Après une journée de vote plutôt tranquille quoique perturbée dans les régions anglophones, l’après-vote s’annonce incertain.
Le Cameroun s’apprête peut-être à vivre une nouvelle crise, liée cette-fois à l’élection présidentielle qui s’est déroulée le 7 octobre dernier. En effet, le lendemain du scrutin, un des candidats, le Pr Maurice Kamto, a réuni la presse locale pour annoncer sa victoire, et les réactions qui s’en sont suivies n’augurent rien de bon.
« Le pénalty a été marqué »
Lors une conférence de presse organisée au siège de son parti à Yaoundé, le Pr Maurice Kamto, candidat du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) a annoncé avoir remporté l’élection présidentielle qui venait tout juste de s’achever. Dans son propos il a assuré les camerounais, qui lui ont donné ce mandat, qu’il le défendrait jusqu’au bout avant d’inviter le président sortant à organiser les conditions pour une transmission pacifique du pouvoir, parce que « le Cameroun n’a pas besoin d’une crise post-électorale ».
La réaction du gouvernement ne s’est pas fait attendre : les ministres de l’administration territoriale (MINAT) Paul Atanga Nji et de la communication (MINCOM) Issa Tchiroma Bakary sont montés au créneau pour dénoncer cette annonce qui, à en croire le MINCOM qui est également le porte-parole du gouvernement, est illégal. Le MINAT quant à lui a été plus dur : « Il a dit qu’il ira jusqu’au bout, mais nous ne lui donnerons même pas l’occasion de commencer ce qu’il veut faire ».
Des menaces à peine voilées donc, adressées autant par le candidat Kamto sûr d’avoir remporté une élection, que par les autorités camerounaises pour qui le candidat du MRC a violé la loi électorale en annonçant sa victoire.
Polémique autour de la loi électorale
Maurice Kamto a-t-il violé la loi électorale en se proclamant vainqueur de l’élection présidentielle ? Les avis sont partagés. Cependant, si la loi électorale en son article 137 précise que « le conseil constitutionnel arrête et proclame les résultats de l’élection présidentielle » (c’est-à-dire que c’est le seul organe qui en a le pouvoir et la légitimité), aucun article n’interdit formellement à un candidat, à partir de données en sa possession, de se déclarer vainqueur. Il y a d’ailleurs l’article 113 qui indique que, « Immédiatement après le dépouillement, le résultat acquis dans chaque bureau de vote est rendu public », ce qui permet en effet à un candidat d’avoir certaines données en sa possession le jour même du scrutin.
Quoi qu’il en soit, il ressort clairement que Maurice Kamto n’a enfreint aucune loi en se déclarant vainqueur. Cependant, tous le monde ne l’entend pas de cette oreille. Et, cette divergence d’opinion se ressent de plus en plus sur les réseaux sociaux où les affrontements verbaux entre partisans d’un camp ou de l’autre sont de plus en plus nombreux.
« Appel à l’insurrection »
La déclaration de M. Kamto a suscité de vives réactions, autant sur les réseaux sociaux que dans les chaumières. Pour beaucoup d’observateurs, ses propos peuvent être le point de départ d’une crise. Rappelons que dans on annonce le candidat s’est déclaré prêt à aller jusqu’au bout pour protéger le mandat que les camerounais lui ont donné, et même s’il a utilité le pronom « je », il est évident que s’il prend une décision, elle sera suivie par ses sympathisants qui sont plutôt nombreux.
De l’autre côté, la réponse du MINAT a de quoi inquiéter. Les événements récents au Cameroun ont démontré à suffisance que le gouvernement n’hésiterait pas à utiliser la force et les armes si jamais un mouvement populaire de contestation était lancé : les émeutes de la faim en 2008 et la crise anglophone qui depuis deux ans met le pays à genoux en sont de parfaites illustrations.
Coalition post-électorale ?
Le 9 août, deux autres conférences de presse se sont tenues, organisées par deux autres candidats à l’élection présidentielle, notamment Serge Espoir Matomba, candidat du Peuple Uni pour la Rénovation Sociale (PURS) qui annonçait qu’il engagerait la bataille si lors de la publication des résultats les chiffres avancés ne correspondent pas à ceux qui figurent sur les procès-verbaux rassemblés par ses représentants dans différents bureaux de vote.
Quant à Cabral Libii, coordonnateur du mouvement « 11 millions de citoyens » et candidat du parti UNIVERS, et qui a organisé la deuxième conférence de presse, il a réitéré l’annonce faite deux jours avant sur son mur Facebook : des fraudes massives ont eu lieu, et il déposera des recours pour l’annulation des résultats dans certains bureaux.
En effet, le dépouillement qui a suivi la clôture des bureaux de vote a permis de se rendre compte que le candidat sortant, Paul Biya et celui du MRC, Maurice Kamto, étaient tous les deux au coude à coude dans la plupart des bureaux de vote dont les résultats ont été publiés sur les réseaux sociaux par les Camerounais, suivis par Cabral Libii du parti Univers.
La différence, toutefois, venait des résultats des bureaux localisés dans les régions nord du pays qui représenterait près de la moitié des suffrages. Les résultats, surtout dans les zones rurales, donnaient le parti au pouvoir vainqueur parfois à plus de 90%, lui donnant sans aucun doute un avantage sur ses concurrents. C’est visiblement de ces bureaux que les candidats parlent, et où des représentants de partis auraient été expulsés, qu’il s’agit.
Au finish, nous avons deux autres candidats qui, comme celui du MRC, se disent prêts à se battre jusqu’au bout pour que le verdict des urnes soit respecté. On imagine aisément ce qui pourrait arriver si ces derniers estiment que le résultat de l’élection ne reflète pas la réalité.
Le « chassement » s’en mêle
Certains camerounais, plus ou moins nombreux, estiment que le président actuel ne peut pas être renversé par les urnes. La solution pour eux, c’est « le chassement », c’est-à-dire l’insurrection populaire.
Depuis l’annonce du candidat du MRC et les réactions des membres du gouvernement, de plus en plus de publications sur Facebook tendent à appeler le peuple à chasser le président sortant par la force. Il est facile de deviner que ces derniers espèrent profiter d’une éventuelle bataille entre MRC et MINAT pour déployer leur stratégie de renversement du pouvoir.
Une campagne de financement via la vente de t-shirts a d’ailleurs été lancée sur les réseaux sociaux pour réunir les fonds nécessaires à la prise du pouvoir par la rue. À quoi cela mènera-t-il ? Déboucherons-nous sur un conflit ? Difficile à dire.
Moins de 15 jours de sursis
Il est encore tôt pour savoir quelle tournure prendront les choses au Cameroun, le délai légal pour la proclamation des résultats étant de 15 jours à compter de la clôture des bulletins de vote. En attendant, les appels à la paix se multiplient sur les réseaux sociaux et sur les médias car en réalité, le Cameroun se relèvera difficilement d’une crise post-électorale dans le contexte déjà difficile qui est le nôtre.