Ecrit par Appolinaire Nishirimbere

Comme partout dans le monde, la pandémie de la COVID-19 provoque une crise financière sans précèdent et exacerbe la crise de redistribution des richesses et les plus touchés sont les femmes et les groupes vulnérables, agrandissant ainsi les inégalités. Les experts économiques et les activistes de la société civile tirent depuis quelques années la sonnette d’alarme qui indiquent toutes la nécessité d’une réforme fiscale pour assurer une répartition équitable des ressources. De toute évidence, il est difficile de s’attaquer aux questions économiques et financières du moment sans justice fiscale. Quelle est alors la situation de l’épidémie au Burundi et ses conséquences sur les inégalités sociales ?

La situation de la COVID-19 et la justice fiscale au Burundi

Avec 94 cas à ce jour au Burundi selon les derniers chiffres officiels du Ministère de la Santé et de lutte contre le SIDA, la pandémie de la COVID-19 a maintenant atteint le Burundi et son impact peut être dévastateur. Dans notre monde de plus en plus interconnecté, aucun pays n’est vraiment pas à mesure d’échapper à l’élan du changement mondial et de ne pas être affecté par la COVID-19. Bien que dans le Nord, la situation semble s’améliorer ; selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elle continue de s’aggraver dans les pays du sud et les pays en voie de développement. Avec leurs budgets de consommation principalement orientés vers des services de seconde nécessite comme la sécurité et la défense , ces derniers se retrouvent dans l’impossibilité de s’acheter le matériel médical nécessaire pour détecter, surveiller et résister efficacement à la propagation du nouveau coronavirus sans aide ou dette extérieures.

Situé au cœur de l’Afrique, le Burundi est un pays en voie de développement, profondément appauvri avec des services publics de base insuffisants, sous-financés et souvent inaccessibles. Ses budgets sont généralement les budgets de consommation. Par exemple, le Budget Général de l’Etat révisé 2018/2019 est beaucoup plus un budget de consommation et non d’investissement car les ressources intérieures projetées (864,9 milliards de FBU) ne pourraient pas couvrir les dépenses courantes (881,1 milliards de FBU). Il serait difficile donc pour le Gouvernement, de réaliser un projet d’investissement sur ses propres fonds car le solde courant hors dons et hors autres produits exceptionnels est négatif (-60,9 milliards de FBU) ; le solde global avec dons du budget 2018/2019 étant négatif ; atteignant -163,5 milliards de FBU, soit 13,2% des ressources totales (très faible diminution de 0,2% par rapport aux prévisions initiales de 2018).

Le financement et l’amélioration des conditions de travail de quelques secteurs publics tel que la santé, l’éducation et d’une part le commerce pourraient potentiellement sauver d’innombrables vies. Signalons qu’à l’heure, bien que les frontières aient été fermées, le Burundi n’est pas en confinement et les circulations de personnes et de marchandises se font normalement sans crainte de propagation de la COVID-19.

Même si le Gouvernement du Burundi a déjà pris certaines mesures pour stopper et prévenir le coronavirus; on se demande ce que le Gouvernement compte faire de la situation post-crise qui risque d’être financièrement calamiteuse pour de nombreux pays. La pandémie de la COVID-19 aura été une jauge qui devrait interpeller les dirigeants sur leurs priorités.

Les niveaux de flux financiers illicites (évitement fiscal, évasion fiscale, corruption, etc.) ont laissé de nombreux pays sans ressources pour financer les services publics. En conséquence, les systèmes de santé dans les pays du Sud dont le Burundi sont également terriblement sous-financés, les agents de santé publics manquant d’équipements de protection individuelle tels que masques, gants et centres d’isolement dépourvus de ventilateurs pour les patients en situations critiques. Des millions de personnes dans les pays du Sud n’ont également pas accès à des soins de santé adéquats et vivent dans des établissements informels surpeuplés où la distanciation sociale est impossible, beaucoup n’ont pas non plus accès à de l’eau propre pour pratiquer les techniques de lavage des mains, ce qui est maintenant un privilège pour certains dans la société.

Avec la crise financière qui s’annonce, le Burundi comme beaucoup d’autres pays en voie de développement, ne devront plus trop compter sur les aides et les dettes extérieures. Ils doivent plutôt réorienter leurs priorités et mobiliser plus de ressources intérieures afin de financer leur développement surtout les services publics de base. Cette pandémie nous aura appris que la priorité pour nos pays devra être la redistribution équitable des richesses vers les domaines de base tels que la santé, l’éducation et l’agriculture dont les populations vulnérables et marginalisées comme les femmes et les enfants ont besoin.

