La plus grande confédération syndicale du Zimbabwe, le Congrès zimbabwéen des syndicats (ZCTU) a indiqué que le thème des commémorations de la Fête du travail de 2019 serait le suivant  : « Nous nous trouvons à la croisée des chemins ! Unissez-vous, luttez contre le néo-libéralisme et l’austérité ».

Ce thème est pour le moins radical. Il est aussi clairement idéologique en ce qu’il remet directement en cause la trajectoire politique des réformes économiques de marché libre que suit le gouvernement de Mnangagwa. Même si cette remise en cause n’est qu’une déclaration d’intention.

Si nous attendons encore leurs discours du premier mai et les suivants pour savoir ce que les dirigeants du ZCTU présenteront comme alternative, ce point de départ est néanmoins important.

Ce qui ne veut pas dire que des alternatives n’aient pas déjà été présentées par la société civile œuvrant pour la défense des droits des travailleurs et des droits humains. Plusieurs exemples nous viennent à l’esprit. Par exemple, les résolutions en 1999 de la « National Working People’s Convention » (Convention nationale des travailleurs) qui a non seulement chargé le ZCTU de constituer un parti des travailleurs mais qui a également qualifié les valeurs démocratiques sociales de remède pour résoudre les problèmes économiques du pays. On peut également citer la Zimbabwe People’s Charter (la Charte du peuple zimbabwéen) qui a clairement cherché à définir un plan global et idéologique indiquant comment le pays devait être gouverné sur la base de valeurs démocratiques idéologiques davantage orientées à gauche.

Il ne s’agit que de quelques exemples, il en existe d’autres mais dont la perspective était moins politico-économique ; oudont la perspective confirmait la vision néolibérale et austère que le gouvernement actuel met en œuvre ; ou qui s’attachaitplus particulièrement à chercher à remplacer les personnalités/exécuteurs du même modèle idéologique dumarché libre afin de correspondre aux intérêts de la financiarisation mondiale du capital ; ou qui se fondait sur des hypothèses d’après-guerre froide de « fin de l’histoire » et estimait à tort que le capitalisme était vaincu par la classe ouvrière et les pauvres.

Mais cela ne veut pas dire que le capitalisme tel que représenté aujourd’hui par le néolibéralisme mondialisé est à genoux, en attendant sa disparition. Au contraire, c’est parfois quand il semble le plus faible qu’il se transforme et se réinvente. La crise financière mondiale de 2008 illustre ce point. Il s’est réinventé par le biais d’un faux populisme ou du recours direct à la force (et ce dans la majorité des cas, voir la réémergence des rôles politiques de l’armée par le biais de coups d’État-non-coups d’État). Même si en théorie, nous sommes encore tentés d’avancer que le capitalisme reste confronté à ses propres contradictions pour reprendre des termes marxistes.

C’est pourquoi le fait que le ZCTU demande avec audace au peuple zimbabwéen de s’unir contre l’austérité n’est pas une tâche facile.  C’est un réquisitoire accablant contre les politiques économiques mises en œuvre par le gouvernement.

Comme souvent, la riposte dans les commentaires des médias sociaux et des médias grand public consistera et consiste déjà en moqueries selon lesquelles le Zimbabwe n’a plus de « classe ouvrière » et encore moins d’industrie pour la maintenir.  Ces commentaires seraient justes si nous ne connaissions pas le contexte idéologique dans lequel ils naissent. Ceux qui écrivent ces commentaires sont presque tous des partisans actifs des politiques économiques du marché libre et préfèrent souvent un retour au passé vers une économie dirigée par une minorité ou les années désastreuses de l’ajustement structurel économique (ESAP). Cette dernière option étant dans notre cas contemporain ce que nous pouvons maintenant désigner sans risque comme un « ESAP 2.0) suite à l’engagement du gouvernement de suivre la voie de l’austérité.

Ils préfèrent probablement cela plutôt que de tirer des leçons du passé et réinventer une économie politique nationale centrée sur les travailleurs.

