La Ministre des enseignements secondaires essaie d’instaurer une nouvelle façon d’enseigner qui s’appuie sur l’outil informatique.

Au Cameroun, on n’entend plus parler de la Covid-19. Que ce soit dans les lieux publics, dans les ministères ou autres édifices publics, le port du masque qui était de rigueur n’est plus qu’un mauvais souvenir. Pourtant, en août, l’arrêté conjoint des ministres des enseignements secondaire et de l’éducation de base fixant les modalités de l’année scolaire 2022-2023 limite encore à 60 le nombre d’élèves dans les salles de classe. Plutôt surprenant, lorsqu’on sait toutes les difficultés auxquelles les chefs d’établissements ont fait face l’année précédente pour respecter les mêmes restrictions.

Télé-enseignement

La réduction des effectifs dans les salles de classe a obligé certains chefs d’établissements à prendre des mesures spéciales pour réussir à caser leurs effectifs déjà pléthoriques. Dans la plupart des cas, un système d’alternance a été instauré dans les établissements. Le nombre de salles de classes étant désormais insuffisant, les chefs d’établissement ont dû réorganiser les activités pédagogiques, de sorte que certaines classes occupaient les salles en matinée, tandis que d’autres commençaient dans l’après-midi.

Évidemment, dans cette configuration, le nombre d’heures de cours par classe se retrouve également réduit – tandis que pour les enseignants qui doivent couvrir plus de classes, elles se sont plutôt multipliées. Dans ce contexte, la Ministre des Enseignements Secondaire Mme Nalova Lyonga, a mis sur pied une plateforme d’éducation à distance dont le but est de permettre aux enseignants de couvrir les heures non enseignées du fait de la réduction du nombre d’heures de cours par classe.

Avec l’appui de l’UNESCO, deux unités de production/enregistrement de cours dotés d’équipements technologiques de haute résolution ont été montées, ainsi qu’une plateforme web sur laquelle les cours produits sont mis à la disposition des enseignants et du public en général. En plus de ces cours qui sont en permanence disponibles sur la plateforme créée par le MINESEC, des cours en direct accessibles à tous via l’application Zoom sont régulièrement organisés par le Ministère des Enseignements Secondaires.

En plus, dans de nombreux établissements, des groupes WhatsApp ont été créés, permettant aux enseignants de « dispenser » une partie de leurs cours aux élèves en soirée, histoire d’avancer dans le programme à un rythme plus ou moins normal compte tenu du fait que la réduction du nombre d’heures de cours par classe ralentit considérablement la progression et impacte la couverture des programmes.

Difficile digitalisation

L’objectif de la Ministre des Enseignements Secondaires semble plutôt clair. Celle année scolaire a clairement été placé sous le signe de la digitalisation. Digitalisation des documents pédagogiques mais aussi et surtout, digitalisation des enseignements. L’arrêté conjoint mentionné plus haut précise d’ailleurs dans son article 2 que « les activités d’enseignement/apprentissage seront organisés en présentiel et/ou à distance ». Et selon les instructions transmises à travers les chefs d’établissement, les enseignants sont encouragés à dispenser au moins un cours hybride (qui se déroule en classe, mais en utilisant PowerPoint comme support) par trimestre.

C’est une tâche qui s’annonce ardue lorsqu’on sait que de nombreux enseignants ne sont pas vraiment à l’aise dans la manipulation de l’outil informatique, et que très peu ont des ordinateurs ou savent les utiliser. La désignation de techno-pédagogues dans chaque établissement – des enseignants aguerris dans l’utilisation des TIC et qui ont pour mission de former et d’encadrer les autres – est un palliatif, mais reste insuffisant car ne pouvant résoudre le problème de disponibilité du matériel approprié.

En plus, lesdits techno-pédagogues n’ont eux-mêmes suivi aucun séminaire ni reçu aucune formation leur permettant de savoir exactement ce qui est attendu d’eux et les moyens de remplir cette mission. Il n’y a pas non plus de programme de formation, ni de calendrier à cet effet. En conséquence, aucun suivi sérieux n’est fait, et il y a fort à parier que cette initiative finisse en fiasco.

Mesures d’accompagnement

L’autre chose qui saute aux yeux dans cette tentative de digitaliser les enseignements, c’est l’absence de mesures d’accompagnement. Les établissements scolaires ont-ils tous un centre multimédia fourni en ordinateurs ? Sont-ils dotés en projecteurs et autres appareils indispensables pour un cours multimédia ? Internet y est-il stable ? L’électricité est-il présente ?

Autant de questions qui donnent finalement l’impression que la MINESEC est allée trop vite en besogne dans son projet – louable il faut le dire – de moderniser l’enseignement au Cameroun. Pour évoluer normalement, il aurait fallu commencer par capaciter les enseignants dits techno-pédagogues en techniques et méthodologies pour former leurs collègues de façon efficiente.

Ensuite, la Ministre devrait s’assurer que tous les établissements sont dotés en matériel adéquat – groupes électrogènes, ordinateurs, projecteurs etc. – pour la mise en œuvre du programme, sachant que ceux qui n’en ont pas en bénéficieraient du Ministère ou de ses partenaires.

À défaut, quelques établissements pourraient être sélectionnés dans les 10 régions du pays pour une phase pilote du projet, ce qui permettrait de corriger les éventuels problèmes rencontrés et de mieux déployer le projet à l’échelle nationale.

Pari risqué

Dans le fond, l’initiative de la MINESEC est bonne, louable même. Mais la façon dont elle est implémentée fait craindre pour la suite. Une exécution maladroite risquerait d’accentuer les inégalités déjà importantes entre les apprenants des zones urbaines qui ont plus facilement accès à certaines facilités et ceux des zones rurales où internet et l’électricité sont encore des luxes. On risquerait de se retrouver, dans 10 ans, avec quelques établissements qui se sont arrimés, et la grande majorité qui n’a pas daigné se mettre à jour. En fin de compte, ce sera une autre belle idée gâchée par la maladresse et la précipitation des autorités – comme cela a déjà été le cas avec le Programme d’Éducation Bilingue Spécial (PEBS).

Photo: US_Embassy_BF/Iwaria