Le soulèvement dans les régions Anglophones du Cameroun depuis le 21 novembre 2016, notamment les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, a mis en lumière le problème que pose l’accès et la consommation de l’information au niveau des citoyens camerounais. Les discussions tant réelles que virtuelles et les actions (ou inactions) posées sur la base des informations consommées ont prouvé les limites auxquelles les Camerounais font face en raison de leur ignorance de nombreux éléments souvent clé.
Depuis près de trois mois aujourd’hui, ce qui n’était au départ que des revendications pour l’amélioration et le maintien des systèmes scolaire et juridique anglophone s’est transformé en réclamations fédéralistes et sécessionnistes. Le problème Anglophone longtemps étouffé s’est révélé au grand jour de la manière la plus violente depuis plusieurs décennies. Le peuple Anglophone exprime son ras le bol par rapport à un système qui l’exclut et le méprise.
Au fur et à mesure de l’évolution des événements, une plainte est devenue récurrente : le manque de réaction des citoyens des 8 autres régions du pays, régions francophones, face à la situation dans les régions anglophones. Le manque de solidarité ressenti a exacerbé la sensation de rejet des citoyens anglophones et a contribué aux durcissements des positions et des réclamations fédéralistes et sécessionnistes.
Cette situation m’a poussée à m’intéresser à l’accès et à la consommation de l’information au Cameroun. J’ai observé les comportements sur les réseaux sociaux et j’ai participé à de nombreuses discussions dans le “monde réel”. Mes conclusions ne se basent pas sur des données scientifiques et je suis ouverte à toute information complémentaire.
- Les sources d’informations ne sont pas appropriées.
Les discussions dans les taxis, dans les bars et dans la rue font très souvent office de source d’informations. Les rumeurs dament le pion au travail journalistique. Les conclusions de ces discussions se cristallisent en vérité acceptées et sont diffusées par le bouche à oreille à la vitesse du vent. C’est ainsi que la rumeur selon laquelle le Président Paul Biya se rendrait personnellement à Bamenda il y a une dizaine jours a été prise au sérieux, et le voyage a été attendu par un grand nombre de personnes. La portion des citoyens (qui semblent grande) qui s’appuient sur ces sources d’informations ne dispose pas souvent d’éléments qui pourraient susciter une quelconque réaction, étant donné que les problèmes débattus sont souvent peu compris par ceux qui en parlent.
- Les sources d’informations nationales ne diffusent que des informations parcellaires et mettent en garde contre les autres sources d’informations.
La télévision nationale Cameroon Radio Television ou CRTV et le journal national Cameroon Tribune ne diffusent qu’une information parcellaire mettant en exergue les grandes réalisations du Gouvernement tant dans la gestion de la “crise anglophone” que dans d’autres cas (la situation terroriste au Nord du pays) au détriment des situations réelles. Le micro est peu tendu dans les rues de Bamenda, de Kumba, de Limbe ou de Buea, certaines des villes principales des régions anglophones. La violence policière et les stratégies d’intimidations de l’armée face aux populations n’est pas couverte, au contraire des réactions des citoyens qui essaient tant bien que mal de se défendre, de se protéger ou de se faire entendre. La diffusion orientée de ces informations les faits généralement passer pour des agresseurs, ce qui durcit leurs positions et conduit parfois à des actes condamnables (la molestation d’élèves tentant de se rendre à l’école malgré la grève annoncée).
