L’un des sujets brûlants au cours de l’Assemblée générale des Nations unies à New York en 2019, la question du changement climatique, comptait encore une fois au nombre des sujets qui occupaient une place importante. Les dirigeants mondiaux ont parlé des nombreuses manières dont le changement climatique nous affectera, menaçant la sécurité de nos maisons, la prospérité de nos moyens de subsistance et les aliments mêmes que nous consommons. Par exemple, le changement climatique affecte l’agriculture à bien des égards, notamment les changements des températures moyennes, des précipitations et de la production agricole.
En raison de ses vastes terres arables et sols fertiles, l’Afrique est depuis longtemps connue comme un continent ayant la capacité de subvenir aux besoins alimentaires du monde. Cette réalité est cependant remise en question par le changement climatique. Les variations du climat affectent le cycle de production agricole et menace la capacité de cultiver des aliments de l’Afrique.
La culture du maïs est celle qui nourrit la majeure partie de l’Afrique. Les Kenyans l’appellent Ugali, les Ougandais l’appellent Posho, les Zimbabwéens l’appellent Sadza, ailleurs en Afrique australe ils l’appellent anima. D’autres encore l’appellent ngima, obusuma, kimnyet, nshima, mieliepap, phutu, et bien d’autres noms encore. C’est un aliment de base dans la majeure partie de l’Afrique subsaharienne.
La croissance et la production du maïs sont menacées par de nombreux facteurs. Ce processus n’est cependant pas inévitable. Nous pouvons encore agir pour le ralentir ou le stopper. Une organisation en Ouganda pourrait avoir trouvé une solution à bon nombre de ces problèmes. Le National CropsResourcesResearch Institute, Namulonge (NaCRRI) travaille à augmenter la croissance et la productivité des cultures de maïs. Cette solution a fait l’objet d’un test pilote en Ouganda mais est également étendue à d’autres pays.
Je me suis entretenu avec JonanTwinamatsiko, le responsable de l’équipe du Ugandan TELA Maize Project OutreachTask Force, quant au travail qu’ils font pour utiliser des ressources naturelles afin de lutter contre la crise alimentaire et climatique.
L’Ouganda effectue un travail essentiel pour créer des tendances favorables à une Afrique durable. Dites-nous brièvement ce que vous faites.
Étant donné que la croissance de la population de l’Afrique et de l’Ouganda poursuit sa trajectoire ascendante, la demande d’aliments a considérablement augmenté ces dernières années.L’Ouganda compte 40 millions d’individus aujourd’hui et sa population devrait franchir la barre des 100 millions d’ici 2050. La sécurité alimentaire est menacée non seulement par la croissance de la population mais aussi par les effets du changement climatique, les sécheresses fréquentes, les insectes nuisibles et les maladies, entre autres choses. L’Ouganda dépend dans une large mesure de l’agriculture pluviale. La production alimentaire, essentiellement des petits agriculteurs, est également menacée par des régimes de précipitations plus imprévisibles.
Les chercheurs, dans le cadre du NARO ont appliqué des techniques de biotechnologiemodernes pour développer des variétés de culture résistantes et tolérantes aux effets du changement climatique. Au NaCRRI, les chercheurs ont développé, dans le cadre du projet TELA, une variété de maïs tolérante à la sécheresse et davantage résistante aux principaux insectes nuisibles au maïs, tels que la chenille légionnaire d’automne et la pyrale du maïs. De plus, cette variété de maïs pourrait augmenter le rendement des agriculteurs. La recherche sur le maïs fait partie des groupes d’étude les plus importants sur les cultures prioritaires clés comme la banane, le manioc, le riz, la patate douce – pour lesquelles les scientifiques ont décidé d’utiliser des outils de génie génétique modernes afin de traiter les problèmes non résolus pour lesquels les approches conventionnelles ne fonctionnent plus.
Dans l’espoir d’accélérer les transferts de technologie, je complète les efforts d’autres scientifiques enthousiastes pour démystifier la biotechnologie, dissiper les mythes et les conceptions erronées et communiquer des informations émanant de sources fiables aux décideurs politiques, aux utilisateurs des technologies et au public en général.Je plaide pour l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes, en particulier quand les législateurs élaborent des politiques sur des sujets techniques.Dissiper les mythes et les conceptions erronées accroît la confiance dans les établissements de recherche, renforce l’acceptabilité de la technologie et modifie progressivement les perceptions et attitudes du public à l’égard des nouvelles technologies. L’important manque de connaissances a créé un environnement favorable permettant aux activistes de désinformer et d’induire en erreur le public dans presque tous les domaines émergents et en particulier la biotechnologie. Cela étaye la nécessité pour les scientifiques et les communicants en sciences de s’exprimer et de défendre la science, sinon les communautés défavorisées seront privées de la science.
Les statistiques concernant la nutrition en Ouganda dressent un sombre tableau ; 40 % des jeunes enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition. Le travail que vous faites essaient de prévenir cela. Pouvons-nous atteindre des taux de malnutrition nuls ?
La malnutrition reste un problème majeur mais je suis certain que grâce à l’application des outils scientifiques, nous pourrions enregistrer des réussites potentiellement incroyables pour remédier à ce défi. En Ouganda, la plupart des communautés servent rarement des aliments nutritifs dans leurs assiettes au quotidien. Les cultures locales les plus appréciées ne sont pas très nutritives. Les nourrissons sont les plus affectés, plus de 33 % des enfants de moins de cinq ans souffrant d’un retard de croissance (petite taille pour leur âge) et presque la moitié (49 %) souffrant d’anémie. Grâce à des efforts et des investissements durables dans la nutrition, l’Ouganda pourrait ne plus connaître la malnutrition dans un avenir proche.
