Lorsque j’ai rédigé cet article, je venais de terminer la lecture d’un document de Scott O. Lilienfeld, intitulé « How can skepticism do better?“, dans lequel il note que :

Le grand psychologue suisse spécialiste du développement, Jean Piaget, a présenté un certain nombre d’informations erronées ; par exemple, il surestime très certainement les capacités cognitives des enfants dans de nombreux domaines. Néanmoins, Piaget a transmis une idée cruciale qui résiste à l’épreuve du temps : Sur le plan psychologique, les enfants ne sont pas des adultes miniatures (Lourenço et Machado, 1996). Ils conceptualisent le monde de manières notablement, peut-être qualitativement, différentes des nôtres.

Le fait que les enfants ne soient pas des « adultes miniatures » introduit ce qui semble être l’un des principaux obstacles pour savoir ce qui est bien dans ces cas : il est difficile de respecter l’autonomie personnelle d’un enfant car il est très difficile de savoir ce qu’est un choix authentique.

Cela n’est pas seulement dû aux problèmes évidents de l’âge, de la maturité et du moment où le consentement informé est possible, mais aussi au fait que les facteurs sont évalués dans le cadre d’une conversation complexe et émotionnelle.

Comme (je pense) Nick Cohen l’a dit dans l’un de ses articles, les normes sociales et l’orthodoxie se déplacent, et la norme aujourd’hui peut être l’hérésie de demain. Par exemple, une féministe pourrait à une époque avoir adhéré sans problème à l’idée des deux genres, alors qu’aujourd’hui la même position pourrait vous exclure et vous qualifier de manière péjorative de « TERF » (Trans-Exclusionary Radical Feminist, Féministe radicale excluant les Trans).

Un autre exemple de la conversation houleuse ici – comme d’habitude, le débat est encore pire dans les médias sociaux – concerne le qualificatif « transtrender », qui signifie que vous faites semblant d’être trans car vous pensez que c’est cool d’être trans. Mais qu’en est-il si vous êtes trans, mais que vous êtes entourés d’abrutis qui s’érigent en juges et qui pensent que vous faites semblant ?

Je donne ces exemples pour présenter l’argument simple selon lequel des facteurs comme ceux-ci (et bien sûr, tous ceux qui sont plus évidents comme la dysphorie de genre elle-même) signifient que la conversation peut être déroutante, et que les décisions prises par l’enfant, les parents et même le personnel soignant pourraient être indument influencées par les conventions actuelles, plutôt qu’uniquement par le bien de l’enfant.

Donc voici le premier problème éthique qui se pose à mon sens : la détresse que vous éprouverez sera fortement influencée par ce que vos conditions environnementales estiment être normal. Si la dysphorie de genre est considérée comme une identité indépendante à part entière, il est alors plausible que le besoin de traitement perçu diminue, car vous seriez soumis à une stigmatisation et des préjugés relativement moins importants que dans un monde où la dysphorie n’est pas reconnue.

De plus, de nombreux enfants ayant une dysphorie de genre perdent leur dysphorie une fois à l’âge adulte. Les environnements dans lesquels la dysphorie de genre est reconnue, et non considérée comme problématique par défaut, génèreraient probablement moins de pression à intervenir médicalement et éviteraient donc un certain nombre de faux positifs et de traitements inutiles.

C’est donc le premier problème : il est difficile de savoir si une intervention est requise, et dans quelle mesure.

Le deuxième problème est le consentement éclairé : il a été établi que le développement de notre cerveau concernant les compétences comme le calcul du risque n’était pas encore achevé avant le début de la vingtaine. Effectuer des changements permanents – par exemple une opération chirurgicale de changement de sexe – semblerait généralement malavisé dans le cas d’enfants (en particulier si l’on considère que la dysphorie peut s’atténuer à mesure que l’enfant grandit).

Mais d’un autre côté, nier l’autonomie d’un enfant ou d’un adolescent (en lui refusant le traitement de suppression hormonale par exemple) pourrait bien mener à des résultats plus graves ultérieurement, et la même chose pourrait être vraie pour la chirurgie.

Ces issues négatives pourraient non seulement inclure les facteurs de stress sociaux prévisibles (relations familiales, sentiment de se voir refuser le choix), mais aussi essentiellement, un écart croissant entre la façon dont vous vous sentez et ce à quoi vous ressemblez, à mesure que le corps grandit de la « mauvaise » façon. Le problème néanmoins est que je ne pense pas qu’il existe ici de solution politique universelle. Comme pour toute autre question médicale difficile, comme l’euthanasie, des recherches supplémentaires seront nécessaires avant de pouvoir prendre les bonnes décisions (ou des décisions aussi bonnes que possible).

À titre de point de départ, je dirais que les évaluations individuelles, avec un panel d’experts objectifs, et le counseling extensif à l’enfant et aux parents sont nécessaires pour établir si le traitement hormonal doit être ou non administré.

Le problème est que bien sûr, les normes culturelles dominantes et les perspectives théoriques sur ce qu’est le genre (etc.) vont influencer cette décision, tel que noté ci-dessus – nous allons donc trouver différentes attitudes face au traitement, et donc différents niveaux de souffrance, selon les cultures et les époques (à mesure que les sociétés progressent ou régressent, ou changent tout simplement).

Je voudrais placer la barre encore plus haut pour la chirurgie, qui doit en général (je suis sûr qu’il existera des exceptions justifiées) être exclusivement le résultat d’un choix fait par un adulte ayant atteint la majorité légale (bien que cela ne signifie pas nécessairement mature sur le plan cérébral mentionné plus haut, c’est néanmoins le moment auquel les individus sont légalement autorisés à faire des choix – qu’ils soient bons ou mauvais).

Je ne pense pas que quiconque puisse affirmer savoir de façon fiable le genre d’un individu de 5 ans, et encore moins de 2 ans. La chirurgie doit donc être généralement motivée par des préoccupations de santé avant tout, par exemple dans le cas de cette Australienne de 5 ans, dont la chirurgie a été approuvée en partie parce que les gonades mâles qu’elle avait pouvant entraîner des tumeurs ultérieurement au cours de sa vie.

En conclusion, nous devons faire le maximum pour déterminer quelles sont les préférences éclairées de l’enfant, et cela requiert d’avoir conscience du fait que cette conversation est profondément influencée par les normes actuelles, en particulier lorsqu’il existe un problème nécessitant une intervention médicale.

Si l’on juge de manière réfléchie que quelque chose doit être fait, l’intervention doit être aussi minime que possible pour atténuer le stress actuel, et la chirurgie plutôt que les hormones serait généralement malavisée, si l’on garde à l’esprit que la situation peut changer après la puberté dans n’importe lequel des cas.

(P.S. : Le lendemain de l’envoi par e-mail d’une version de l’article ci-dessus à mon ami, j’ai entendu le Dr Eve parler à Eusebius McKaiser sur Cape Talk et Radio702 de ces mêmes sujets. Le podcast de leur conversation est disponible sur le site internet de 702).