Au Cameroun, l’élection présidentielle qui approche suscite de plus en plus l’intérêt des citoyens. Pour une fois, les politiciens de différents bords – autant de l’opposition que du parti au pouvoir –, de même que certaines organisations de la société civile semblent être d’accord pour lancer un appel à l’inscription sur les listes électorales. L’opération est-elle un succès ? Difficile à dire vu l’opacité dans laquelle tout ceci se passe. Pourtant quelques indices observés ça et là, donnent l’impression qu’il s’agit plutôt d’une campagne d’influence est en cours au Cameroun.

Participation aux élections au Cameroun

Chaque élection présidentielle au Cameroun vient avec son lot d’irrégularités. Mais bien avant le vote, le problème des inscriptions s’est toujours posé. Au Cameroun la population électorale est estimée à environ 11 millions de personnes. Pourtant, jusqu’ici, moins de 8 millions de personnes constituent le fichier électoral. Le nombre de nouvelles inscriptions estimé à 500 environ chaque année, est jugé très insatisfaisant.

En janvier 2019, lors du lancement officiel de la révision des listes électorales, l’institution s’était donnée pour objectif d’inscrire 10 millions de Camerounais avant les élections de 2025. Les derniers chiffres annoncés indiquent que cet objectif est loin d’être atteint pour le moment.

Mais il y a pire encore : malgré ce taux d’inscription déjà insatisfaisant, le nombre de votants a progressivement diminué au fil des années, pour légèrement dépasser les 50% en 2018.

Si le processus électoral avait, en 2018, suscité de façon inattendue l’intérêt des populations, notamment avec le contentieux post-électoral diffusé en direct qui avait tenu la foule en haleine pendant plusieurs jours, force est de constater que cet intérêt a été érodé avec le temps.

En effet, les événements qui ont précédé et suivi la proclamation officielle des résultats – la déclaration de Maurice Kamto annonçant sa victoire, les manifestations organisées par le MRC pour dénoncer le hold-up électoral, l’émergence de la Brigade Anti-Sardinards (BAS) et ses actions violentes en Europe, plus de nombreuses campagnes de désinformation dirigées vers divers leaders de l’opposition – ont fini de doucher l’enthousiasme de nombreux potentiels électeurs.

L’urgence est donc aux appels à l’inscription massive sur les listes électorales. Autant que le gouvernement, l’opposition dans sa grande majorité se prête au jeu. C’est assez surprenant lorsqu’on sait que certains parmi cette même opposition ont dénoncé les insuffisances de code électoral actuel, et ont même proposé un code électoral qui n’a évidemment pas été reçu par le pouvoir.

Opération d’influence ?

Sur le principe, appeler les populations à s’inscrire massivement sur les listes électorales n’est pas un souci. L’opposition camerounaise compte visiblement sur la participation massive des électeurs pour renverser le régime en place. De son côté, Elections Cameroon (ELECAM) a un objectif de 10 millions d’inscrits à atteindre. Par-dessus tout, un nombre élevé de d’inscrits, et plus tard de votants, contribue a rendre crédible le processus dans son ensemble.

À l’analyse, certains éléments rendent tout de même suspecte cette ruée réelle ou supposée, vers les bureaux de vote. Ces éléments, quand on les regarde de près, donnent l’impression qu’il s’agit d’une campagne d’influence qui pourrait faciliter la fraude lors de l’élection présidentielle à venir.

Certains messages favorables aux inscriptions publiés sur les réseaux sociaux font penser à l’astroturfing. Il s’agit d’une technique d’influence qui consiste à donner l’impression d’un mouvement spontané alors qu’il s’agit d’un mouvement préparé. Certains artistes et personnalités publiques qu’on n’avait pas souvent vu prendre position sur les questions politiques ou électorales, ont « spontanément » pris la parole pour encourager les populations à s’inscrire sur les listes.

L’apparition de trolls ou du moins d’adoption de comportements associables à du trolling par de nombreux comptes sur les réseaux sociaux a également attiré notre attention. Des comptes qui polarisent les échangent, ne réagissent que pour insulter et dénigrer, sont devenus plus nombreux sur internet.

Ajoutons à ces éléments le dénigrement de toute personne qui essaie d’émettre un quelconque avis contraire ou bien une quelconque réserve quant-au projet d’inscription massives sur les listes électorales. Kah Walla, leader du Cameroon’s People Party (CPP) et Maximilienne Ngo Mbe, activiste et présidente du Redhac, qui prônent la transition politique et non les élections, en ont fait les frais très récemment.

De la sincérité des autorités

Ce qui est inquiétant dans toute cette agitation, c’est que le gouvernement n’est pas sincère. On pourrait penser que les appels à l’inscription sur les listes électorales seraient un signe de sincérité quant au processus électoral qui s’annonce. Que non ! Les cas d’irrégularité commencent à se multiplier :

À Massangam dans la région de l’Ouest, une élite par ailleurs cadre du parti au pouvoir, a fait venir des agents d’ELECAM à son domicile ainsi que des policiers. Le rôle de ces derniers, fabriquer des cartes nationales d’identités et produire des cartes d’électeur par la suite. Les riverains qui ont découvert le pot aux roses, dénoncent le fait que ces CNI et cartes d’électeur appartiennent à des personnes inconnues du village.

De l’autre côté, des militants du MRC ont dénoncé l’enrôlement de personnes sur les listes électorales sans que aucun récépissé ne leur soit délivré. Ici aussi, il s’agit d’une opération louche qui n’augure rien de bon sur la transparence dans le processus électoral à venir surtout lorsqu’on apprend que dans la diaspora les conditions d’inscriptions sur les listes ont été durcies.

À la fin, on se demande si tout le tapage qui entoure les inscriptions sur les listes électorales ne sont pas une opération d’influence dont l’objectif est de donner l’impression que le nombre d’inscrits a augmenté de façon exponentielle, histoire de faciliter la manipulation des chiffres et la fabrication de faux électeurs qui viendront donner la victoire au candidat que le pouvoir voudra bien présenter à l’élection présidentielle à venir.

Photo: AMISOM/Iwaria