Ce n’est plus un secret. Une partie de l’armée ivoirienne a choisi la violence pour revendiquer et mieux se faire entendre au sommet de l’État. Un mauvais exemple qui est en train de faire tache d’huile au sein des populations. Lesquelles n’hésitent plus à se faire justice elles-mêmes. Elles font usage désormais, sans sourciller, de la loi du talion comme arme principale.  » Œil pour œil, dent pour dent » où la violence se résout par la violence. Deux faits illustrent et matérialisent ce nouvel état d’esprit dans les localités et villes de Côte d’Ivoire.

Pour mémoire, la journée du samedi 17 février 2018 a été l’une des plus chaudes à Bloléquin, ville située à près de 565 km d’Abidjan. En effet, lors de ce qui s’apparente à un contrôle de routine, un gendarme a mortellement atteint par balle un conducteur de taxi-moto. En réponse, dans une violence rarement vue en Côte d’Ivoire un groupe de jeunes a pris à partie les gendarmes. Un gendarme lynché à mort, la brigade de gendarmerie incendiée, quatorze résidences de gendarmes, les résidences du préfet et du sous-préfet saccagées et pillées, deux véhicules endommagés et quarante-deux motos en fourrière à la brigade de Gendarmerie incendiées ou emportées. Deux morts et trois blessés ont été enregistrés au titre du bilan humain.

Le cas de Bloléquin n’est pas un cas isolé en matière de violence et d’intolérance des populations en Côte d’Ivoire. En effet, quelques jours avant les évènements de Bloléquin, des manifestants en colère avaient déjà incendié la résidence du maire de Soubré, ville située à près de 364 km d’Abidjan. Le maire était, en effet, accusé d’être responsable de l’incendie qui a ravagé le marché central de la ville, le lundi 5 février 2018.

Les populations n’ont plus peur des forces de l’ordre…

À l’analyse, plusieurs raisons expliquent sans pourtant la justifier, la justice populaire à laquelle s’adonnent de plus en plus les populations. Approchés les sociologues l’expliquent par la facilité à avoir accès aux armes en Côte d’Ivoire, l’habitude de la violence, le peu de valeur accordée à la vie humaine et aussi la crise de confiance entre les forces de l’ordre et les populations. C’est cette dernière raison qui à l’analyse du Président de l’observatoire ivoirien des droits de l’homme (Oidh), Éric Semien, est la plus importante en plus de la culture de l’incivisme et de l’esprit anti républicain développé depuis plus de deux décennies. « Les populations n’ont plus peur des forces de l’ordre, parce qu’elles ont perdu tout ce qu’elles représentaient comme symbole. Elles ont été mises à nu. Elles ont été anéanties par dix ans de guerre. Que représentent les institutions de la gendarmerie aujourd’hui aux yeux des Ivoiriens ? Que représentent les institutions de la police, que représente l’armée ? Quand on sait que ce sont d’anciens rebelles, pour beaucoup de citoyens ivoiriens, qui sont entrés dans ces corps aujourd’hui. La perception des Ivoiriens sur ces corps est de plus en plus négative, ce qui fait qu’aujourd’hui ils n’inspirent plus confiance. La conséquence de tout cela est que certains citoyens tentent, autant que possible, de s’en prendre à ces corps pour se rendre justice eux-mêmes, car étant convaincus que ces corps ont un parti pris, qu’ils sont instrumentalisés ou qu’ils sont à la solde du pouvoir », déplore le Président de l’observatoire ivoirien des droits de l’homme. Un avis que partagent beaucoup d’autres acteurs de la société civile pour qui le seul responsable de cette situation dangereuse pour la paix et la stabilité nationales reste l’État qui semble avoir perdu son autorité vis-à-vis des populations et des forces de l’ordre.

Agir pour la paix dans la fermeté, mais aussi dans la formation

Certes, le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, Sidiki Diakité dans un communiqué relatif aux incidents survenus à Bloléquin a assuré que les auteurs de ces violences seront poursuivis et traduits devant les tribunaux, à l’issue d’une enquête ouverte pour déterminer les circonstances exactes de la survenue des incidents.

Mais il est du devoir et de la responsabilité de l’État de travailler à l’apaisement. Pour ce fait, il convient de suggérer que la loi soit appliquée, mais avant d’aller à la punition, il est au même moment urgent de renforcer les capacités des forces de l’ordre et de sécurité sur l’évolution de leurs rôles au service d’une population de plus en plus nombreuse et exigeante.

Pour y parvenir, l’état devrait peut-être reconnaitre que les rôles et les responsabilités de ces forces de défense et de sécurité ont évolué dans un contexte d’insécurité globale dans la sous-région. Des solutions et des expériences nouvelles s’offrent aux autorités de la sous-région avec des institutions telles que l’École de Maintien de la Paix d’Alioune Blondin Beye du Mali et le Centre International de formation au Maintien de la Paix Kofi Annan du Ghana. Les règles d’engagements, le Droit Humain (DH), la Protection des Civiles et la Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS), etc. sont les grands piliers qui devront être renforcés chez les agents des forces de l’ordre et de sécurité.

Aussi le concept de police de proximité apparu en Allemagne en 1990 en cours dans de nombreux pays pourrait aider l’État à endiguer ces incidents en renforçant la confiance entre la communauté et la police. La fondation allemande Hanns Seidel accompagne déjà dans la sous-région des pays comme le Togo et le Bénin à la mise en place d’une police de proximité.