Ce mardi 23 janvier marque la reprise du procès du député maire de Dakar Khalifa Sall, après deux renvois en date du 14 décembre 2017 et 03 janvier. Cette reprise est principalement marquée par la constitution de la ville de Dakar comme partie civile dans cette affaire conformément à la délibération du Conseil municipal du lundi 15 janvier 2018 avec Maitre El DIOUF et 03 autres avocats constitués avocats de la Ville. La question relative à la comparution des témoins était soulevée lors des débats du 03 janvier et revient sur la table dès l’ouverture.

Qui pour témoigner à la barre

Dès l’ouverture de l’audience, le parquet et la partie civile (Etat) soutiennent que la défense n’a pas le droit de citer des témoins au vu de la loi sénégalaise. Les débats tournent autour de la possibilité ou non pour la défense de citer des témoins. Maitre Doudou NDOYE avocat de la défense demande au juge d’accepter la citation des témoins et invoque l’article 431 du code de procédure pénale qui dispose « Parmi les témoins cités, ceux qui sont produits par les parties poursuivantes sont entendus les premiers, libres pour le président de régler lui-même souverainement l’ordre d’audition des témoins. Peuvent également, avec l’autorisation du tribunal, être admises à témoigner les personnes proposées par les parties qui sont présentées à l’ouverture des débats sans avoir été régulièrement citées ».

Pour trancher cette question le tribunal accepte le droit à la défense de faire citer des témoins durant le procès, mais en fixe le nombre à 20 témoins au lieu des 70 présents sur la liste de la défense déjà déposée.
Dualité de partie civile : quelle place pour l’Etat ?

« Il n’y a plus de tutelle entre l’État et les collectivités locales. L’État a juste une mission de contrôle ». Me Ciré Clédor Ly, avocat de Khalifa Sall.

Pour l’agent judiciaire de l’Etat Maître Antoine Diome cette demande de la Ville de Dakar doit être rejetée par le juge du fait que le Préfet de Dakar a demandé une seconde lecture de la délibération conformément à l’Article 243 du Code Général des collectivités locales. Le Ministère public aborde dans le même sens que l’agent judiciaire de l’état et demande le rejet de la constitution de partie civile de la Ville de Dakar. Ces arguments sont battus en brèche par les avocats de la défense.
Maitre Khasimou Touré, justifie la recevabilité de la constitution de partie civile de la Ville de Dakar et invoque l’article 229 du Code général des Collectivités locales qui dispose « Le conseil de la collectivité locale délibère sur les actions à intenter ou à soutenir au nom de la collectivité locale. » Maitre Mbaye SENE avocat de la défense note une mauvaise interprétation de l’article 243 du code général des collectivités locales qui a un caractère limitatif, car il dispose en son alinéa 2 « Sont concernés par ces dispositions les actes suivants :

– les délibérations des conseils ou les décisions prises par délégation des conseils ;

– les actes à caractère réglementaire pris par les collectivités locales dans tous les domaines qui relèvent de leur compétence en application de la loi ;

– les conventions relatives aux marchés ainsi que les conventions de concession ou d’affermage de services publics locaux à caractère industriel ou commercial ;

– les décisions individuelles relatives à la nomination, à l’avancement de grade ou d’échelon d’agents des collectivités locales ;

– les décisions individuelles relatives aux sanctions soumises à l’avis du conseil de discipline et au licenciement d’agents des collectivités locales.

Ces actes sont exécutoires de pleins droit, quinze jours après la délivrance de l’accusé de réception, sauf demande de seconde lecture de la part du représentant de l’Etat, et après leur publication ou leur notification aux intéressés. Ce délai de quinze jours peut être réduit par le représentant de l’Etat à la demande du président du conseil départemental ou du maire. » Me Moussa Diop, qui intervient pour la défense également, estime pour sa part qu’un refus du tribunal de la constitution de partie civile serait « une façon de préjuger du préjudice subi par la partie en question, avant même les débats au fonds ». Les avocats de la défense estiment par ailleurs que la demande de seconde lecture adressée par le préfet au Conseil municipal de Dakar ne doit pas s’imposer au juge. Dans le cas contraire, celui-ci serait « obligé alors de surseoir à ce procès jusqu’à ce que la seconde relecture demandée soit acceptée par le préfet de Dakar », poursuit Me Moussa Diop. Quant à Me Francois Sarr, il plaide le « bon sens » qui aurait dû, selon lui, commander au tribunal de convoquer la Ville si celle-ci ne s’était pas présentée d’elle-même comme partie civile.

Nous avons eu droit pour clore cette première journée à un cours magistral de Me Doudou Ndoye pour qui:

  1. L’instruction ne s’est pas fait dans les règles de l’art,
  2. l’Assemblée Nationale n’a pas levé l’immunité parlementaire de Khalifa Sall,
  3. L’agent judiciaire de l’Etat n’a pas le droit de se constituer

« Nous les anciens étudiants en droit, on nous a enseigné que L’Etat n’existe que par les lois, que par la constitution. Dans cette affaire, c’est l’histoire de notre pays qui connaît un autre tournant, car je croyais qu’au Sénégal, on a fini avec un Etat totalitaire, mais c’est dommage. Le dossier de Khalifa Sall a été bousculé en un temps record. Notre justice ne mérite pas cela ». La nation, c’est notre histoire commune, l’État, ce sont les textes et en premier la Constitution.

Sur ces mots la séance a été suspendue et rendez-vous est pris pour ce mercredi.