Il est important, par souci de clarté, que nous comprenions ce que signifie être un travailleur au Zimbabwe, les défis socio-économiques (hégémoniques) auxquels sont confrontés les travailleurs, et comment lutter sans relâche pour surmonter ces obstacles.

Pour commencer par le premier point, être un travailleur au Zimbabwe, c’est faire partie de ce que le ZCTU a déjà décrit comme les « travailleurs du Zimbabwe ». Ils appartiennent essentiellement à une classe : à savoir la classe des travailleursqui inclut maintenant non seulement les travailleurs qui occupent des emplois formels et ceux qui sont syndiqués, font partie des syndicats/associations de fonctionnaires, mais aussi les paysans, les travailleurs agricoles et ceux qui sont considérés comme relevant du commerce informel en tant que « vendeurs ».

Si l’on définit les travailleurs de manière aussi large, il est important de comprendre qu’à chaque moment important, le marché libre et ses défenseurs, qui prennent la forme d’acteurs étatiques et du capital privé, ont également travaillé dur pour affaiblir la capacité des travailleurs à s’organiser sous la forme de syndicats et d’associations robustes, ou pour au moinssaper leur capacité à croire en l’importance et en l’utilité de l’action collective et surtout de la solidarité collective.

C’est à ce niveau que le deuxième point lié aux défis socio-économiques auxquels sont confrontés les travailleurs du Zimbabwe est significatif. A cet égard, l’individualisme de plus en plus présent et la compréhension de moins en moins claire de l’importance du bien public au-delà de son intérêt personnel signifient que les actes de solidarité et la compréhension de celle-ci sont non seulement devenus rares mais qu’on s’attend aussi à ce qu’ils ne soient entrepris que par le capital privé. Et seulement dans les cas les plus extrêmes comme les catastrophes naturelles ou celles provoquées par l’homme.

Et ce, en dépit de ce que devrait être la réalité politico-économique selon laquelle il incombe d’abord à l’État de prendre soin de ses citoyens.

Ce qui entraîne immédiatement un autre défi socio-économique auquel sont confrontés les travailleurs. Celui d’être essentiellement abandonnés à leur sort. Alors que l’État devrait être le garant et le prestataire des services sociaux, il a encore une fois sous-traité ces services au secteur privé et ne montre aucun signe de changement de stratégie. Cette stratégie est au cœur du néolibéralisme et de l’austérité. C’est la volonté de supprimer le rôle de l’État à l’exception de l’excuse des élections régulières/la démocratie et du maintien du contrôle de la violence/force étatique (services de sécurité). Tout en laissant les salaires des travailleurs être déterminés par le « marché », tout comme les prix d’autres biens de première nécessité qui sont essentiels mais inaccessibles au regard des moyens de subsistance des travailleurs.

La dernière considération est de s’assurer que ce nouvel appel du ZCTU à remettre en cause les politiques d’austérité et le néolibéralisme ne favorisera pas le populisme. Une stratégie immédiate des travailleurs du Zimbabwe pourrait consister àdéfinir l’alternative aussi clairement et de façon aussi centrée sur le peuple que possible. Non pas de façon dogmatique en nous fondant sur un cadre idéologiquement pur mais sur un cadre contextuel qui prenne en compte les évènements et les documents/déclarations liés aux luttes historiques des travailleurs, mais qui refuse la justification abstraite de la pauvreté qui accompagne le néolibéralisme.

Et ces nouveaux cadres informés par l’histoire et l’actualité doivent être présentés aux jeunes travailleurs et Zimbabwéens pour qu’ils comprennent la valeur démocratique d’un État centré sur le peuple qui donne à chacun la même chance et le même départ dans la vie. Quels que soient la situation de nos parents ou autres formes d’héritage. Tout cela en comprenant clairement qu’en définitive, nous sommes tous égaux au sein de l’État et aux yeux de l’État. Un État qui devrait être fondé, comme c’était le cas lors de l’indépendance nationale, sur une démocratie sociale, au moins doté d’une justesse idéologique et au mieux d’une conscience nationale sociale-démocrate naturelle. Autant d’éléments trahis par une révolution qui, comme l’a écrit Andre Astrow, s’est égarée.