La militante pour la participation citoyenne à tous les niveaux que je suis ne votera pas lors de l’élection présidentielle 2018 au Cameroun. Ça peut sembler absurde lorsqu’on connait mon combat, et qu’on a lu les millions de mots alignés tant sur Elle Citoyenne que sur les réseaux sociaux à propos de la participation citoyenne, le pouvoir des citoyens, et la nécessité de faire entendre sa voix par le biais des urnes. Mais non, je ne voterai pas cette année.
Pourtant c’était la première fois de ma vie que j’allais le faire, et j’avais hâte d’y être, de brandir enfin mon doigt couvert d’encre, heureuse d’avoir fait ce que je pense être mon devoir. J’ai tout fait comme il fallait. Je me suis rendue le 26 août 2016 à l’ambassade du Cameroun au Sénégal, et j’en suis ressortie avec mon récépissé.
La dame qui m’a servie a été très gentille, et m’a demandé de dire à mes concitoyens dans la ville de Dakar de venir s’inscrire sur les listes électorales, ce que je me suis empressée de faire, convaincue par son sourire et l’essence de mon combat. J’ai vraiment cru au changement par les urnes cette année. Le cas de la Gambie m’a donné espoir. Voir Yahya Jammeh perdre l’élection et céder le fauteuil présidentiel à un outsider m’a emmenée à rêver aux nombreuses possibilités qui s’offraient à mon pays le Cameroun.
Consciente de la lenteur de nos services publics, j’ai attendu un an pour réclamer ma carte d’électeur. J’ai appelé l’ambassade du Cameroun, et j’ai été informée du fait que les cartes n’étaient pas disponibles. J’ai rappelé des mois après, et j’ai obtenu la même réponse. Lassée d’attendre et voyant la période électorale se rapprocher (septembre/octobre 2018), je me suis rendue à l’ambassade pour réclamer ma carte.
Je me suis rendue dans le bureau de la dame au sourire convaincant dont je vous ai parlé précédemment. Elle était au téléphone, elle m’a fait signe de m’asseoir. La machine d’Election Cameroon ou ELECAM servant à l’enregistrement des futurs électeurs était posée dans un coin du bureau. Pendant qu’elle discutait, j’ai parcouru son bureau des yeux, et j’ai vu une boîte supposée contenir des cartes. Mon impatience était à son comble.
Lorsque la dame a raccroché, je lui ai présenté l’objet de ma visite. Je préfère nettement vous refaire le dialogue :
– Bonjour Madame, je suis là pour récupérer ma carte d’électeur (moi, brandissant mon récépissé).
– Elles ne sont toujours pas disponibles.
– Comment ça ?
– Les clés USB envoyées par ELECAM ne fonctionnent pas. On leur a signalé le problème, donc la balle est dans leur camp.
– Depuis 2016 ??
– Non ma fille. Depuis 2015. On n’a pas de clé, on ne peut donc pas leur faire parvenir les données des personnes enregistrées.
– (Moi, effarée) …
– Mais voilà la machine (geste vers « la machine d’ELECAM »), les inscriptions se poursuivent.
– (Moi, encore plus effarée) …
– Mais ma fille ne t’inquiète pas. Avec ou sans carte vous allez voter. Ce n’est pas un problème. Vous allez voter.
Mon étonnement était à son maximum. Je me demandais si cette dame avait conscience de ce qu’elle venait de me révéler. Est-ce qu’elle mesurait un seul instant les implications de ses réponses? Je préfère me dire qu’elle n’avait pas idée de la portée de ses phrases que je résumerai ici en quelques points.
1- Toutes les personnes enregistrées à Dakar depuis au moins 2015 ne sont pas connues d’ELECAM.
2- Bien que n’apparaissant sur aucune liste électorale, chacune de ces personnes pourra voter. Il suffira de… venir et voter ? Ne cherchons pas à comprendre à ce niveau.
3- Ces votes ne seront (normalement) pas comptabilisés. En gros ils seront inutiles. Ou dans le pire des cas, dans un élan de fraude massive, ils seront considérés comme des votes pour un certain candidat d’un certain parti.
4- Sans clé USB l’avenir politique du Cameroun est fichu lorsqu’il s’agit de voix des électeurs. Les dispositifs informatiques cryptés ou pire, les déplacements de personnes semblent inconnus sous nos cieux.
5- ELECAM est incapable de résoudre un problème de clé USB en 3 ans, et ne se soucie aucunement du fait que tous les ressortissants camerounais d’un pays n’apparaissent sur aucune liste électorale. C’est le cas pour combien de pays ?
Ce qui rend tout ceci encore plus étonnant ce sont les opérations d’envergure menées par ELECAM pour inciter les citoyens camerounais à s’inscrire sur les listes électorales. Dans un article d’Actu Cameroun qui parle d’une campagne d’ELECAM dans le Sud-Ouest du Cameroun (janvier 2018), il est dit ceci : « Des agents d’Elecam ont été appelés à se rendre dans les marchés, les cérémonies de funérailles et les mariages, pour enregistrer les habitants. L’antenne régionale d’Elections Cameroon (Elecam) pour la région du Sud-Ouest intensifie la campagne d’inscriptions sur les listes électorales. Lors de l’ouverture officielle des inscriptions pour la région le 9 janvier dernier, les agents de l’organe en charge des élections au Cameroun ont reçu pour mission de se rendre dans tous les lieux de regroupements des citoyens à l’instar des funérailles ou encore des mariages. »
Elecam est même appuyé dans sa tâche par les formations politiques. Lorsqu’on lit les informations, le focus sur les listes électorales donne l’impression qu’elles sont d’une importance capitale. Dans un article de Cameroon Tribune, Carlos Ngoualem, président de la circonscription électorale SDF de Douala 5e déclare : « Dimanche dernier, nous étions avec des agents d’Elecam dans les quartiers PK12 et Bépanda-Omnisport. C’est une activité que nous menons tous les week-ends et jours fériés. Et depuis janvier 2018, nous avons déjà pu inscrire 1500 nouveaux électeurs. En semaine, notre tâche consiste simplement à les orienter vers les agents Elecam tandis qu’en week-end, nous prenons en charge l’activité de mobilisation ». Je ne parlerai pas de la base de l’action du candidat Cabral Libii, 11 millions d’inscrits sur les listes électorales.
J’y ai cru. Mais vraiment. Comment le changement pourra-t-il venir d’en bas si les services mis en place pour y parvenir ne font rien d’autre que prétendre s’y dévouer ? Comment les citoyens feront-ils entendre leur voix si dès le départ leur cas n’est pas considéré ? Je vous aurai bien présenté des statistiques relatives au nombre de Camerounais vivant hors du pays pour que vous mesuriez l’ampleur de la situation au cas où le Sénégal n’est pas le seule pays concerné par cet “oubli” d’ELECAM, mais les données sur le site Diaspora Cam du Ministère des Relations extérieures semblent être communiquées pour ne pas être comprises.
Cette année je ne voterai pas. Je ne veux pas, par cette action, appuyer la médiocrité et, qui sait, les actions illégales de nos pouvoirs publics. Peut-être que les cartes électorales seront disponibles d’ici à septembre/octobre 2018, mais j’en doute fort. S’il a été impossible de recueillir les données en trois ans, je ne pense pas que ça se fera en trois mois. Alors, non, je ne voterai pas