Longtemps critiqué par l’opposition et la société civile camerounaise, le code électoral en vigueur est l’un des instruments qui permet au président Paul Biya de se maintenir au pouvoir sans se donner trop de mal.

L’élection présidentielle 2018, et surtout les audiences qui se sont tenues au Conseil constitutionnel ont permis à plusieurs camerounais de se rendre compte qu’avec l’actuel code électoral, il est pratiquement impossible de battre le président Paul Biya à une élection présidentielle. Le document avait déjà été critiqué par plusieurs hommes politiques et membres de la société civile et des propositions faites pour l’amender, sans succès jusqu’ici.

Un code électoral perméable

À la lecture de certains articles du code électoral du Cameroun, on ne peut s’empêcher de penser qu’ils ont été rédigés exprès pour permettre au parti au pouvoir de s’y éterniser. Cette loi permet par exemple, au Conseil Constitutionnel « sans instruction contradictoire préalable, [de] rejeter, par décision motivée, les requêtes irrecevables ou ne contenant que des griefs ne pouvant avoir aucune incidence sur les résultats de l’élection » (article 134).

En d’autres termes, même s’il est démontré qu’il y a eu irrégularités, la requête ne sera examinée que si le plaignant parvient à démontrer que sans ces irrégularités l’issue du scrutin aurait été différente. Mais comment prouver cela sans recourir aux ars divinatoires ? Pendant les audiences du contentieux post-électoral, les avocats du Social Democratic Front (SDF) ont évoqué le cas des régions anglophones où le taux de participation était extrêmement bas (environ 5% dans le Nord-ouest, et un peu plus de 15% au Sud-ouest). Ce faible taux, dû au contexte sécuritaire, aurait-il pu avoir une incidence sur les résultats finaux ? Nul ne peut le dire avec assurance, mais en attendant la requête du SDF a été rejetée.

Un autre article du même document indique que seuls les procès-verbaux détenus par les responsables d’Elections Cameroon (ELECAM) font foi (Article 115, alinéa 3).Sachant que le Directeur Général de cet organe et son adjoints ont nommés de façon discrétionnaire par le président de la république comme le veut l’article 24 alinéa 1, il n’est pas impossible que ceux-ci soient acquis à sa cause ou même membres de son parti.

Comment revendiquer sa victoire s’il faut uniquement s’appuyer sur les données fournies par ELECAM, surtout que les membres du Conseil Constitutionnel censés examiner les requêtes sont également nommés par le même président de la république (selon l’article 12 alinéa 3) ?

En un mot, le code électoral actuel donne au président de la république la possibilité d’avoir pour lui l’organe qui organise les élections, et celui qui examine les recours et proclame les résultats. En plus, c’est le même président qui, selon le code électoral, décide du montant de la caution à déposer pour être candidat, et du montant de la subvention à accorder aux autres partis en compétition avec lui.

Boycotter les élections pour un code électoral consensuel

Plusieurs partis de l’opposition ont déjà essayé de boycotter les élections au Cameroun, sans succès. C’est par exemple le cas du Cameroon’s People Party (CPP) d’Edith Kah Walla, qui après les élections de 2011 a décidé de ne plus prendre part aux élections dans ce pays tant qu’un code électoral consensuel n’est pas adopté. Plus récemment, c’est Bernard Njonga du mouvement Croire au Cameroun (CRAC) qui s’est désisté peu avant l’ouverture des dépôts de candidatures pour l’élection d’octobre 2018, toujours à cause de la grande marge de manœuvre que le code électoral en vigueur laisse au parti au pouvoir. D’ailleurs, l’élection de 2018 et les audiences au Conseil Constitutionnel leur ont donné raison.

Si donc, par le passé les décisions de boycotter les élections n’ont pas vraiment porté de fruits, vu qu’aucune modification du code électoral n’a jamais été envisagée, pourquoi ce serait différent maintenant ?

Il ne faut pas oublier que le régime de Yaoundé n’accorde que peu d’importance aux complaintes, propositions ou critiques de quelque sorte que ce soit, tant qu’elles viennent de la population, des partis politiques ou bien de la société civile camerounaise. Même la prise des armes, comme c’est le cas dans les régions anglophones, n’émeut pas le régime de Paul Biya. Les derniers événements l’ont démontré : pour mettre Yaoundé au pas, il faut que la « menace » vienne de l’extérieur, notamment des puissances étrangères qui le soutiennent financièrement et militairement.

La résolution adoptée par les eurodéputés en mi-avril 2019 demande dans son point 9 que le code électoral soit révisé avant de nouvelles élections. C’est l’occasion que doivent saisir les principaux partis de l’opposition, et notamment les plus influents à savoir le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) de Maurice Kamto et le Social Democratic Front (SDF) de John Fru Ndi, pour rejoindre le CPP et le CRAC dans leur posture, et refuser de participer aux prochaines élections avec le code électoral actuel.

Vers une nouvelle élection présidentielle ?

L’adoption d’un code électoral consensuel implique-t-elle que l’élection présidentielle soit reprise ? C’est possible, au vu de la crise post-électorale qui s’est confortablement installée au Cameroun depuis la proclamation des résultats de celle organisée en octobre 2018.

Depuis plus de 6 mois, Maurice Kamto revendique sa victoire à la dernière élection, et ce malgré les persécutions qu’il a subies, avec ses alliés, militants et sympathisants, de la part des autorités en place. Adopter un nouveau code électoral viendra-t-il effacer cet épisode ? Il faut croire que non, vu la témérité dont a fait preuve le MRC jusqu’ici.

Maurice Kamto a récemment proposé un recomptage des voix, bureau de vote par bureau de vote, et a promis d’accepter sa défaite si à l’issue de cette opération les résultats lui étaient défavorables. En allant sur la base que le code électoral en vigueur est mauvais, l’adoption d’un nouveau code devrait s’accompagner, soit d’un recomptage des voix, soit d’une nouvelle élection présidentielle avec en lice un RDPC dépouillé de ce qui faisait toute sa force.

En attendant que les événements nous donnent tort ou raison, on peut d’ores et déjà constater que les élections qui se préparaient activement ne sont plus vraiment à l’ordre du jour, et que le gouvernement Biya s’efforce de respecter certains points de la résolution du parlement européen notamment concernant la crise anglophone. Iront-ils jusqu’à la révision du code électoral ?