Le 02 juin 2023, les ambassadeurs des pays de l’Union européenne, des États-Unis et du Canada, ont publié une déclaration conjointe dans laquelle ils font des recommandations au gouvernement de Kinshasa sur le processus électoral en cours et le respect des libertés publiques en RDC.

Si le fond de leur message reste valable et pertinent, le ton utilisé pour s’adresser à un pays souverain pose problème. On est face à une rhétorique paternaliste et condescendante qu’aucun régime n’ose plus accepter de nos jours sur le continent.

Ce qui est inadmissible dans cette déclaration de l’Union européenne et ses partenaires, ce sont des termes du genre : « Nous recommandons de… ; nous prenons acte de… ; nous appelons à…  »

Cette arrogance, cette audace, ce manque de vergogne ! Comme s’ils s’adressaient à leur colonie ! En effet, ces pays occidentaux devraient arrêter une fois pour toutes de nous prendre pour leurs subalternes à qui ils doivent donner des ordres. Ils devraient savoir qu’il est révolu le temps où ils dictaient à nos pays ce qu’ils doivent faire et ne doivent pas faire.

La RDC appartient aux Congolais. Notre pays dispose des institutions, d’une opposition et d’une société civile suffisamment matures pour exiger ce qui doit être fait en matière des élections et des libertés publiques. Bien sûr, les conseils et les remarques des pays étrangers sont les bienvenus, mais à condition de savoir les formuler. Ce que nous refusons ce sont les injonctions.

D’ailleurs, avant même que l’Union européenne fasse sa déclaration, les évêques catholiques congolais, réunis dans la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), avaient déjà fait des recommandations aux autorités sur le processus électoral. Il n’y avait pas besoin que l’extérieur vienne en rajouter une couche.

Un bon message, mais c’est la manière de le dire !

En effet, même si personnellement, je suis d’avis que l’UE, le Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis ont une part de raison dans leur analyse de la situation actuelle en République démocratique du Congo, cependant tout propos ou toute attitude aux relents néocolonialistes ne peut que difficilement passer aujourd’hui en Afrique. Ces puissances occidentales auraient pu faire passer leur message autrement que d’adopter une posture de donneurs de leçons, surtout quand on sait que les mêmes leçons, ils ne les appliquent pas sur eux-mêmes ou ne les donnent pas aux autres.

Il existe des pays dans la même situation que la RDC et même pire, mais auxquels les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et l’Union européenne ne font aucun reproche. Ce deux poids deux mesures est inacceptable. L’UE ferait mieux de trouver d’abord des solutions à la guerre qui ravage l’Ukraine sur le territoire même de l’Europe, avant de venir nous donner des leçons de démocratie. Elle devrait également mettre fin au racisme systémique dans ses stades de football où les joueurs africains sont appelés des « singes » !

Personne n’a oublié l’escalade verbale entre le président Emmanuel Macron et son homologue Félix Tshisekedi en mars 2023 à Kinshasa. Le président français affichait le même complexe de supériorité occidental. Mais Félix Tshisekedi l’a si bien recadré en ces termes : « La façon de voir les choses lorsqu’elles se passent en Afrique doit changer dans nos rapports avec la France, mais aussi avec l’Occident. Il doit y avoir du respect dans les considérations que nous avons les uns vis-à-vis des autres. […] Regardez-nous autrement, en nous respectant, en nous considérant comme de vrais partenaires et non toujours avec un regard paternaliste avec l’idée de savoir toujours ce qu’il faut pour nous. La Françafrique n’existe plus. Nous devons instaurer une politique d’égal à égal. »

Et voilà ! Franchement, pour un recadrage, c’en était un ! Parfois, il faut le dire sur ce ton-là. J’espère que Macron a retenu la leçon.

Il est vrai que le gouvernement congolais doit corriger son processus électoral pour le rendre un peu plus transparent, mais ces injonctions venues de l’extérieur appartiennent à un autre âge. Elles ressemblent beaucoup plus à de l’ingérence dans les affaires d’un pays souverain qu’à de la bonne foi. Car, lorsque des bavures et des irrégularités se passent dans des élections en Occident, aucun pays africain ne leur fait des injonctions. Il faut éviter de profiter du fait que nous sommes des pays pauvres pour nous pisser dessus.

L’Occident a-t-il déjà son candidat aux élections en RDC ?

