« Les médecins ont dit à mon père de me ramener à la maison et de faire en sorte que je sois à l’aise. Ils ne pouvaient rien faire d’autre, il me restait environ 14 jours à vivre. En arrivant à l’hôpital, j’étais capable de marcher toute seule, mais maintenant il me fallait utiliser un fauteuil roulant pour en sortir – la condamnation à mort prononcée par les médecins m’avait enlevée toute vie. »

Ce sont les propos de Winnie Rukia, 17 ans. Elle décrit le moment où, 4 ans auparavant, un médecin du Centre hospitalier universitaire Moi donna à son père un état de la situation de son sarcome très avancé – une tumeur au cerveau à croissance rapide. Elle faisait semblant de dormir mais avait entendu tout ce que le médecin avait dit à son père. Le compte à rebours de la fin de sa vie avait commencé, il ne lui restait que 14 jours et tout ce que le médecin pouvait lui prescrire était d’être à l’aise. Il s’agit du plus grand hôpital de l’ouest du Kenya et de l’unique hôpital public fournissant des traitements contre le cancer à cette époque.

Ses amis sont allés la soutenir, des membres de l’église de sa mère sont venus prier avec elle, mais elle se souvient encore de ses nuits sans sommeil. Comment pouvait-elle trouver le sommeil avec 14 jours lui restant à vivre dans ce monde ? Elle se souvient que ces journées étaient effrayantes.

Avant de se rendre à l’hôpital, elle n’imaginait pas une seconde que le diagnostic était un cancer. Pendant environ un mois, elle avait des démangeaisons du côté droit de son cuir chevelu. À mesure que les démangeaisons s’intensifiaient, une blessure se formait. Son père, qui travaillait dans un hôpital, l’emmena alors se faire soigner, mais il n’imaginait pas que sa deuxième fille était atteinte d’un cancer. Lorsque le diagnostic a été prononcé, il ne savait pas comment annoncer la nouvelle à sa fille. Il lui a dit qu’ils devaient aller à un hôpital d’Eldoret pour y subir une opération, mais elle n’avait pas du tout conscience que c’était à cause d’une tumeur au cerveau.

J’ai rencontré Winnie lors du « Défilé des vainqueurs du cancer » à Kisumu. Elle et plusieurs autres survivants ont défilé dans les rues de la ville de Kisumu pour sensibiliser le public au cancer, lutter contre la stigmatisation et promouvoir le dépistage du cancer du sein et du col utérin organisé au Centre de soins palliatifs de Kisumu pendant les deux jours suivants.

Winnie enleva le couvre-chef blanc qu’elle portait. Le couvre-chef cachait une cicatrice refermée sur le côté droit de la tête – une cicatrice d’un diamètre d’environ cinq centimètres. Nous avons fait cette interview à l’ombre, à l’extérieur du Centre de soins palliatifs de Kisumu. Le centre de soins palliatifs est situé à l’intérieur du principal hôpital central de Kisumu. Pendant longtemps, c’était le seul endroit où les patients de l’ouest du Kenya soufrant d’un cancer pouvaient bénéficier d’une chimiothérapie et d’un traitement hormonal subventionnés pour les survivantes du cancer du sein. À ce jour, il n’existe aucun centre de radiothérapie dans l’ouest du Kenya.

C’est ici que le compte à rebours de la fin de vie de Winnie s’est figé il y a environ quatre ans. Un matin, alors que le compte à rebours ne lui laissait que six jours, son père lui a annoncé qu’il devait l’emmener quelque part. Ils sont venus au centre de soins palliatifs.

Je me souviens, c’était un mardi matin. Papa m’a dit que nous devions essayer un traitement appelé chimiothérapie. J’ai été emmenée en fauteuil roulant dans une pièce et mise sous perfusion. J’ai commencé à me sentir beaucoup mieux après la première séance du traitement. Alors que je comptais les six jours, des forces me revenaient. Le jour où j’étais censée mourir, j’ai recommencé à marcher. Même si c’était avec un peu d’aide, c’était un miracle. Les personnes qui ne s’attendaient pas à ce que je me remette pensaient qu’il s’agissait d’une dernière tentative désespérée. Le septième jour, je suis retournée au centre de soins palliatifs pour ma deuxième séance de chimio. Je suis allée seule à la troisième séance en utilisant les transports en commun. Les personnes du centre de soins palliatifs n’arrivaient pas à y croire.

Winnie était trop jeune pour s’inquiéter du coût de son traitement. Elle voulait simplement aller mieux et reprendre ses études pour devenir avocate. Mais elle sait que le traitement dont elle a bénéficié était très cher. Elle dit qu’en tant qu’avocate, elle gagnera assez d’argent pour faire des dons à des patients atteints du cancer, en particulier à des enfants provenant de milieux modestes.

Winnie est membre du Groupe de soutien des patients atteints du cancer de Kisumu. Ce groupe qui a été fondé au Centre de soins palliatifs de Kisumu joue un rôle très important d’écoute et d’accompagnement des patients. Ceux qui viennent ici ont divers besoins. Pour certains, le diagnostic leur a été révélé d’une manière terrible. D’autres sont en situation de déni. Et d’autres encore ont du mal à financer leur traitement.

Au centre de soins palliatifs, j’ai également rencontré Rita Opondo. Rita est enseignante dans le secondaire et elle est responsable du Groupe de soutien des patients atteints du cancer de Kisumu. Elle a subi une mastectomie environ trois ans auparavant. Elle décrit le parcours qui l’a amenée à vaincre le cancer du sein comme « chaotique».

