Difficile de dire si le discours de fin d’année du président de la république était attendu par les enseignants du mouvement « On a Trop Supporté » (OTS) associé au Syndicat des Enseignants du Cameroun pour l’Afrique (SECA). Jusqu’ici Paul Biya n’avait pas daigné prendre la parole pour rassurer ce corps qui depuis plusieurs années se bat pour l’application du statut spécial adopté depuis plus de 20 ans déjà, et à qui l’état devait environ 180 milliards de Francs CFA (en rappels, avancements et compléments de salaires principalement).

Promesses non tenues et menaces

Après la trêve décidée en fin d’année scolaire 2022-2023 suite aux promesses faites par le gouvernement, le mouvement de grève a repris de plus belle dès la rentrée scolaire 2023-2024 du fait du non-respect des engagements pris. Et la réponse des autorités qui ont choisi d’intimider les enseignants grévistes n’a pas vraiment arrangé les choses.

Lorsque Paul Biya s’exprime donc sur le sujet, il revient sur les efforts consentis par le gouvernement, indiquant que « plus de 72 milliards de FCFA ont été débloqués en 2023 » pour éponger une partie de la dette, et que 102 milliards supplémentaires seront mis à disposition en 2024 dans ce sens.

Alors qu’il annonce que le dialogue se poursuivra entre le gouvernement et les « syndicats reconnus », le Président précise qu’il ne tolèrera pas que l’éducation des élèves soit « prise en otage par une frange d’enseignants, dont les motivations réelles semblent s’écarter des objectifs affichés ».

Mauvaise solution au mauvais problème

Ce qui est surprenant dans la prise de parole du président sur la question des enseignants, c’est qu’il semble ignorer le véritable problème qui a été posé depuis des décennies, à savoir la révision et l’adoption du statut spécial des enseignants.

Lorsque le président insiste sur les 72 milliards de francs, et annonce que 102 autres milliards sont prévus pour l’année 2024 qui commence, il limite volontairement ou non, le problème des enseignants à son aspect financier, et précisément au payement de la dette due. Or, ce n’est pas le vrai problème.

Le payement de la dette est juste un détail. Parmi les revendications, les enseignants réclament la fin du système d’avance de solde – qui consiste à verser aux enseignants 2/3 de leur salaire de base le temps que leur dossier soit traité et le salaire complété.

Jadis institué pour rapidement prendre en charge les enseignants qui vont sur le terrain, ce système a fini par rallonger les procédures et finalement créer plus de problèmes qu’autre chose.

Pourtant, ledit système n’a toujours pas été aboli par les autorités. En conséquence, au moment où le gouvernement essaie d’éponger la dette due aux enseignants, cette même dette se reconstitue vu que les enseignants qui sortent de l’école retombent dans le même engrenage.

Mais, par-dessus tout, c’est le statut spécial de l’enseignant qui est jusqu’ici le motif ultime du mouvement de protestation. Le président, dans son adresse à la nation, n’en a pas fait cas.

Quelle éducation de qualité ?

Lorsque Paul Biya annonce que « des mesures fermes vont à cet égard être prises pour veiller à ce que nos enfants ne se retrouvent pas victimes d’une éducation au rabais », le message est clair : les enseignants grévistes subiront plus de pression pour reprendre le chemin des classes. Mais est-ce la meilleure approche ?

La réaction des enseignants face aux menaces à peine voilées du président ne s’est pas fait attendre. Tout en exprimant leur déception face à la réaction du président, nombreux sont ceux qui ont prévu de continuer avec le mouvement de grève.

La réalité c’est que, même si le mouvement s’arrêtait, ce ne serait pas un gage de qualité de l’éducation. Ce qui peut garantir une éducation de qualité, c’est de travailler dans de bonnes conditions, c’est-à-dire avoir un salaire décent et évoluer dans un environnement propice.

Face aux différentes menaces et pressions qu’ils subiront désormais, après le feu vert donné par le président dans son discours, il y a fort à parier que la majorité des enseignants iront en classe juste pour éviter les sanctions, mais ne donneront pas le meilleur d’eux-mêmes.

Toujours pas de solution après un trimestre

Alors que le deuxième trimestre commence, le gouvernement camerounais n’a toujours pas trouvé de réponse satisfaisante au problème que les enseignants posent depuis des années. Au contraire, des réunions et concertations se multiplient, la plupart du temps avec des syndicats qui ne sont ni de près ni de loin concernés par la grève.

Après le discours du chef de l’État, certains syndicats ont déjà levé le mot d’ordre de grève, estimant qu’ils doivent faire le bilan de la grève et réévaluer la situation. C’est probablement l’effet escompté par les autorités, mais après tout, quel sera le rendement des enseignants qui travaillent sans prise en charge adéquate ?

Après un trimestre fortement perturbé, tout porte à croire que le problème des enseignants est encore loin de trouver une solution définitive.