Les dérives autoritaires s’enchaînent au Sénégal comme des tirs de missiles qui s’abattent sur un champ de blé en phase de récolte. Après les arrestations tous azimuts de responsables et militants du parti Pastef (plus de 700 détenus dans les prisons sénégalaises, selon la formation politique), le régime en place a mis en exécution les deux dernières étapes de son plan pour éliminer son principal adversaire pour la prochaine élection présidentielle de 2024. L’emprisonnement du leader de l’opposition Ousmane Sonko et la dissolution de son parti. Le tout en moins de 24 heures.

Les signes avant-coureurs d’une volonté de dissoudre le Pastef

Les prémices étaient là depuis plusieurs mois dans les discours de plusieurs hauts responsables du régime en place accusant le Pastef et ses militants de se livrer à des actes subversifs. Le 24 mars 2023, l’ancien porte-parole du président de la République, par ailleurs responsable de l’Alliance pour la République (APR) et président du collège des délégués de l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (Artp), Abou Abel Thiam a ouvertement et publiquement demandé la dissolution du parti que dirige Ousmane Sonko dans un entretien avec le quotidien sénégalais Bes Bi. « On doit dissoudre le Pastef », avait-il dit.

Le 13 juillet 2023, pour répondre à une déclaration de rassemblements sur la voie publique, envisagés les 15 et 16 juillet 2023, introduite par des personnalités politiques du parti « PASTEF » auprès de préfets et sous-préfets de la région de Dakar, le Gouverneur de Dakar, pour justifier l’interdiction de ces rassemblements avaient convoqué des sorties du leader Ousmane Sonko, l’accusant de vouloir installer le chaos dans le pays.

« Ces projets de rassemblements font suite à une déclaration du leader de ce parti, largement relayée par la presse, promettant entre autres, « d’installer le chaos dans le pays ». De plus des appels diffusés à travers les réseaux sociaux, invitent les sympathisants de cette formation politique à investir d’ores et déjà les grands marchés de Dakar et les principaux axes et lieux habituels de rassemblement. Or, répondant à un appel à manifester du même responsable politique au début du mois de juin 2023, des individus s’étaient attaqués à des biens publics et privés, des commerces et autres installations dont le seul tort des propriétaires, était de chercher à gagner leur vie à la sueur de leur front à travers les investissements consentis », avait avancé le Gouverneur de Dakar dans un communiqué.

Le 28 juillet, quelques minutes après l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko, le procureur de la République a sorti un communiqué pour en expliquer les motifs. Le chef de parquet de Dakar affirme : « Depuis un certain temps, il a été relevé à l’égard du sieur Ousmane Sonko des actes, déclarations, écrits, images, et manœuvres sur plusieurs supports et en diverses circonstances. Ces éléments, outre leurs lourdes conséquences sur l’ordre public, les biens et les personnes sont constitutifs de faits pénalement répréhensibles ».

Un communiqué du ministère de l’Intérieur juste après le mandat de dépôt contre Sonko

Le lundi 31 juillet 2023, après un face-à-face avec le Doyen des juges d’instruction qui a duré moins d’une heure, Ousmane Sonko est placé sous mandat de dépôt. Il est transféré dans l’après-midi à la prison de Sébikotane (située à 40 kilomètres du centre-ville de Dakar). Moins de deux heures plus tard, le ministre de l’Intérieur brandit un communiqué pour annonce la dissolution du principal parti d’opposition, le Pastef, par décret présidentiel.

Les motifs avancés par le Gouverneur de Dakar en mars pour interdire les rassemblements de l’opposition et les griefs reprochés par le procureur de la République à Ousmane Sonko, sont repris par M. Antoine Félix Diome pour expliquer les motifs de la dissolution.

« Le parti politique PASTEF, à travers ses dirigeants et ses instances, a fréquemment appelé ses partisans à des mouvements insurrectionnels, ce qui a entraîné de lourdes conséquences, incluant de nombreuses pertes en vies humaines, de nombreux blessés, ainsi que des actes de saccage et de pillage de biens publics et privés. Les dernières en date sont les graves troubles à l’ordre public enregistrés au cours de la première semaine du mois de juin 2023, après ceux du mois de mars 2021 », indique le ministre de l’Intérieur dans le document.

Avant d’ajouter : « Suite à ces événements qui constituent un sérieux et permanent manquement aux obligations des partis politiques et conformément aux dispositions de l’article 4 de la Constitution et de l’article 4 de la loi n° 81-17 du 06 mai 1981 relative aux partis politiques, modifiée par la loi n° 89-36 du 12 octobre 1989, le parti politique PASTEF est dissous par décret N° 2023-1407 du 31 juillet 2023 ».

Sans même notifier aux responsables du parti de la dissolution, le gouvernement sénégalais ordonne à la police de procéder à débarquer au siège dudit parti sis sur la VDN et d’arracher l’affiche à l’effigie de Ousmane Sonko. Il en sera ainsi dans plusieurs sièges du parti implantés dans la capitale sénégalaise.

La notification de dissolution du Pastef ne parviendra à l’administrateur du parti, Biram Souley Diop que le 04 août 2023 par Procès-verbal rédigé le 03 août par le Commissaire Bara Sangharé de la Sûreté urbaine.

Pour rappel, ni Ousmane Sonko ni ses centaines de militants arrêtés et poursuivis pour les chefs d’inculpation qui ont été avancés pour dissoudre leur parti, n’ont été jugés et condamnés par un tribunal sénégalais. Ce qui veut dire qu’ils sont toujours présumés innocents.

Oumy Sambou

Photo : Site web du PASTEF.