Le contexte social dans lequel de nombreux camerounais grandissent les prédisposent aux discours de haine et au tribalisme.

La dernière élection présidentielle tenue au Cameroun et les crises qui s’en sont suivi ont été le déclencheur d’une vague de discours de haine et de tribalisme qui, quatre ans après, continuent d’inonder l’espace public et les réseaux sociaux. Cette haine et ce tribalisme dont la déferlante semble avoir surpris certains, ne sont pourtant pas nouvelles. Nombreux sont les camerounais qui naissent et sont élevés dans la culture du rejet et de l’exclusion de l’autre. Les événements de 2018 n’ont été que le prétexte qui a servi à ces personnes de l’exprimer ouvertement.

Grandir avec des préjugés et des idées préconçues

Lorsqu’on mentionne le terme « discours de haine », de nombreuses personnes s’attendent à un langage explicitement violent ou insultant. Or ce n’est pas toujours le cas. Selon la définition donnée par Wikipédia, il s’agit d’un discours qui « attaque une personne ou un groupe de personnes sur la base de caractéristiques diverses (couleur de peau, ethnie, âge, sexe, orientation sexuelle, religion, etc.) »

Le Cameroun, avec ses plus de 280 ethnies, est un terreau très fertile pour les attaques notamment liées au groupe ethnique. En effet, dans l’imaginaire collectif camerounais, tous les ressortissants d’un groupe ethnique ont des caractéristiques, des habitudes similaires qui permettent de les identifier dans la masse. Certains sont taxés d’avares, d’autres d’ivrognes, d’autres encore de sales ou de brutaux.

Dans pratiquement toutes ces ethnies, les femmes qui sont particulièrement visées : elles sont considérées comme étant infidèles, sales, laides ou gourmandes selon qu’elles sont originaires de telle ou de telle région du pays. Une sentence qui tombe sans jugement, le seul argument étant leur genre et leur origine ethnique.

Ces préjugés et idées préconçues sont évidemment la source de nombreux discours de haine qui pullulent sur les réseaux sociaux camerounais à longueur de journée. La banalisation de ce phénomène est tel que deux artistes camerounais ont produit des chansons dans lesquelles ils citent les défauts de chaque village pour le premier, et les défauts de la femme camerounaise selon son ethnie pour le deuxième, sans que ça ne pose de véritable problème à personne.

Le vocabulaire de la haine s’enrichit

Après 2018, en plein milieu de la crise post-électorale qui a secoué le pays, de nouveaux termes ont intégré le vocabulaire du camerounais lambda. Il y a d’abord eu les termes « sardinard » et « tontinard » qui au départ permettaient d’indiquer si un individu était pro ou anti gouvernement.

Par la suite ces deux expressions ont été implicitement rattachés aux ethnies : les ethnies béti et bulu étaient systématiquement associées au terme « sardinard » en raison de l’appartenance du Président Biya à l’une d’entre elles, tandis que les Bamiléké, ethnie dont est issu Maurice Kamto, étaient quant à eux systématiquement assimilés au terme « tontinard ».

Mais ce n’est pas tout. D’autres termes plus violents et à connotation ouvertement tribale ont ensuite fait leur apparition sur internet. « Ekang-cre », « Bandit-léké », « Béti-se », « Mboutlou »… sont quelques-uns de ces mots qui ont, pendant quelques années, inondé de nombreux groupes sur Facebook. Chacun d’eux contient une insulte qui vise une ethnie bien précise. On a par exemple Ekang + cancre, bandit + Bamiléké, Béti + bêtise, mbout/mboutoukou (idiot) + Boulou, etc.

Exclusion et incitation à la violence

Depuis la tendre enfance, les camerounais grandissent avec des termes qui, en représentant l’étranger – entendez celui qui est originaire d’une autre ethnie –, le rejette systématiquement. D’ailleurs, même lorsque ces termes là n’expriment pas clairement le rejet, ils sont considérés comme tels dans le contexte. Dans le grand nord par exemple, les étrangers sont désignés par le terme ‘gadamayo’, qui est traduit par « ceux qui viennent de l’autre côté du mayo ». À l’Ouest du pays, le terme ‘nkwa’ désigne les étrangers, et même si son sens n’est pas clair, il reste vrai qu’il est pris par ceux qu’il désigne comme une insulte.

Au-delà de ces mots qui font partie du vocabulaire avec lequel tout jeune camerounais grandit, il faut dire que les discours de haine ont parfois servi à inciter à la violence. L’un des exemples illustratifs, c’est il y a quelques années, lorsqu’une épidémie de choléra s’est déclarée dans la ville de Douala. Sur les réseaux sociaux, des personnes ont fait des publications disant en gros que les Sawa (originaires de Douala) n’étant pas sales, la cause de l’épidémie ne peut être que les bamiléké, considérés comme étant une ethnie sale.

Inutile de dire que ce type de publication peut sonner comme un appel à expulser les Bamiléké de Douala, comme cela est par exemple arrivé dans la région du Sud où les Bamoun eux aussi ressortissants de la région de l’Ouest, ont été chassés pour une obscure histoire de meurtre alimentée par les réseaux sociaux.

Plus d’implication des autorités

Au Cameroun, les autorités ne se bougent pas beaucoup pour contrer le phénomène. Une loi contre le tribalisme a récemment été adoptée, mais jusqu’ici on n’a jamais entendu parler de condamnations pour ce motif. Même lorsqu’il s’agit de flagrants de personnes bien identifiées qui viennent sur des médias distiller la haine tribale, la réaction se fait indéfiniment attendre.

Entre temps, les discours de haine et le tribalisme gagnent du terrain sur les réseaux sociaux et dans les mentalités des Camerounais, ce qui rend le combat contre ce phénomène plus ardu. Sur le terrain, de nombreuses organisations de la société civile font de leur mieux pour mener ce combat. Mais, sans l’implication réelle des pouvoirs publics, il sera très difficile de remporter la victoire contre ce fléau.

Moudjo Tobue

Photo : AMISOM via Iwaria