À l’aube des élections municipales, législatives et présidentielle 2025, les camerounais âgés de vingt ans et plus sont invités à s’inscrire massivement sur les listes électorales. On peut observer des foules amassées sous les différents stands de Elections Cameroon (ELECAM), l’organe chargé de la gestion des élections qui est à pied d’œuvre depuis le 4 janvier 2024,  pour la révision des listes électorales. Selon le Directeur Général des Élections, Dr. Erik Essoussè,  l’importance de cette opération, au vu des échéances électorales de 2025 a pour objectif d’atteindre plus de 7,5 millions d’inscrits, en ciblant notamment les jeunes, les femmes et les personnes en situation de handicap.

On peut également voir l’engouement autour de ces événements tant attendus sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Tiktok…). Certains influenceurs se sont érigés en égéries de campagne de communication sur l’obtention de sa carte d’électeur. On passe de la comédie à la réalité virtuelle pour entraîner les “followers” à l’action et ça a l’air de fonctionner.

  • “Ta carte d’électeur tu l’as?”
  • “Oui je l’as!”  type de contenu “trending” sur Facebook et Twitter qui est tiré d’un sketch et a été adapté au contexte préélectoral par des comédiens camerounais.

Les détenteurs/administrateurs des groupes influents ayant en leur sein des centaines de milliers de membres n’y vont pas de main morte : on a pu lire des publications ou certains disaient “Avant de commenter ce post allez vous inscrire sur les listes électorales” “Si vous n’avez pas de carte d’électeur vous serez exclus du groupe”.

La question qu’on pourrait se poser en observant cette agitation autour des élections 2025 est de savoir si c’est la solution tant attendue aux problèmes de développement du Cameroun, surtout lorsqu’on a vécu les années précédentes qui sont 2018, 2011, 2004, 1997 et la célèbre année 1992. C’est à se demander si les camerounais croient encore au miracle lié à une transition tant espérée.

L’élection est un outil de la démocratie et en tant que tel, elle est très souvent considérée comme la solution idoine aux problèmes socio-économiques qui découlent généralement de la politique et de la mauvaise gouvernance. Mais pour que l’élection joue son rôle, des conditions doivent être reunies afin que tout le peuple et non une partie puisse bénéficier de ses élus.

Le Cameroun vise l’émergence à l’horizon 2035 c’est un fait

Depuis l’ère des “grandes ambitions”, plusieurs initiatives stratégiques ont aidé à stimuler la croissance économique du Cameroun. Les conditions de vie des populations quant à elles n’ont pas connu une amélioration majeure.

Selon la Banque Africaine de Développement, en 2022, le Cameroun a enregistré une croissance du PIB réel de 3,4 %, légèrement en baisse par rapport à 2021. Croissance principalement soutenue par des investissements continus et une reprise des activités non pétrolières. Cependant, l’inflation a atteint 6,2 % en raison de la hausse des coûts d’importation, ce qui a conduit la Banque des États de l’Afrique centrale à resserrer sa politique monétaire.

L’émergence 2035 sera-t-elle effective et bénéfique au peuple camerounais? Quand on observe le pays sur le plan économique, le DSCE a laissé la place à la SND 20-30. Pour vous expliquer brièvement, rappelons que le Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE) était la feuille de route du gouvernement camerounais qui visait la relance économique du pays en s’appuyant sur des piliers forts.

Parvenu à expiration il a été remplacé par la Stratégie Nationale de Développement 2020-2030 (SND 20-30) du Cameroun qui est un cadre essentiel aligné avec les objectifs de développement durable des agendas 2030 et 2063 des Nations-Unies. Cette stratégie vise à transformer structurellement l’économie et à créer des emplois décents pour les jeunes. En gros on remplace une stratégie qui n’a pas marché par une autre dont on n’est pas sûr qu’elle marche. L’année 2030 étant dans six ans, on peut déjà évaluer l’impact de la SND 20-30 à quasi mi-parcours et voir ce qu’il faut améliorer.

Sur le plan infrastructurel, le pays n’est pas plus avancé que ses voisins qui, malgré la monnaie commune (le Franc CFA) essayent de se démarquer à travers leurs aéroports, autoroutes, buildings, industries, logements sociaux etc. La seule différence entre ces pays que nous connaissons bien et le Cameroun c’est le changement au sommet de l’État. On ne peut pas nier ce qu’on voit depuis quelques années et qu’on peut considérer comme étant un sursaut du gouvernement  à travers le rafistolage de certaines routes, la modernisation de certains péages routiers, les efforts visant à améliorer la connectivité interurbaine et l’accès facile aux points d’entrées (ports, aéroports, frontières terrestres).

Sans doute aussi aidé par la Coupe d’Afrique des Nations 2021 qui a été décalée en 2022 parce que les infrastructures devant accueillir la compétition n’étaient pas prêtes, on a quand même pu observer une avancée significative des grands chantiers de route, d’hôtels, de stades, qui ont fait penser que le développement du Cameroun était d’abord le fait d’une volonté commune.

