peut-être aussi à nos nouveaux champions de l’entrepreneuriat des jeunes d’éviter « la malédiction de Sisyphe ».