Plus particulièrement, le Burundi vient d’élire ses nouveaux dirigeants. Ces derniers devraient d’urgence se préoccuper de la réforme fiscale pour la rendre plus favorable aux pauvres, mobiliser les ressources intérieures et assurer leur redistribution équitable tout en luttant efficacement contre les flux financiers illicites (évitement fiscal, évasion fiscale, fuite des capitaux par les prix de transfert, corruption, etc.) qui font saigner notre continent et partant le Burundi, pour panser aux maux économiques du passé.

Quelles demandes et solutions ?

Primo, des INVESTISSEMENTS PLUS IMPORTANTS ET DURABLES devraient être injectés dans les services publics de base. En réponse à la propagation du coronavirus, il est nécessaire d’investir davantage dans les systèmes universels de protection sociale et les services publics universels de qualité financés par l’État, en particulier les services qui sont massivement réduits à cause de cette pandémie. En tant que mesure à long terme, le Gouvernement doit également veiller à ce que les organisations et mouvements de défense des droits humains dans toute leur diversité participent pleinement à des consultations et à une participation significatives à toutes les mesures et plans de riposte et de relèvement.

Secundo, le Gouvernement devrait TAXER LES RICHES. Pour s’attaquer aux impacts économiques, le Burundi comme d’autres gouvernements doivent utiliser toutes les ressources disponibles, y compris la taxation des grandes entreprises et des riches: ils doivent payer leur juste part pour éviter que les coûts les plus élevés soient supportés par les moins capables de les payer. En bref, il est grand temps de taxer les riches et d’imposer les multinationales là où elles créent de la richesse.

Tertio, le Gouvernement devrait aussi REDUIRE LE FARDEAU DES PAUVRES. Certaines mesures fiscales en tant que réponse d’urgence pour encourager la liquidité, en particulier pour les femmes et les groupes vulnérables, incluent pour les gouvernements de retarder le dépôt des déclarations de revenus, d’instituer des exonérations fiscales. Le Gouvernement devrait inventorier les commerces qui ont été touchés par la pandémie surtout les petits importateurs qui faisaient leurs commerces de l’étranger (Ouganda, Tanzanie, Zambie, Dubaï, Chine, etc.) et réduire momentanément leur fardeau fiscal le temps de se rétablir.

Quatrio, il faut surtout TAXER LES PROFITEURS DE LA PANDEMIE. À moyen terme, le Gouvernement devrait penser à la solidarité ou aux taxes corona pour les entreprises qui réalisent d’énormes profits pendant cette période ; par exemple, les entreprises numériques. L’inégalité extrême est hors de contrôle. Selon le rapport d’OXFAM International sur les inégalités dans le monde, les 1% les plus riches du monde ont plus de deux fois plus de richesses que 6,9 milliards de personnes. Il y a suffisamment de richesses dans le monde pour garantir les droits humains fondamentaux à tous, y compris l’accès aux services publics, notamment les soins de santé, l’eau, l’éducation, les soins sociaux et la protection sociale.

Enfin, DES MESURES FISCALES SPECIFIQUES SONT NECESSAIRES POUR PROTEGER LA CONSOMMATION DES REVENUS LES PLUS BAS, tels que les réductions de TVA. Dans la période post-crise, les pays du Sud comme le Burundi devront augmenter leur ratio impôts / PIB, une mesure des recettes fiscales d’un pays par rapport à la taille de son économie, qui sont actuellement très faibles et n’ont pas augmenté au cours des dernières années. L’accent devrait être mis sur l’impôt foncier, le secteur minier florissant, les richesses et sur l’utilisation de ces revenus pour investir dans la protection sociale et des systèmes de sécurité sociale, en particulier pour les femmes et d’autres groupes vulnérables.

Selon le blog womankind de mes collègues Caroline Othim de l’alliance mondiale pour la justice fiscale et Roosje Saalbrink de la Womankind Worldwide, « c’est le moment pour un changement transformateur, qui remédie aux défauts structurels qui continuent d’accumuler des ressources entre les mains de quelques-uns. Il est temps de procéder à des réformes systémiques de la justice redistributive, y compris des réformes fiscales progressives, où l’élite riche et les sociétés multinationales paient leur juste part. Il s’agit de créer des alternatives au modèle économique de la structure actuelle adaptées à l’objectif et de revigorer le rôle de l’État. Une économie féministe juste réduirait la charge de temps du travail non rémunéré, assurerait des revenus sûrs, une justice fiscale avec des ressources publiques suffisantes pour garantir des niveaux maximaux de soins de santé, favoriserait la sécurité des femmes et leur capacité à s’engager dans des activités politiques. »

Au vu de la situation financière mondiale occasionnée par la COVID-19, et dès lors que la pandémie pousse la crise de redistribution à une vitesse excessive, nous avons besoin de ressources adéquates et nous y arriverons grâce à la justice fiscale : la réforme du système fiscal en le rendant favorable aux pauvres.