Chaque fois qu’il y a des élections en Afrique, les pays occidentaux s’empressent d’envoyer des observateurs pour venir donner des leçons. Je pense que c’est la faute à nos dirigeants qui les accréditent et pensent qu’une élection valable c’est celle qui reçoit l’avis favorable des occidentaux. Or, c’est complètement faux ! Et pourquoi lorsqu’il y a des élections en Europe ou aux Etats-Unis, nos pays n’y envoient pas de mission d’observation ? Cela ne signifie pas du tout que nous manquons quoi dire sur leurs élections. Nous nous occupons simplement de ce qui nous concerne. Mais eux, croient avoir le droit de fourrer leur nez partout dans tout ce que nous faisons.

A propos des élections en République démocratique du Congo, je voudrais savoir sur quelle base ces puissances occidentales dénoncent déjà un processus électoral non inclusif. Car, aucun candidat n’a été écarté de la compétition électorale jusqu’à présent. Le dépôt des candidatures n’a même pas encore commencé ! Voilà qui fait dire à certains observateurs que ces pays occidentaux ont déjà leur candidat en poche pour ces élections congolaises. Car, même la fameuse loi Tshiani, qui est condamnable et qui vise à discriminer certains candidats, n’est même pas encore traitée au Parlement. Du coup, de quoi parlent-ils ?

Cette attitude paternaliste des puissances occidentales est contreproductive. Car, elle pousse certains pays africains à se jeter dans les bras de la Chine et de la Russie. C’est le cas des pays comme le Mali, la Centrafrique et le Burkina. Comme quoi, il vaut mieux traiter avec un diable qui vous respecte qu’avec un ange qui vous prend de haut !

L’Afrique n’est pas un territoire d’outre-mer de l’Occident. Il faut que cela soit clair : le salut de la République démocratique du Congo ne viendra ni de l’Orient ni de l’Occident, mais des Congolais eux-mêmes ! Notre pays n’a pas d’injonctions à recevoir de l’étranger.

Respectez-nous s’il vous plaît !

Combien de fois devrions-nous dire à la communauté internationale de nous respecter ? Notre dignité n’est ni à négocier ni à bafouer. Venez à nous comme des frères et des amis, on s’entendra. Autrement, on vous opposera une fin de non recevoir !

Sur les réseaux sociaux, réagissant à la fameuse déclaration commune de l’Union européenne et ses partenaires, un internaute congolais déclare : « Un jour, nous refuserons toute coopération avec l’Europe, car elle est le destructeur du monde ! » Eh oui ! Voilà où l’on risque d’aboutir lorsque l’Occident ne nous laisse pas gérer notre destin. Dommage que ces anciens colonisateurs n’arrivent toujours pas à comprendre que les temps ont changé, et que ce n’est plus la même Afrique qu’ils pouvaient manipuler à leur guise.

A vrai dire, ce que les Congolais dénoncent c’est le fait de ne pas être traités à égalité avec les autres pays. Tous les jours, les États-Unis, la France et d’autres puissances occidentales condamnent le non respect des droits de l’homme en Afrique. Pourtant, eux-mêmes entretiennent de très bonnes relations avec des pays comme l’Arabie Saoudite, malgré l’assassinat flagrant du journaliste Jamal Khashoggi, mort dissout dans de l’acide au consulat saoudien d’Istanbul. Qu’on me dise si en matière des droits de l’homme et de libertés publiques, l’Arabie Saoudite est mieux que la RDC ! Au nom de la realpolitik et face au pétrole saoudien, l’Occident a fermé les yeux sur l’assassinat du journaliste. On est donc dans un monde où les uns sont obligés de respecter les droits de l’homme et les règles démocratiques, tandis que les autres les foulent aux pieds et ne sont même pas inquiétés.

Le président chinois Xi Jimping a été réélu pour un troisième mandat en mars 2023. A-t-on entendu une déclaration commune de l’Union européenne, des États-Unis, du Royaume-Uni et du Canada sur le processus électoral chinois ? Pareil pour la réélection récemment pour un troisième mandat du président de la Turquie Recep Tayyip Erdogan. Aucune déclaration commune de l’Union européenne condamnant le troisième mandat ! Mais quand il s’agit de l’Afrique, on veut imposer tous les principes de la démocratie l’occidentale.

Ces donneurs de leçons sont nettement moins exigeants en matière de démocratie et de droits de l’homme vis-à-vis des pays dont ils ont peur, ou avec lesquels ils ont de gros intérêts. Mais ils préfèrent se déchaîner sur la République démocratique du Congo. C’est ce deux poids deux mesures que nous dénonçons !

On pourrait continuer à donner plusieurs exemples de néocolonialisme occidental face aux pays africains. La liste serait très longue… Bref, l’Union européenne, les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et leurs ambassadeurs accrédités à Kinshasa doivent apprendre à nous respecter.

Ali Kalala

 

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