Il est également important de noter que, dans le cadre de NARO, les scientifiques ont réorienté leurs recherches sur les améliorations des composantes nutritives, en ajoutant des compléments de vitamine A, de fer et de zinc aux cultures favorites comme la banane, le riz et le manioc. Au National ResearchLaboratories, Kawanda, les chercheurs ont augmenté les teneurs de provitamine A (un précurseur de la vitamine A) dans la banane ; ce qui signifie que si les agriculteurs avaient accès à ces variétés de banane, davantage de personnes consommeraient des aliments plus riches en vitamine A, en particulier du fait de la consommation élevée de bananes en Ouganda. À Namulonge, les chercheurs qui travaillent sur le manioc augmentent également les teneurs en fer et en zinc de la culture du manioc très appréciée dans le pays.
Le changement climatique est un sujet dont tout le monde parle dans la sphère du développement. L’organisation pour laquelle vous travaillez produit des cultures résistantes aux maladies et aux sécheresses qui, à long terme, contribueront considérablement à stopper le changement climatique. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet.
Le changement climatique est repris partout et par presque tout le monde, que ce soit par les climato-sceptiques ou dans les milieux réalistes. Cela n’a cependant pas vraiment contribué à atténuer les effets du changement climatique ou à y remédier.Les agriculteurs, en particulier dans les sociétés essentiellement agricoles, qui participent le moins au dialogue sur le changement climatique, sont également ceux qui souffrent le plus du changement climatique, sous diverses formes.
Travailler avec des agriculteurs m’a montré la mesure véritable dans laquelle nous sommes confrontés aux effets du changement climatique. Les effets vont d’une fréquence accrue des sécheresses qui ont entraîné des famines dans des régions qui n’en avaient jamais connu comme le district d’Isingiro – que tout le monde surnomme le panier de bananes – à des attaques d’insectes nuisibles et de maladies rares qui ravagent les plantations des agriculteurs.Une action immédiate est donc requise.
Pour remédier à ces défis, les scientifiques ont utilisé des outils de génie génétique afin de développer des variétés de culture plus résilientes au changement climatique. Des cultures tolérantes aux sécheresses, résistantes aux insectes nuisibles et aux maladies, tolérantes à la salinité des sols et présentant d’autres caractéristiques favorables à la résilience climatique, ont été développées. Cela pourrait clairement remédier à l’insécurité alimentaire probable qui plane.
Quels sont quelques-uns des défis auxquels vous avez été confrontés dans ce travail ?
Le volte-face politique flagrant constitue fondamentalement un défi considérable. L’environnement politique limite l’accès des agriculteurs à ces technologies nobles. Pendant plus de dix ans, le parlement a débattu sans fin de la loi sur la biotechnologie et la biosécurité, dont le principal objectif est de règlementer l’application sans risque et la commercialisation des produits développés au moyen de la technologie du génie génétique. Malgré l’élaboration de la Politique nationale sur la biotechnologie et la biosécurité en 2008, qui règlemente la recherche sur le génie génétique, le parlement est resté indécis quant à la Loi du parlement sur ce même sujet. Cela a entraîné une situation dans laquelle les produits issus de la recherche bien règlementés restent enfermés au sein des établissements de recherche au péril des usagers visés de la technologie, à savoir les agriculteurs.
Le vaste manque de connaissances sur la biotechnologie constitue un autre défi. Les activistes qui s’opposent au génie génétique ont propagé toutes sortes de désinformations, de théories de propagande et favorisé l’essor de la pseudoscience au détriment de la science basée sur des données probantes. La population est perdue en raison du manque d’informations fiables sur le sujet qualifié de controversé. Le manque de connaissances est la pierre angulaire qui façonne les perceptions et les attitudes eu égard à la technologie. C’est un autre vaste défi.
Quelles leçons les agriculteurs et les organisations qui utilisent les cultures pour lutter contre le changement climatique peuvent-ils tirer de votre travail ?
Ceux qui peuvent en apprendre le plus sont les organisations qui travaillent avec/pour les agriculteurs. En particulier, pour les prises de décisions fondées sur des données probantes et pour accorder la priorité aux agriculteurs et les inclure dans le dialogue relatif aux questions qui les affectent. L’interaction entre plusieurs parties prenantes est importante pour que les organisations apprennent, en particulier dans le dialogue sur le changement climatique.
A votre avis, quand l’Ouganda réalisera l’ODD 2 ? Et que devons-nous faire pour y parvenir ?
Il reste tant à faire. Il est très important que les efforts entrepris pour maintenir les acquis soient mûrement réfléchis. Une approche à plusieurs volets est requise pour mettre un terme à la faim : l’augmentation des investissements publics dans la recherche scientifique pour exploiter les progrès et le transfert des technologies agricoles, la mise en place d’un environnement politique favorable pour susciter des innovations dans l’agriculture, la priorité accordée aux services de vulgarisation pour contribuer à la durabilité de la chaîne de valeur et des efforts délibérés pour améliorer l’inclusion financière des petits agriculteurs en tirant parti des TIC et des partenariats publics-privés.