Récemment adoptée par le parlement camerounais, la loi sur le tribalisme et les discours de haine est dangereusement absente alors que les messages de haine prospèrent sur les réseaux sociaux camerounais.

L’élection présidentielle du 7 octobre 2018, qui a débouché sur une crise post-électorale non encore résolue, a également connu une déferlante de discours de haine et de tribalisme sur les réseaux sociaux camerounais. Pour faire face à cette situation, le parlement camerounais a opté pour la coercition, en votant une loi modifiant l’article 241 du code pénal camerounais contre le tribalisme et les discours de haine. Pourtant, depuis l’adoption de ce texte de loi, la haine et le tribalisme n’ont pas diminué sur les réseaux sociaux camerounais, bien au contraire.

Main de fer sans gant de velours

Si on peut tout à fait comprendre la nécessité pour l’État camerounais de prendre des mesures fortes contre la propagation des messages de haine dans l’espace virtuel autant que réel camerounais, on peut tout de même s’interroger sur la démarche qui se limite à adopter une loi sans prendre aucune mesure pour sensibiliser les uns et les autres sur les dangers des discours de haine et du tribalisme.

Faut-il donc s’étonner que le nombre d’attaques haineuses aille grandissant ? Que ce soit sur les réseaux sociaux ou in real life, il était – et il reste – nécessaire de mener des campagnes non seulement pour sensibiliser les citoyens sur les messages de haine mais également pour vulgariser le texte de loi qui punit ceux qui enfreignent cette loi.

La haine au quotidien

Du fait du manquement relevé plus haut, le quotidien du camerounais est noyé dans la haine. Sur les réseaux sociaux, des personnes n’ont aucun scrupule à insulter, calomnier, indexer des groupes sociaux, ethniques ou politiques, n’hésitant pas à menacer ou à appeler à la violence envers ces derniers.

Contrairement à ce que pensent certains compatriotes, la haine et le tribalisme ne se limitent pas à internet. On a encore en mémoire les événements de Sangmélima en octobre 2019, où certains ressortissants de Noun ont préféré quitter la ville après que des autochtones aient vandalisé leurs boutiques ; on se souvient d’Ebolowa un mois plus tard, où les militants du MRC ont été interdits d’entrer dans la ville où ils allaient tenir un meeting par des sympathisants du RDPC ; et on se souvient des événements d’Obala quelques mois avant, où les autochtones ont pris des machettes pour en découdre avec les bororos pour une histoire floue entre deux jeunes ressortissants des deux communautés.

Laxisme ou complicité passive ?

Pourquoi, après l’incident d’Obala en avril 2019, les populations de Sangmélima ont-elles eu le courage de chasser d’autres Camerounais après avoir pillé leurs boutiques simplement parce qu’ils sont originaires d’une autre région ? Pourquoi, après les événements de Sangmélima, les populations d’Ebolowa ont-elles pu s’en prendre à leurs frères simplement du fait de leurs choix politiques ?

La raison, c’est que dans les trois cas, les forces de maintien de l’ordre présentes, n’ont arrêté personne ni empêché les abus. Dans le cas de Sangmélima où des boutiques ont été pillées, personne n’a jamais été arrêté. C’est cette impunité qui permet aux tribalistes d’opérer à visage découvert sans peur de représailles.

Sur les réseaux sociaux, c’est pareil. On a vu un compatriote dans un live Facebook avec une machette qui menaçait d’en découdre avec ses adversaires, tandis que dans une autre vidéo, un autre appelait à bloquer la route pour couper toute retraite aux ressortissants de l’Ouest avant de les attaquer en représailles aux actions de la diaspora activiste camerounaise connue sous le nom de « Brigade Anti-Sardinards » (BAS) qui menaient des actions pour perturber les séjours du président de la république en Europe.

Vers une guerre des communautés ?

Ce qui se passe a l’air anodin, pourtant les conséquences peuvent être dramatiques. La haine exprimée sur les réseaux sociaux n’y reste pas. Elle se propage forcément dans la vie réelle. Lors de la manifestation de Genève organisée par la BAS, des Camerounais pro-Biya y sont également allés pour soutenir le président. Et il y a eu des affrontements physiques entre des individus qui s’étaient déjà affrontés virtuellement sur Facebook.

Si le gouvernement ne prend pas des mesures fortes contre la propagation des discours de haine et ne se donne pas la peine de sanctionner quelques-uns de ceux qui passent la journée à distiller la haine sur les réseaux sociaux, j’ai bien peur qu’on se retrouve dans des situations où des communautés s’affrontent. L’agression dont a été victime le journaliste Ernest Obama de passage à Paris, du fait du discours haineux et tribaliste qu’il a souvent tenu à la télévision, devrait nous mettre la puce à l’oreille.