Chaotique car au moment de son diagnostic, elle n’avait aucune idée de la manière dont elle allait financer son traitement. Son médecin lui avait prescrit un traitement « radical » consistant en huit séances de chimiothérapie et cinq séances de radiothérapie. Elle pouvait bénéficier d’une chimiothérapie au centre de soins palliatifs pour 15 000 KSH (environ 150 USD) par séance. Un traitement très cher pour une fonctionnaire comme Rita.

Elle devait se rendre à Nairobi pour bénéficier des séances de radiothérapie. L’Hôpital national de Kenyatta est le seul hôpital public capable d’assurer une radiothérapie au Kenya. Il s’agit d’un hôpital central national qui traite parfois des patients venant d’autres pays d’Afrique de l’Est, et sa saturation est un réel problème.

Je voulais suivre une radiothérapie, mais ici à Nyanza, il n’y en a pas. J’aurais pu aller au Kenyatta (l’hôpital national), mais j’ai imaginé les files d’attente et les pannes des appareils (de radiothérapie) qui se produisent. On me disait parfois d’attendre un mois, alors que la tumeur (dans mes seins) semblait grossir rapidement. J’étais inquiète. Je savais quelles étaient les conséquences (de ne pas bénéficier de ce traitement suffisamment tôt).

Elle envisagea d’aller se faire soigner dans un hôpital privé à Nairobi, mais elle réalisa ensuite qu’elle ne pouvait se permettre de payer le traitement. Rita a eu la chance de trouver un médecin à l’Hôpital Mulago en Ouganda qui pouvait lui offrir le même traitement à un coût plus raisonnable. Elle n’aurait à payer que 150 000 KSH (environ 1 500 USD) en tout.

La radiothérapie ne fut pas très efficace et la mastectomie devint inévitable. Rita exprime sa reconnaissance envers les bons médecins de l’Hôpital Mulago qui ont réussi à faire cette opération qui lui a sauvé la vie alors qu’elle n’avait pas assez d’argent pour la payer.

Rita, toute souriante, était maintenant émue. Le fait de raconter son parcours lui faisait venir les larmes aux yeux.

Elle exprima cependant le désir que le coût du traitement soit raisonnable dans le pays. Elle n’a toujours pas accepté le fait d’avoir dû se rendre en Ouganda pour une procédure qui aurait été dû être faite dans le pays.

C’est un pincement au cœur. Il est dommage que nous ne soutenions pas nos patients autant qu’ils le méritent. À l’époque où je suivais mon traitement, le peu de services offert par notre mutuelle m’avait vraiment sapé le moral. Je suis allé chez AON Minet (la mutuelle pour les enseignants des écoles publiques) et ils m’ont dit qu’ils ne remboursaient pas les traitements contre le cancer. J’ai pleuré. Quand j’ai demandé pourquoi ils m’ont dit qu’il s’agissait « d’une des nouvelles maladies ».

Je suis allée à la NHIF (National Health Insurance Fund, ou Caisse nationale d’assurance maladie) et leur ai demandé quel rôle ils pouvaient jouer dans mon cas. Ils ont dit que, puisque nous avions cessé de traiter avec eux et choisi AON (AON Minet) à la place, ils ne feraient rien pour moi. La personne à qui j’ai parlé était extrêmement impolie. J’ai pleuré. C’était un moment très difficile.

Rita a contracté un emprunt pour payer une partie de son traitement. Un prêt qu’elle n’a pas fini de payer. Sa famille a également participé aux frais. Elle me demande ce qu’il advient des personnes qui ne sont pas fonctionnaires et n’ont pas accès à des prêts ?

Selon les statistiques du ministère de la Santé du Kenya, environ 40 000 nouveaux cas de cancer sont diagnostiqués tous les ans. Plus de la moitié de ces patients décèdent pour cause de diagnostic tardif. Plusieurs autres sont poussés à chercher un traitement à l’étranger en raison de la saturation des hôpitaux publics capables d’administrer un traitement contre le cancer ou le coût élevé du traitement dans des hôpitaux privés. L’Inde reste une destination privilégiée pour des milliers de ces patients.

L’année dernière seulement, les patients kenyans ont consacré environ 10 milliards de KSH (environ 100 millions d’USD) à des traitements du cancer en Inde. Le président Uhuru Kenyatta en a pris acte lors d’un voyage en Inde.

Nous exprimons notre immense gratitude à l’Inde qui a ouvert ses établissements à notre peuple. Plus de 10 000 Kenyans y viennent pour bénéficier de divers traitements médicaux.

Le président Kenyatta espère que des médecins indiens investiront dans des établissements de santé au Kenya et qu’ainsi bien plus de patients atteints de cancer pourront être sauvés. Son propre gouvernement a cependant peu investi dans le traitement du cancer, malgré les chiffres inquiétants des nouveaux diagnostics.

Il est possible de faire passer le nombre d’établissements de 10 000 à bien plus de 100 000 au Kenya. Vous seriez en mesure de tripler votre activité, ce qui serait avantageux pour vous et pour nous.

En attendant, des patients en convalescence tels que Winnie et Rita continueront de défiler dans les rues tous les mois d’octobre, dans l’espoir de sensibiliser davantage à cette maladie qui leur a dérobé une partie de leur corps. En espérant et en priant qu’une telle prise de conscience conduise à une meilleure réactivité des médecins qui feront tout leur possible pour leurs patients et à un système de santé public proposant un traitement abordable du cancer et d’autres maladies mortelles à tous les Kenyans.

Il est déjà suffisamment pénible de subir cette maladie, nous ne devrions pas y ajouter l’angoisse de ne pas pouvoir payer un traitement.

  • Rita Opondo, Groupe de soutien aux patients atteints du cancer de Kisumu.