Vendredi 9 juillet, la Commission électorale nationale d’Éthiopie (NEBE) devrait annoncer les résultats de la première partie des élections. Le Parti de la prospérité (PP) du Premier ministre Ahmed Abiy a jusqu’à présent remporté la quasi-totalité des sièges annoncés, l’opposition dénonçant des irrégularités massives.

Les élections du 21 juin n’ont pas eu lieu dans 110 des 547 circonscriptions du pays pour des raisons de sécurité. Il s’agit notamment de la région du Tigré, qui a connu des mois de combats entre le Front populaire de libération du Tigré (TPLF) et les forces gouvernementales, soutenues par les troupes érythréennes.

La NEBE devrait organiser des élections en septembre dans ces régions. Ahmed doit obtenir 247 sièges pour avoir la majorité au parlement éthiopien.

Le scrutin de juin marque les premières élections depuis qu’Abiy est arrivé au pouvoir en 2018, après des années de manifestations antigouvernementales qui ont contraint Hailemariam Desalegn, son prédécesseur, à démissionner.

Abiy a institué ce que beaucoup ont décrit comme un « remaniement politique » après avoir pris ses fonctions. Au cours de ses 100 premiers jours à la tête du pays, il a levé l’état d’urgence, libéré des milliers de prisonniers politiques (dont des journalistes et des blogueurs du collectif Zone9) et levé l’interdiction qui pesait sur les groupes d’opposition mis hors-la-loi.

Ces actes progressistes et d’autres encore ont été accueillis avec beaucoup d’optimisme, tant dans le pays qu’à l’étranger. Après à peine un an au pouvoir, Abiy s’est vu décerner le prix Nobel de la paix en 2019 pour son programme de réformes et pour avoir obtenu la paix avec l’Érythrée, mettant ainsi fin à un conflit frontalier de longue date.

La lune de miel d’Abiy a cependant rapidement pris fin quand il a décrété la dissolution de la coalition du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF) en faveur d’un parti unique, le PP. Le TPLF, qui a dominé la coalition de l’EPRDF pendant près de 30 ans avant l’arrivée au pouvoir d’Abiy, a refusé de fusionner avec les trois autres partis ethniques pour former le PP.

Le parti a accusé le Premier ministre de vouloir centraliser le pouvoir au détriment des régions ethniques d’Éthiopie, allégation réfutée par Abiy. Les partisans de la fusion ont fait valoir que la dissolution de l’EPRDF favoriserait l’unité nationale et permettrait d’assoir la démocratie. Cette décision est intervenue alors que le pays s’attendait à organiser les premières élections sous l’égide d’un nouveau Premier ministre en août 2020. Des élections qui ont finalement été reportées à juin 2021 en raison de la pandémie de Covid-19.

Toutefois, dans un élan de défiance, le TPLF a organisé des élections dans la région du Tigré, dans le nord de l’Éthiopie, pour les remporter haut la main. Une action laissant présager un affrontement avec le gouvernement fédéral basé à Addis.

Après des mois de tension, en novembre 2020, Abiy a ordonné aux forces gouvernementales d’entrer dans la région du Tigré, accusant le TPLF d’avoir attaqué une base militaire fédérale dans le nord du pays. Les troupes éthiopiennes, accompagnées de renforts de l’armée érythréenne, ont cherché à chasser de la région le TPLF, désormais considéré comme un mouvement rebelle.

Le conflit a entraîné des souffrances indicibles pour les civils, les services humanitaires ayant été coupés pendant les opérations. Des milliers de personnes ont fui la région vers le Soudan voisin.  Les soldats de l’armée fédérale et l’Érythrée, nouvel allié d’Abiy, venue en renfort, ont été accusés par les médias internationaux d’avoir commis des crimes de guerre pendant le conflit.

La Commission éthiopienne des droits de l’homme (EHRC), financée par le gouvernement éthiopien, a confirmé que de graves violations pouvant s’apparenter à des crimes contre l’humanité ou à des crimes de guerre avaient été commises dans la ville d’Axum en novembre. Selon un rapport de la Commission, plus de 100 civils ont trouvé la mort dans les affrontements.

« Les informations recueillies au cours de cette enquête préliminaire confirment qu’au cours des deux journées du 28 et 29 novembre, de graves violations des droits de l’homme ont été commises et qu’à Axum, plus d’une centaine d’habitants (…) ont été tués par des soldats érythréens », a déclaré la commission.

Hormis le conflit dans la région du Tigré, Abiy a lancé une offensive contre les politiciens de l’opposition et les médias jugés favorables à l’opposition. Les partis se sont plaints que la répression gouvernementale à l’encontre de leurs représentants avait perturbé leurs préparatifs en vue des élections. Pourtant, dans certaines régions comme l’Oromia, les partis d’opposition ont boycotté le scrutin, invoquant des actes d’intimidation du gouvernement.

Des appels ont été lancés au Comité Nobel pour que le prix d’Abiy lui soit retiré. Dans certains milieux, ce dernier a été décrit comme un « artisan de guerre belligérant » qui ne méritait pas le plus célèbre prix du monde.

Henrik Urdal, directeur de l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo, aurait déclaré à Max Bearak, chroniqueur au Washington Post, que « le prix Abiy avait probablement été le plus risqué de toute l’histoire de leur processus d’attribution (du comité du prix Nobel)… ».