En RDC, presque chaque régime a eu son conflit avec l’Eglise catholique. L’actuel président Félix Tshisekedi n’a pas été épargné par cette réalité. La Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) qui réunit les évêques catholiques de RDC, est aujourd’hui à couteaux tirés avec le président de la République sur la manière dont il dirige le pays, particulièrement sur le processus électoral.

La pomme de discorde entre l’Eglise catholique et Félix Tshisekedi, c’est le processus électoral. Déjà en 2019, dès la proclamation des résultats de l’élection présidentielle qui donnaient la victoire à l’actuel président, les évêques catholiques, à travers la voix de l’archevêque de Kinshasa Fridolin Ambongo, avaient émis une opinion contraire, affirmant que Félix Tshisekedi n’était pas la personne élue par le peuple. Pour eux, les résultats des urnes avaient été inversés en sa faveur.

La Cenco opposée à Denis Kadima

Au début du mandat de Félix Tshisekedi, les premières divergences avec la Cenco sont apparues lors de la mise en place de nouveaux membres de la Commission électorale nationale indépendante (Céni). L’Eglise catholique et son alliée l’ECC (Église du Christ au Congo), se sont prononcées contre la désignation de Denis Kadima au poste de président de la Commission électorale, l’accusant d’être trop dépendant du pouvoir en place.

En revanche, six autres confessions religieuses, constituées notamment d’églises évangéliques, ont validé la désignation de Denis Kadima comme président de la Commission électorale nationale indépendante. Leur choix a été entériné par l’Assemblée nationale et promulgué par le chef de l’État.

Depuis, l’Eglise catholique et le régime sont devenus irréconciliables. Les déclarations des uns et des autres dans les médias sont souvent tranchées et hostiles. On y perçoit rancœurs et règlements des comptes. La majorité au pouvoir accuse les évêques de rouler pour l’opposition.

Dissensions sur l’audit du fichier électoral

À l’approche des élections, le plus grand désaccord aujourd’hui entre l’Eglise catholique et le régime de Félix Tshisekedi, concerne l’audit du fichier électoral. Les évêques exigent que le fichier soit audité par un organisme international indépendant, pour s’assurer de sa fiabilité. On se souvient que la Commission électorale avait fait appel à l’Organisation internationale de la Francophonie pour cet audit, mais celle-ci a décliné l’offre.

Et même si l’OIF acceptait d’auditer le fichier électoral, on ne voyait pas comment les choses allaient bien se passer, quand on sait que l’OIF est dirigée par la Rwandaise Louise Mushikiwabo, dont le pays, le Rwanda, est en conflit ouvert avec la République démocratique du Congo. Rien que pour cette raison, il était difficile à la RDC de faire confiance à l’impartialité de l’OIF. De plus, dans la classe politique et la société civile congolaise, beaucoup ont catégoriquement rejeté l’option de l’OIF pour auditer le fichier électoral, alléguant que les élections sont une affaire de souveraineté nationale.

L’audit indépendant ou rien !

Sans audit indépendant, le divorce est consommé entre l’église et le régime. Les évêques catholiques se sont rangés du côté de l’opposition, avec laquelle ils partagent les mêmes réclamations. Ils jugent le processus électoral opaque et chaotique, et menacent de ne pas le reconnaître.

« Si la Céni n’a rien à cacher, elle ne devrait pas hésiter pour cette contre-expertise qui ne va pas déranger les délais. Mais si la Cenco et l’ECC concluent que nous ne sommes pas dans les conditions d’observer les élections, donc ce qui se prépare ce ne sont pas des élections que nous pouvons recommander à la population », a déclaré le secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale du Congo, monseigneur Donatien Nshole.

Pendant ce temps, les rencontres entre l’archevêque de Kinshasa et les leaders de l’opposition se sont multipliées. Rencontre avec Katumbi, Olive Lembe (épouse de l’ancien président Joseph Kabila)… Ce qui n’est pas pour plaire au président Tshisekedi. De plus, la Cenco a choisi la ville de Lubumbashi, – c’est-à-dire le fief des opposants Moïse Katumbi et Joseph Kabila -, pour y tenir son assemblée générale. C’est peut-être la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

En séjour à Mbujimayi, Tshisekedi contrattaque

Depuis sa ville natale de Mbujimayi au centre du pays, en présence de plusieurs évêques réunis à l’occasion du jubilé d’argent de monseigneur Bernard Kasanda, le chef de l’État prend la parole et dit ses quatre vérités sur l’Eglise catholique. « C’est ici l’occasion pour moi de tirer la sonnette d’alarme par rapport à une certaine dérive constatée au sein de l’Eglise catholique, une dérive que je qualifierais de dangereuse, surtout en cette année électorale.