A travers leurs déclarations lors de sorties médiatiques, les officiels appuient fermement ces bribes d’informations jetées aux citoyens désireux de s’informer et mettent en garde contre “les dérives et les fausses informations” diffusées par les sources autres que nationales, notamment les réseaux sociaux, la tribune par excellence de la liberté d’opinion. Le Ministère des Postes et Télécommunications diffuse le message suivant à travers des SMS aux citoyens Camerounais : « Cher abonné, la propagation de fausses nouvelles, notamment par les réseaux sociaux, sont réprimées par le Code pénal et la Loi. »
Au cours d’une discussion dans un taxi, une Camerounaise d’une quarantaine d’années condamnait violemment la grève des enseignants et la traitait de “caprice de personnes qui ne savent pas ce qu’elles veulent”. Après que j’ai pris la peine de lui expliquer clairement les motifs de la grève et la nécessité de cette action, elle a posé une question que de nombreux Camerounais se posent certainement eux-aussi : « Je l’ai entendu à la CRTV. Si la CRTV supposée être notre source première d’informations ne nous dit pas la vérité, comment pouvons-nous donc nous informer ? »
Comment soutenir une cause dont seuls les travers nous sont présentés ? Comment se faire sa propre opinion alors qu’on n’a pas toutes les cartes en main ?
- Les réseaux sociaux sont aujourd’hui l’une des seules sources d’informations fiables.
Malgré les inévitables dérives, les réseaux sociaux sont aujourd’hui la source d’informations la plus fiable au Cameroun. Les informations diffusées sur ces réseaux sont confirmées ou infirmées en un rien de temps par des personnes mieux informées, et les opinions partagées donnent lieu à des discussions éclairées capables d’influencer l’opinion des participants et/ou des “followers”.
Le déraillement à Eseka le 21 octobre 2016 a permis à l’Etat camerounais de comprendre la puissance des réseaux sociaux tant en termes de diffusion de l’information par les personnes présentes sur les lieux d’un drame ou en contact avec des personnes aux environ de ce lieu (peu présentes sur les réseaux sociaux à ce moment-là, les sources d’informations officielles relayaient des informations connues des internautes des heures avant parution), qu’en terme d’expression du ressenti, des idées et des avis des citoyens.
La dénonciation des limites de l’action gouvernementale suite à ce déraillement a donné lieu à une diabolisation des réseaux sociaux par les officiels de l’Etat. La question a été abordée à l’Assemblée nationale, et les “Twittos” et “Facebookeurs” ont parfois été menacés de poursuite pour acte terroriste (le caractère vague de la loi antiterrorisme met en danger tout abonné des réseaux sociaux tenant des propos jugés non appréciables par l’Etat).
Président de l’Assemblée nationale, Cavayé Yéguié Djibril a déclaré à l’occasion de l’ouverture de la session budgétaire le 10 novembre 2016 « Comment ne pas évoquer pour le déplorer, cette nouvelle forme de terrorisme tout aussi insidieuse qui ces derniers temps écument le cyberespace ? Je veux parler du phénomène des réseaux sociaux ».
Le problème Anglophone qui s’est transformé en crise Anglophone, et les manifestations/villes mortes qui s’en sont suivies, ont prouvé la capacité de mobilisation des citoyens grâce à des plateformes longtemps jugées irréelles et donc indignes d’attention parce qu’immatérielles. Cette crise a mis en lumière la capacité des citoyens à créer l’information et donc la nécessité et la possibilité d’un journalisme citoyen pour combler les lacunes et parer aux limites du journalisme classique/officiel qui, depuis fort longtemps, ne satisfait plus.
- L’Etat camerounais ne souhaite pas que les citoyens aient accès à d’autres informations que celles diffusées sous sa direction.
Pour la première fois, l’Etat camerounais a utilisé la coupure d’internet comme moyen de censure. Les internautes des villes des régions anglophones se sont plaints de ne pas avoir accès à internet durant la nuit du 17 au 18 janvier 2016, suite à l’arrestation de leaders des mouvements agitateurs (Dr Fontem Neba, Secrétaire général du de la Cameroon Anglophone Civil Society Consortium ou CACSC et de l’avocat Agboh). Les citoyens des autres régions du pays ont également été affectés par cette coupure. Le volet “informations” de la crise anglophone dépend largement des réseaux sociaux, la coupure semblait donc ne pas être anodine, surtout en ce jour ou des actions paralysant le mouvement condamné ont été menées.