Je n’ai jamais été excisée.

Je n’ai à ma connaissance aucune amie excisée ou qui a connu une quelconque mutilation génitale. Si l’une d’entre elles est passée par cette terrible épreuve, elle ne m’en a jamais parlé. J’avais 20 ans lorsque j’ai entendu parler des mutilations génitales pour la première fois. La vérité est que j’en ai peut-être entendu parler avant, mais tout cela était tellement loin de ma réalité que mon cerveau n’a pas enregistré l’information.

La première fois que j’ai entendu une victime de l’excision parler de ce par quoi elle est passée, j’avais 29 ans. Son nom est Khadija Gbla, originaire de Sierra Leone. J’ai regardé son TEDx Talket pendant 18 minutes et 40 secondes, mes jambes sont restées serrées l’une contre l’autre, comme collées à tout jamais. Je me voyais plaquée au sol, une femme tenant une lame dans sa main, me demandant de me tenir tranquille. J’entendais ma voix, mes cris, mes supplications alors que Khadija me racontait son histoire.

Sur ces images que produisaient mon cerveau, j’avais 29 ans. Personne n’est excisé à 29 ans. La plupart du temps, les filles victimes de mutilations génitales ont 2, 3, 5 ans. Malgré l’immense douleur que je ressentais en écoutant Khadija, mon être entier refusait d’imaginer une petite fille subissant un tel acte. La réalité est parfois horrible. Dégoûtante. Difficile à accepter. Difficile à imaginer. Exciser un bébé avec une lame, enlever une part de ses parties génitales « pour son propre bien ». C’est horrible. Barbare. Mais ça arrive tous les jours dans de nombreux pays à travers l’Afrique.

8 mars, journée internationale des droits de la femme. Cette année, j’ai vécu la journée différemment des autres années. Pour la première fois j’ai assisté à un événement : le lancement du Mouvement des Grandes Sœurs (Big Sister Movement). Ce mouvement rassemble 10 femmes africaines vivant en Afrique et ailleurs, qui travaillent dur individuellement et à travers des associations communautaires pour le bien-être des filles et des femmes. Ces 10 femmes luttent sans relâche contre les mutilations génitales, mais aussi contre les mariages précoces.

Des femmes qui s’engagent à n’avoir aucun repos jusqu’à ce que tous les pays d’Afrique et d’ailleurs soient dotés de lois interdisant clairement les mutilations génitales et les mariages précoces. N’est-ce pas beau ?

En bref, le Mouvement des Grandes Sœurs est une coalition d’organisations communautaires créées en majorité par des femmes ayant subi des mutilations génitales. Je dois avouer qu’avant cet événement je ne connaissais pas ces femmes. Je n’avais jamais entendu parler d’elles, mais grâce à Google, j’ai appris de nombreuses choses intéressantes sur leurs activités et leurs réalisations en tant qu’activistes se battant pour les droits des filles et des femmes. Elles sont originaires de Gambie, de Sierra Leone, du Nigeria, du Kenya et de la Somalie. Bien qu’ayant connu l’excision, elles n’en ont pas fait la fin de leur vie : elles sont étudiantes, cadres, directrices de programmes et dirigent de nombreuses formidables initiatives. Elles ont individuellement prouvé qu’elles sont capables de changer le cours des choses grâce à leur travail et leurs activités de plaidoyer.

Originaire du Nigeria, Gift Abu est l’une des Grandes Sœurs. C’est une ancienne sage-femme de l’État de Cross River au Nigeria. Voyant les difficultés rencontrées par les jeunes mères de sa communauté lorsqu’elles accouchaient, Gift a commencé à faire campagne avec son mari Abu pour mettre fin aux mutilations génitales, des pratiques courantes bien qu’interdites. Utilisant son temps et son argent, Gift est allée à la rencontre de différentes communautés pour informer les chefs traditionnels, les parents et les jeunes des méfaits des mutilations génitales. Aujourd’hui son travail de sensibilisation se fait dans le cadre des activités de son œuvre caritative CESVED.

Tout comme les 9 autres sœurs, Domtila Chesang peut être érigée en exemple. Domtila est une jeune militante qui travaille avec l’organisation communautaire Beyond FGM à West Pokot au Kenya. Elle a voyagé à travers sa région et le pays tout entier pour parler aux communautés des dangers de l’excision. Le travail de Domtila a conduit à l’éradication complète de l’excision dans son village natal.

Vous vous demandez sans doute pourquoi ces femmes toutes originaires de pays anglophones ont choisi le Sénégal pour lancer leur initiative. La raison est très simple. Le Président du Sénégal, Macky Sall, est membre du mouvement He for She et s’est engagé à lutter pour l’égalité des genres. Bien que le nom du nouveau mouvement soit Mouvement des Grandes Sœurs, le but n’est pas d’exclure les hommes. Au contraire, les sœurs souhaitent que les hommes cheminent à leurs côtés pour que les choses changent pour le meilleur, comme l’a joliment résumé le Dr Kouyate, présent à l’événement.

Et si l’éradication des mutilations génitales était entre les mains de ces 10 femmes ? Et si le fait de se rassembler leur permettait de réaliser le but ultime de chacune de leur initiative, l’éradication des mutilations génitales à travers le monde d’ici à 2030 ? Et si nous montrions aux sœurs qu’elles ne sont pas seules dans ce combat, que nous aussi souhaitons que les petites filles ne soient plus excisées, qu’elles ne souffrent plus des conséquences d’un tel acte jusqu’à la fin de leur vie ? Et si, comme ces 10 femmes ensemble, nous nous battions pour que les choses changent pour le meilleur ?