L’Eglise doit être au milieu du village. Je dirais même, elle doit être au milieu des Congolais. Elle doit prêcher l’amour, l’unité et l’égalité. L’Eglise doit accompagner toutes les filles et tous les fils de la République qui sont en politique de la même manière, sans distinction aucune, car il y va de la stabilité de notre pays… »

« Peu importe ce qu’on en dira ! »

Pour terminer son allocution, Félix Tshisekedi emploie un ton très ferme et fait cette déclaration : « Je m’attaquerai sans hésitation, ni remord, à tout Congolais qui mettrait en danger la sécurité et la stabilité de notre pays. Peu importe ce qu’on en dira : violations des droits de l’homme, privation des libertés, je n’en démordrai pas. Parce que démocrate je suis, démocrate je resterai. Je n’ai aucune leçon à recevoir de qui que ce soit dans ce domaine… »

Ces propos de Félix Tshisekedi ont été interprétés non seulement comme une manière d’intimider l’Eglise et l’opposition, mais aussi d’assumer les violations des droits de l’homme dans le pays.

Dans un communiqué, les ONG congolaises de défense des droits de l’homme ont exprimé leur inquiétude. Le mouvement citoyen Lucha, par exemple, a attribué aux propos du chef de l’État, le climat de terreur qui règne dans le pays, mais aussi l’assassinat de l’ancien ministre des Transports, Chérubin Okende, retrouvé mort dans sa voiture le 13 juillet dans un quartier de Kinshasa. Son corps présentait des impacts de balles.

Les catholiques pour le peuple, les évangéliques pour le président ?

Il convient de relever un fait : si les Eglises catholique et protestante affichent ouvertement leur hostilité au régime de Félix Tshisekedi, ce n’est pas le cas pour les leaders de plusieurs églises évangéliques et de la communauté islamique. Du coup, on a d’un côté des confessions religieuses qui soutiennent le président, et de l’autre, celles qui disent rester aux côtés du peuple qui souffre.

Alors que la Commission électorale nationale indépendante poursuit son bonhomme de chemin sans écouter les réclamations, l’Eglise catholique formule une nouvelle demande à la Céni. A défaut d’un organisme international indépendant pour auditer le fichier électoral, la Cenco et l’ECC proposent de faire elles-mêmes cet audit pour « rassurer toutes les parties prenantes afin d’avoir des élections honnêtes et pacifiques dans le délai constitutionnel ».

En effet, dans un communiqué de la Mission d’observation électorale (MOE) qui réunit l’Eglise catholique et l’Eglise du Christ au Congo, on peut lire : « Actuellement, le fichier électoral divise certains acteurs politiques et la Commission électorale nationale indépendante (Céni). En effet, pour n’avoir pas invité un organisme international indépendant pour l’audit externe du fichier électoral, la Céni n’a pas favorisé la perception par le public d’une vérification indépendante et transparente. Ainsi, en vue de décrisper cette crise autour du fichier électoral, la MOE Cenco-ECC entend mener un audit citoyen dudit fichier. »

La Cenco est-elle indépendante pour auditer le fichier électoral ?

La revendication de la Cenco et de l’ECC n’a pas trouvé de réponse favorable de la Commission électorale nationale indépendante. Du moins jusqu’à présent. Conséquence : ce refus d’un audit indépendant a poussé plusieurs partis de l’opposition à boycotter le processus électoral. C’est entre autres le cas des poids lourds politiques comme Martin Fayulu, Bruno Tshibala ou encore des proches de l’ancien président Joseph Kabila. Ils exigent un dialogue avec le gouvernement pour clarifier les choses sur le processus électoral. Et ils ont refusé de déposer les candidatures des membres de leurs partis aux législatives.

Pour ne rien arranger à cette crise, le président de la Commission électorale enfonce le clou. Il déclare : « Le scénario de ne pas avoir des élections est plus catastrophique que celui où un ou deux partis ne participent pas ! »

« À César ce qui est à César ! »

Le bras de fer entre les hommes d’église et l’État ne date pas d’hier. Du temps du maréchal Mobutu, les relations entre l’Eglise catholique et le pouvoir étaient également loin d’être amicales.

A une question d’un journaliste belge de savoir si les responsables de l’Eglise pouvaient se mêler de la politique, le maréchal du Zaïre était catégorique dans sa réponse : « Pas question ! C’est inadmissible et inacceptable ! Si cela se fait en Belgique, si les curés se mêlent de la politique chez vous, tant mieux. Mais ici chez moi, pas question ! On ne peut pas mélanger les deux choses. Le Christ lui-même était formel : à Dieu ce qui est à Dieu, à César ce qui est à César ! »

Ali Kalala

Photo: Freddie Everett – Public Domain