Sur le plan social, la réponse à la Covid 19 au Cameroun a été un exemple pour plusieurs autres pays du continent. La maîtrise de cette pandémie a prouvé que le Cameroun pouvait gérer une crise sanitaire majeure mais, qu’en est-il de la gestion des autres maladies? parlons par exemple du plateau technique pour le traitement de l’insuffisance rénale (dialyse) ou même encore de la prise en charge des personnes atteintes de cancer. Même si les grandes métropoles comme Yaoundé et Douala sortent du lot, il faut noter que le Cameroun compte dix régions et qu’il est difficile pour un patient, de quitter sa ville pour aller recevoir les soins dans un environnement qu’il ne connaît pas, sans compter le coût que cela incombe.

Un autre aspect qui pourrait être soulevé c’est ce qu’on appelle les logements sociaux qui ne sont pas très sociaux, vu la difficulté à y accéder pour une certaine catégorie de personnes. Qui devrait bénéficier de ces logements dans les normes? Qui en bénéficie? Pourquoi depuis quelques années déjà des bâtiments achevés sont vides alors que la demande est hautement supérieure à l’offre? Pourquoi la bourgeoisie s’accapare-t-elle les camps SIC (logements sociaux)?

Et la jeunesse alors? Même si l’appui à l’Entrepreneuriat semble être effectif, il est encore tatillon. L’Agence de Promotion des Petites et Moyennes Entreprises (APME) sous la tutelle du Ministère des Petites et Moyennes Entreprises manque cruellement de visibilité. Le manque d’informations sur certains programmes et projets dédiés aux jeunes passent carrément inaperçu auprès du public cible. On peut donc comprendre que cette atmosphère qui semble faire miroiter une émergence pouvant être accouchée au forceps en 2035, donne au peuple camerounais de voir en la politique l’espérance d’un éventuel changement.

Ce que le peuple camerounais attend réellement de la présidentielle 2025

Dans un contexte politique bouleversé par un chaos dû à la dispersion de l’opposition et à la non déclaration du candidat désigné par le parti au pouvoir, l’élection présidentielle de 2025 s’annonce intéressante en théorie. On a le sentiment que les compteurs seront remis à zéro et que le peuple pourra enfin faire son choix.

Même si la campagne n’est pas encore officielle, on observe déjà un remous au sein des partis politiques qui élisent leurs chefs de file a l’instar du Pr Maurice Kamto qui malgré le boycott des municipales et législatives 2020 en réponse au recours de 2018 reste leader de sont parti. Des candidats indépendants qui comptent sur les réseaux sociaux pour obtenir un peu de visibilité. Le parti au pouvoir n’est pas en reste avec l’arrivée d’un nouveau membre prestigieux en la personne même du fils prodigue du père qui jusqu’ici ne s’était pas vraiment intéressé à la politique depuis le temps. Est-il le dauphin ou comme on le dit dans le peuple le successeur naturel de son père? les autres potentiels candidats à la succession en interne que deviennent-ils? Bref le décor est en train d’être planté et le peuple attend de faire son choix, mais aura-t-il vraiment le choix?

Les camerounais veulent un changement au sommet de l’État. Ils attendent de savoir si le Président de la République sera candidat à sa propre succession au grand dam de son peuple. Ils voudraient avoir les cartes en main pour essayer de changer la donne. L’état d’esprit d’une grande partie du peuple camerounais est focalisé sur  la politique comme solution miracle aux maux dont l’existence transcende pourtant les différentes élections. Le sentiment général est qu’après la présidentielle de 2025 les routes seront arrangées, les hôpitaux seront moins défaillants, les ordures ménagères n’occuperont plus les chaussées de certaines routes de la capitale, le coût de la vie chutera ou alors les salaires augmenteront, le carburant, la formation, l’emploi pour ne citer que cela. Le lot quotidien est de penser qu’en 2025, celui qui prendra la tête du pays améliorera ce qui ne l’a jamais été depuis 1992. Le Cameroun en a pourtant connu des élections présidentielles alors pourquoi attendre  de celle-ci qu’elle résolve des problèmes ponctuels?

Faut-il penser que les élections de 2025 seront objectives ? sans fraude ?

En principe, l’élection est un outil de promotion de la bonne gouvernance et un potentiel moteur du développement mais, cela reste un principe, alors pourquoi changer ce qui est désormais la norme, ce qu’on maîtrise? pourquoi même penser que cette fois sera différente des autres fois? Le parti au pouvoir se laissera-t-il faire? Au vu des élections précédentes et du jeu qui se joue actuellement en interne, on pourrait penser que les manigances ont commencé une fois de plus  pour supplanter le choix du peuple et imposer la volonté d’un groupuscule de personnes.

Les mêmes stratagèmes, les fraudes, tricheries et autres magouilles observés par le passé seront une fois de plus effectives car même si on incite les jeunes à s’inscrire massivement sur les listes électorales, rien! Non, rien ne garantit la transparence des élections de 2025. Les camerounais doivent arrêter de penser à cette élection comme à la providence et commencer à chercher les solutions à ses problèmes ailleurs par exemple dans le changement de mentalité/comportement. La question demeure : le peuple a-t-il raison de mettre ses espoirs en la présidentielle 2025 ?

Photo : AMISOM/Iwaria

Cajo Alemoka