« Il y a plusieurs dizaines d’années de cela, alors que j’étais président de mon pays, j’ai déclaré aux Tanzaniens qu’ils devaient choisir entre changer ou être changés. J’avais tort. Ils n’avaient aucun choix. Ils devaient changer, et SERAIENT néanmoins changés

– Mwalimu Julius Nyerere

« Le changement est l’unique constante. Le changement est imminent. Les temps changent ».

Trois rengaines bien connues sur le changement. Cependant, ma préférée est la citation relativement obscure de Mwalimu Nyerere :

 « La tâche de l’Afrique est donc de parvenir à un équilibre difficile entre les besoins contradictoires et complémentaires du changement et de la stabilité ».

Pour lui, cette apparente contradiction découlait de la réalisation que « le changement est la cause de perturbations et affecte donc la stabilité ». Pourtant « un changement positif est impossible sans stabilité ». Néanmoins, « la stabilité est elle-même impossible en Afrique sans changement ». Par conséquent, le changement est dialectique.

Comment introduisez-vous par exemple le changement dans le secteur de l’éducation d’un pays qui a interdit aux mères adolescentes de reprendre leurs études dans les écoles publiques ? Continuez-vous à militer pour un changement sous le hashtag #ArudiShule (« Qu’elle puisse retourner à l’école ») ? Ou, de peur de vous confronter aux autorités en place, vous décidez d’ouvrir une école privée pour ces jeunes filles ?

Un tel dilemme me rappelle un message touchant envoyé par une amie sur twitter, @AnnieTanzania, dans lequel elle disait : « Pendant que vos petites sœurs et vos petits frères attendent que votre lutte pour l’amélioration du système éducatif dans votre pays porte ses fruits, ils vous demandent de leur apporter le peu que vous avez afin qu’ils aient au moins un bureau auquel s’asseoir à l’école – pour eux, merci d’avance ».

Pour commencer, je fais rarement de philanthropie. Non pas parce que j’adhère fortement aux critiques du capitalisme caritatif comme moyen bénéficiant au donateur en faisant un don d’argent sans changer le système même qui crée le besoin de philanthropes à la base. Mais uniquement parce que cela me dépasse de voir tant et toujours plus de personnes qui ont besoin d’aide.

Ayant moi-même été un jour assise à même le sol poussiéreux d’une salle de classe parce qu’il n’y avait pas suffisamment de bureaux dans l’école primaire que je fréquentais, je ne pouvais pas tolérer cela. J’ai aussi été heureuse en voyant les photos des élèves qui recevaient des bureaux. Et pourtant je me suis demandé dans quelle mesure cette approche était durable étant donné que je voyais toujours de nombreuses écoles manquer de bureaux lors de mes déplacements dans le pays.

Une question me hantait toujours : dans quelle mesure tout ce que tu as écrit depuis l’époque où tu travaillais comme chargé de programme responsable de l’analyse politique et du plaidoyer pour une organisation civique sur les droits à l’éducation, HakiElimu, a-t-il changé la situation dans les écoles ?

Honnêtement, je n’en sais rien. Comment puis-je savoir si un article que j’ai rédigé a permis à mes petits frères et à mes petites sœurs de recevoir des livres dans une école du pays ? La Théorie du changement peut-elle m’aider à mesurer l’impact de mes publications dans des blogs, si impact elles ont eu ? C’est pourquoi le message de @AnnieTanzania était aussi touchant qu’il était dérangeant. C’était comme si elle me disait : « pendant que tu continues à analyser et à militer pour un changement social dans notre système éducatif qui surviendra dans un futur proche ou lointain pour que les écoles publiques aient davantage de bureaux, pourquoi ne fais-tu également pas don de bureaux pour que les enfants puissent s’y assoir maintenant ?

C’est peut-être exactement ce que mon autre amie sur twitter a choisi de faire pour remédier à la situation désespérée des élèves enceintes. @CarolNdosi a lancé l’initiative « Leave No One Behind » (« Ne laissons personne derrière » pour « construire un établissement d’enseignement professionnel pour les mères adolescentes en Tanzanie à qui l’on interdit de reprendre leurs études ». Elle a trouvé un lieu et fait maintenant appel à notre soutien par le biais des plateformes GoFundMe et WezeshaSasa.

Cela signifie-t-il qu’elle a abandonné la campagne de plaidoyer pour s’assurer que la jeune fille qui a été « mise enceinte » par un géniteur connu ou inconnu retourne à l’école si elle le souhaite ? Et qui a dit qu’action caritative et plaidoyer devaient s’exclure mutuellement ? Dans un article intéressant réinterprété comme satirique par @MabalaMakengeza@CarolNdosi, on lit ce qui suit :

“Permettez-moi maintenant… Je crois en l’importance du plaidoyer et des résistances aux pressions… lorsqu’on voit la lumière au bout du tunnel… mais mes amis… oh…  ce problème est tenace, hein… et quelque peu patriarcal, je peux le sentir… et les sentiments ont toujours eu tort d’ailleurs… (oui j’ai un peu insisté… lol)… Je veux des solutions… Je veux qu’il y ait une alternative pendant que l’on continue notre « opposition contre » et que l’on continue à demander un changement de législation. Je veux du pragmatique tout de suite, maintenant ».

Le pragmatisme semble être la marche à suivre. Permettez-moi également de faire plaisir aux philanthropes qui me lisent en leur demandant de faire un don à cette initiative qui, selon @CarolNdosi « cible spécifiquement celles qui ont été victimes d’agression sexuelle et forcées à un mariage précoce ». Après tout, il semble que ce soit le moyen SMART (spécifique, mesurable, atteignable, réaliste, temporelle) de faire les choses. Un moyen sûr également.

Des militants radicaux poseraient néanmoins la question suivante à Mwalimu : l’absence de prise de risques contribue-t-elle à changer ou à stabiliser le statu quo ?