Interdite par la loi, la pratique de l’avortement est devenue un marché lucratif. L’interruption volontaire de grossesse (IVG) est pratiquée clandestinement par des tradipraticiens et des médecins généralistes, qui en ont fait un gagne-pain. Des personnes non qualifiées pour cet acte le pratiquent à longueur de journée et exposent les patientes à des complications graves, voire mortelles.

Les jeunes filles ou femmes qui ont eu recours à un avortement gardent le silence. Elles évoquent très rarement leur expérience, car l’avortement est un sujet tabou, réprimé par la loi, par la société et les religieux. Les jeunes filles enclines à l’avortement clandestin le font pratiquement toutes pour les mêmes causes : le déni de la grossesse par le partenaire, le poids des normes sociales et/ou le manque de ressources financières.

« Quand j’ai annoncé ma grossesse à ma mère, elle était anéantie. Comme moi, elle craignait la réaction de mon père. Son mariage allait certainement en pâtir. Je me suis fait avorter et, plus tard, j’ai fait croire à ma mère que mes menstrues étaient venues. Je culpabilise, chaque jour, je fais des demandes de messe pour solliciter le pardon divin », témoigne Coraly, qui a avorté à l’âge de 20 ans.

Interdire n’est pas prévenir

Si aucune estimation sur le taux national d’avortement n’est disponible en Côte d’Ivoire, des études indiquent que la pratique de l’avortement est répandue. En 2018, l’étude PMA2020 (Performance Monitoring and Accountability 2020) a conduit une étude pour produire des indicateurs de l’incidence et des conditions de recours à l’avortement en Côte d’Ivoire. Elle a révélé que 4 à 5 % des femmes en âge de procréer ont eu un avortement potentiel dans les 12 mois précédant l’enquête, soit entre 210 000 et 288 000 avortements par an en Côte d’Ivoire.

Et pourtant, le Code pénal ivoirien, en son article 366, punit l’avortement d’un à cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 150 000 Fcfa à 1 500 000 Fcfa (environ 230 à 2270 euros). Comme dans la plupart des pays africains, en Côte d’Ivoire l’opinion publique est catégorique : l’interruption volontaire de grossesse (IVG) doit rester un acte puni par la loi.

Seulement ceux qui, au cours de leur vie, ont connu une personne qui est morte durant un avortement clandestin osent donner un avis contraire.

« Personnellement, je suis contre l’avortement et en plus ma religion l’interdit. Mais, de mon regard de médecin, des filles laissent leur vie dans les tentatives d’avortement clandestin. Or, les autorités ne sont pas suffisamment regardantes sur cela. Un cas : j’ai perdu une amie, il y a trois ans. Elle m’a demandé de l’aider à faire passer sa grossesse parce qu’elle avait peur de son papa. Je lui ai demandé de laisser, mais elle est allée chercher de l’aide ailleurs et elle est restée dedans. Donc, après maintes réflexions, je suis un peu d’accord pour qu’on légalise en encadrant bien cette pratique par des textes de loi », raconte Jean-Baptiste, jeune médecin en fonction à Abidjan.

Si l’accès à la planification familiale est un droit fondamental, de nombreuses femmes et les jeunes filles ne sont pas encore en mesure de l’exercer. Et pour cause, les produits et les services de planification familiale ne sont pas à des prix abordables et accessibles à tout le monde.

De nombreuses jeunes filles sexuellement actives, qui souhaitent repousser le moment d’avoir des enfants, affirment ne pas utiliser de moyens contraceptifs, malheureusement. Ce qui participe davantage à accroître les risques de grossesses non désirées et le recours aux avortements pratiqués dans de mauvaises conditions de sécurité.

La Côte d’Ivoire ne dispose pas pour l’heure de loi sur la santé de la reproduction. L’avant-projet de loi du gouvernement relatif à la « santé sexuelle et de la reproduction » a été confronté à une vive opposition de l’Église catholique en 2018. En attendant que le politique et le religieux parviennent à accorder leurs violons, le fléau de l’avortement clandestin perdure et fait des ravages.

Crédit photo : Ben_Kerckx via Pixabay